Neuvième roman narrant les enquêtes du commissaire Jean-Baptiste Adamsberg, Quand sort la recluse, de Fred Vargas, a fait l’objet d’une adaptation pour la télévision réalisée par Josée Dayan et écrite par Emmanuel Carrère. Retour sur les deux œuvres.
Le roman
Paru en 2017, Quand sort la recluse est le neuvième roman qui met en scène les enquêtes du commissaire parisien Jean-Baptiste Adamsberg. Directement enchaîné au précédent (dans le premier chapitre, Adamsberg est encore en Islande, où il s’était retiré à la fin de Temps Glaciaires), il nous montre comment le commissaire va s’intéresser à une histoire qui, a priori, ne concerne pas la police.
C’est une information repérée sur l’ordinateur de Voisenet. Deux personnes âgées tuées du côté de Nîmes suite à une morsure de l’araignée recluse. Rien qui puisse déclencher une enquête policière, mais, sans pouvoir l’expliquer clairement, Adamsberg est interpellé par cet événement.
C’est le début d’une enquête non officielle qui va diviser fortement la brigade. Car rien ne semble remettre en cause la thèse officielle de la morsure d’araignée. Rien, sinon les « proto-pensés » du commissaire, que personne ne peut expliquer, et dont beaucoup se méfient. Et Adamsberg va se retrouver face à une rébellion de Danglard qui va s’opposer fortement à son supérieur, allant jusqu’à l’insulter.
Quand sort la recluse est un des romans les plus noirs et violents de Fred Vargas. L’enquête va révéler des faits très sombres et Adamsberg va devoir se plonger dans un passé traumatisant. Une fois de plus, le Moyen Âge aura son importance dans l’enquête, le passé va permettre de comprendre le présent et Adamsberg fera même appel à l’archéologue Mathias, l’un des « Évangélistes » que Vargas mettait en scène dans une série parallèle de romans (Debout les morts, Sans feu ni lieu…). Mais pour pouvoir avancer, Adamsberg devra aussi se plonger dans son propre passé.
C’est avec malice et intelligence que Vargas joue avec les mots. Un jeu qui peut aussi bien servir l’humour (running gag avec « imbuvable » ou la murène) que l’action elle-même (voir la double signification du titre, par exemple). Elle sait aussi remarquablement bien construire son roman et y développe une écriture ciselée d’une grande précision. Quand sort la recluse se révèle vite être un modèle de roman policier, parfaitement structuré et très bien écrit, passionnant, dramatique et cultivé.
Le téléfilm
Quand sort la recluse a fait l’objet d’une adaptation pour la télévision, diffusée sur France 2 en 2019. Réalisé par Josée Dayan (la réalisatrice des adaptations du Comte de Monte-Cristo ou des Misérables avec Gérard Depardieu, ou de la série Capitaine Marleau), le téléfilm bénéficie d’un scénario signé par l’écrivain Emmanuel Carrère (auteur des romans L’Adversaire, La Classe de neige ou Limonov, fils de l’académicienne Hélène Carrère-d’Encausse) et d’une musique composée par Benjamin Biolay. Quand sort la recluse est la cinquième adaptation des enquêtes d’Adamsberg que réalise Dayan.
La première difficulté réside dans le choix des interprètes. Vargas ne donne pas de description physique précise de ses personnages. On sait qu’Adamsberg a un physique quelconque et vague, que Veyrenc a des mèches rousses suite à des coups de couteaux reçus dans sa jeunesse, que Retancourt est très forte, mais rien de plus. La romancière caractérise ses personnages par leur psychologie en priorité. Ce qui ne doit pas faciliter le travail des acteurs. Si certains choix s’avèrent judicieux (Jean-Hugues Anglade est excellent, comme d’habitude, de même que Jacques Spiesser en Danglard ou Sylvie Testud en Froissy), par contre Corinne Masiero, une des actrices fétiches de la réalisatrice, paraît très éloignée de la Retancourt du roman. Plus exubérante, beaucoup plus bavarde, elle perd le charme mystérieux, l’aspect de chêne indéracinable, la force tranquille du lieutenant.
Si l’adaptation de Quand sort la recluse peut paraître fidèle dans le sens où elle reproduit la chaîne des événements du roman, elle perd cependant la force et la crédibilité du livre. La faute en incombe essentiellement à une question de rythme. Le téléfilm est enfermé dans les contraintes horaires du genre (deux épisodes de 90 minutes). Le roman, dense, sait prendre son temps : le rythme est lent. Ce choix est nécessaire : il permet de rendre compte des peurs, des idées, des erreurs, des doutes d’Adamsberg. C’est cette lenteur qui donne sa cohérence à l’enquête : Vargas nous décrit les « bulles de pensées » qui remontent lentement à la surface dans le cerveau du commissaire. C’est cet aspect contemplatif qui rend logique chaque étape de l’enquête.
En préférant la rapidité, en remplaçant la lente maturation des idées par des dialogues, le téléfilm enlève cette logique. En privilégiant le rythme, Josée Dayan abandonne la cohérence et la logique de l’enquête, et passe à côté de ce qui fait la spécificité du personnage d’Adamsberg, de cette façon de « penser » si caractéristique.
Ainsi, la fidélité dans l’enchaînement des événements ne suffit pas forcément à faire une bonne adaptation. Dans ce téléfilm, on passe à côté de ce qui est essentiel, les personnages sont trop bavards, les indices sont comme montrés du doigt pour devenir plus évidents, pour guider les spectateurs là où, dans une enquête policière, un des plaisirs est justement de se perdre dans un écheveau de suppositions. Et l’un des romans les plus sombres et complexes de Vargas devient une œuvre de consommation courante dénuée d’identité.