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Anatomie d’un chef d’œuvre ou l’éternelle question du 7ème art ?

Qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre cinématographique ?

Pulp Fiction, Apocalypse Now, Taxi Driver, Le Lauréat, 2001, l’Odyssée de l’Espace, Citizen Kane sont des œuvres qui bien que sortis durant des décennies différentes, empruntant des thématiques radicalement opposées et ayant connu des succès divers sont unies par un lien, un lien très fin à l’orée du mysticisme pour certains puristes tant celui-ci relève d’un raisonnement objectif la plupart du temps. Car quel est ce lien ? Quel est le lien pouvant rapprocher un polar noir aux punch-lines endiablées, un trip dans la chaleur étouffante du Vietnam, une critique sociale aux odeurs de brûlot, une romance interdite des 60’s, un pilier de la SF entre métaphysique et philosophie et un film des années 40 ?

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Ce lien, mis à part que tous les films cités soient américains, relève du critère d’appréciation de ces œuvres, considérées par beaucoup comme des chefs d’œuvre !

Chef d’œuvre ? Mais qu’est-ce donc cela ? Un terme galvaudé utilisé par beaucoup de pseudo-critiques sur internet, entre autre, pour caractériser une œuvre les ayant comblés au plus haut point ? Une œuvre ayant su au mieux utiliser les acteurs, le scénario, le réalisateur dont elle est affublée ? Une œuvre pour cinéphiles assaillie par des critiques dithyrambiques ? Ou l’amalgame encore trop fréquent avec l’étiquette de films cultes dont est affublé la quasi-totalité des films ayant une portée aussi bien sociale que comique des années encore après leurs sorties, tels que Fight Club ou La Grande Vadrouille pour ne citer qu’eux ?

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A question difficile, réponse difficile. Car plus qu’une simple question, la notion de chef d’œuvre est également une définition. D’aucuns diront qu’elle représente simplement la meilleure œuvre de son auteur, d’autres pourront dire qu’elle est la meilleure représentation d’un mouvement artistique, et même certains tels qu’Ernest Hemingway le qualifieront comme l’image d’un « livre dont tout le monde parle et que personne ne lit ».

Mais, il semblerait qu’après des siècles de disettes quant à savoir la définition exacte d’une telle expression, Victor Hugo est le dramaturge qui s’en est sans doute rapproché le plus. Selon lui, les chefs-d’œuvre ont un niveau, le même pour tous, l’absolu. Une fois l’absolu atteint, tout est dit. Cela ne se dépasse plus. L’œil n’a qu’une quantité d’éblouissement possible.

Mais si tel est bien le cas, qu’est-ce que l’absolu ? Une utopie ? Une réalité ? Et quand bien même ça le serait, comment l’atteindre ? Comment le toucher du doigt ?

Serait-ce la question que se sont posés respectivement Leonard de Vinci, le sculpteur David, Picasso, Wagner, Buñuel, Truffaut, lorsque des œuvres aussi variées que Guernica, La Joconde, La Chevauchée des Walkyries ou Les 400 Coups étaient sur le point d’être conçues ? Serait-ce dans cette optique que ces œuvres, mondialement reconnues aujourd’hui ont été élaborées ?

citizen-kane-chef-oeuvre-rosebudCar, la notion de chef d’œuvre est irrémédiablement liée à l’ambition. Une ambition qui habite chaque artiste, prêt à faire le meilleur, prêt à transcender son style dans ses traits de pinceaux, ses notes de musiques ou ses mouvements de caméra pour donner au monde une œuvre énorme, dantesque se rapprochant de cet absolu cher à Victor Hugo.

Mais la rigueur est de mise, tant résoudre la solution d’une question millénaire aux relents philosophiques, ne s’obtient pas que par les citations d’un dramaturge aussi talentueux soit-il.

Car le cinéma, bien qu’étant un art très jeune (les frères Lumières ont breveté leur première machine en 1895) dispose de l’étonnante faculté de compiler à lui seul tous les autres arts connus que ça soit la musique, la littérature, l’architecture, la photographie ou les arts de la scène. Pour les plus réfractaires, il suffit de demander l’importance de la musique au regretté Sergio Leone ou celle du texte à Quentin Tarantino pour vous faire une idée de l’interaction existant au sein même du cinéma, art jugé à tort comme commercial et qui peut se révéler bien plus exaltant et intéressant qu’une virée au château de Versailles.

Forcément, cette masse culturelle qu’englobe le 7ème art implique que la notion de chef d’œuvre regroupe une pluralité de critères à prendre en compte, comme si un film se résumait à un puzzle, où chaque art est une pièce qui doit parfaitement s’imbriquer dans l’autre pour former une mouture proche de la perfection.

Et proche est le bon mot. Car la perfection est une utopie et n’existe pas. De fait, même les chefs d’œuvres sont imparfaits. Que ça soit le rythme, l’histoire, le cadre, le chef d’œuvre n’est pas universel, et sera ainsi haï comme adoré par bon nombre de gens. De fait, un chef d’œuvre n’est pas une œuvre ayant fait consensus, sans quoi des œuvres telles que Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu, ou Transformers 4 pourraient l’être à très juste titre.

Serait-ce alors une œuvre répondant à des critères précis ? Un film qui inlassablement après les années conserve la même grandeur, la même saveur, la même aura, alors que d’autres films de la même époque finissent aux oubliettes ?

her-sharknado-affichesMais avant tout, ne serait-ce pas simplement la qualité d’un film de coller parfaitement aux attentes qu’il génère ? Her, dernier film de Spike Jonze narrant avec émotion et réalisme la vision d’un futur où le contact social a presque disparu, donnait ainsi à voir exactement ce qu’il promettait ; à savoir une œuvre profonde, belle, touchante, triste et étonnamment introspective à l’heure où les smartphones et les nouvelles technologies envahissent notre quotidien et nous asservissent littéralement.

Dans un registre tout autre, le désormais célèbre DTV Sharknado, contraction de shark aka Requin et Tornado aka Tornade, promettait un divertissement décomplexé, tourbillonnant dans un flot de niaiseries et d’absurdités que même Uwe Boll n’oserait pas filmer. Et pour cause, voir une tornade de requins se diriger sur une ville côtière n’est pas franchement quelque chose de très intelligent et surtout de rationnel ! Pourtant, ce film est encore une fois ce qu’il propose ; à savoir un divertissement WTF en mode brain-off movies, teinté d’un profond élan d’héroïsme, de connerie et de tension made in USA.

Doit-on comprendre alors que les nanars, dans lesquels se place allègrement Sharknado et sa suite appelée sobrement Sharknado 2, peuvent aussi bien être considérées comme des chefs d’œuvres que des films tels que Le Parrain ou Apocalypse Now ? Là est toute la question. Car un chef d’œuvre est comme dit précédemment, la meilleure œuvre de son auteur ou bien la meilleure œuvre de son genre. Ainsi, on peut aisément classer Apocalypse Now, Platoon ou Voyage au Bout de l’Enfer au rang de chef d’œuvres, tant ces derniers en plus de proposer un divertissement, rendent compte de la sauvagerie de la guerre, et du rôle qu’elle peut jouer sur la santé physique et mentale des personnes y participant. Pourtant, à l’inverse de Sharknado, ces films sont réalisés pour transmettre un message, transmettre une émotion, transmettre quelque chose qui dépasse le statut de film qu’ils revêtent. Ainsi, la réelle chose qui distingue les chefs d’œuvres aux bons films est leur capacité à s’effacer, à effacer leur statut d’œuvre, et à devenir quelque chose de plus grand, de plus fort, de plus mémorable qu’un simple film. Une image ? Une pensée ? Quelque chose d’inoubliable ? Un condensé de ces 3 choses apparaît peut-être comme la chose la plus appropriée tant les chefs d’œuvre sont rares.

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Ainsi, peu surprenant de voir que des films tels que ceux cités auparavant ont eu la faveur de se voir nommer chef d’œuvre, tant de par des partis pris de mise en scène, des ambiances, des dialogues, ceux-ci ont su dépasser leur statut de film et devenir une œuvre caractéristique d’une époque, d’un état d’esprit ou d’un message. Prenez la réplique endiablée de Samuel L. Jackson citant Ezéchiel avant de sèchement refroidir un voleur dans Pulp Fiction ; les frasques du lieutenant Kilgore dans Apocalypse Now lançant des cartes à jouer sur des soldats vietnamiens morts et déclarant apprécier l’odeur du napalm au petit matin, la réplique devenue culte de Robert de Niro contemplant sa glace et lançant le fameux Are you talkin to me ? dans Taxi Driver.

Ces moments de grâce que le 7ème art a su nous offrir depuis sa création, ces moments ou le spectateur trop heureux de profiter de moments jouissifs teintés de cynisme que le film lui donne, ces moments ou le spectateur sent qu’il assiste à quelque chose d’unique, de majestueux, sont ainsi les marques du chef d’œuvre. Des marques qui ne sont soumises à aucunes règles, aucunes procédures, aucune recette. Des marques qui à l’instar de la chance ne peuvent être forcées.

Ce qui fait qu’un chef d’œuvre puisse être considéré comme tel est aussi sa propension à disposer de nombreuses pistes de compréhension. Comme le dit ainsi Jean-Pierre Richard, écrivain et critique français : « le chef-d’œuvre, c’est justement l’œuvre ouverte à tous les vents et à tous les hasards, celle qu’on peut traverser dans tous les sens ». Ainsi, les chefs d’œuvres sont des œuvres donnant à voir selon les jours, l’humeur, la culture des personnes la regardant un sens nouveau. Ainsi, Inception, La Grande Aventure LEGO, Platoon figurent dans cette liste tant la fin du thriller SF de Nolan laisse le spectateur face à plusieurs sens possibles, le film d’Oliver Stone apparait à la fois comme un film sur la sauvagerie et la renaissance et La Grande Aventure LEGO comme un film bourré de références ou un simple film pour enfant.
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Mais ce qui assurément demeure la marque des chefs d’œuvres est sans doute la dose d’inspiration qu’ils fournissent aux cinéastes d’aujourd’hui. Que ça soit un plan, un objet, le nom d’un personnage, une musique, ou bien un accessoire, les chefs d’œuvres sont la race de films qui quelque que soit leur date de sortie, continuent d’inspirer les cinéastes de tout poil, biberonnés par ces œuvres et souhaitant plus tard leur rendre hommage. Le Lauréat (The Graduate) de Mike Nichols sorti en 1967 possède ainsi un plan d’ouverture montrant Dustin Hoffman, pas encore sur les feux de la rampe, dans un aéroport se mouvant à la vitesse d’un tapis roulant, n’effectuant aucune mimique, aucun geste. 30 ans plus tard, un certain Quentin Tarantino, cinéaste reconnu pour ses références nombreuses et variées choisira d’ouvrir son Jackie Brown de la même manière, avec Pam Grier, sur un tapis roulant regardant au loin comme elle le ferait devant une journée monotone qui s’offre à elle. On pourra citer aussi l’influence qu’a eu Steven Spielberg sur Bryan Singer (X-Men Days of Future Past, Walkyrie), qui avec son mythique Les Dents de la Mer donnera au réalisateur de The Usual Suspects, le nom de sa boite de production Bad Hat Harry (ndlr : il s’agit d’une réplique prononcée par Roy Scheider).

De fait, résumer et définir ce qui est sans doute l’un des plus forts sujets à controverse dans des débats de cinéphiles, reste et restera, sans doute une question insoluble, le genre de questions à laquelle le monde ne souhaite pas la réponse, tant celle-ci casserait le mythe, casserait l’éternelle inconnue qui veut que tel film sera un chef d’œuvre et tel film un navet, et casserait la dynamique qui veut que personne, ni même Spielberg, ni même un étudiant de cinéma lambda n’est à l’abri de réaliser un chef d’œuvre.

Ainsi un chef d’œuvre consiste en un mélange savamment orchestré de chance, d’ambition et d’intelligence. 3 conditions essentielles pour faire un film qui peut asseoir la domination d’un réalisateur sur un genre bien précis ou bien le cantonner au succès de son meilleur film.

Mais comme le dit si bien Jean-Luc Godard : Quand on va au cinéma, on lève la tête, quand on regarde la télévision, on la baisse. Preuve effarante, que la chance joue pour beaucoup dans le processus d’élaboration des chefs d’œuvres tant regarder le ciel et attendre une intervention divine ou quoique ce soit d’autre est peut-être l’ingrédient unique pour faire et donner au monde des œuvres immortelles !

 

Rédacteur LeMagduCiné