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« Le Loup » de Jean-Marc Rochette nous emmène encore dans le Massif des Écrins, un an après « Ailefroide altitude 3954 »

Au cœur des Alpes, dans le Massif des Écrins, les moutons de Gaspard se retrouvent soudain sous la menace d’un jeune loup. La tension monte, au rythme des saisons. Défié par le loup, le berger chasseur, solitaire et taciturne, défie la loi du parc protégé.

Jean-Marc Rochette est surtout connu pour Le Transperceneige (sur un scénario de Jacques Lob), paru dans la revue (A SUIVRE) d’octobre 1982 à juin 1983. L’édition en album date de 1984 (Casterman). Un roman graphique à l’univers post-apocalyptique revenu récemment sur le devant de la scène avec son adaptation cinématographique (2013), par le coréen Bong Joon-ho, le vainqueur de la Palme d’or au festival de Cannes 2019 avec Parasite.

Un bel écrin

Depuis quelques années, le dessinateur a eu l’envie de renouer avec ses premières amours en revenant s’installer dans la vallée du Vénéon (Isère). Jeune, il voulait devenir guide de haute montagne. Un accident l’a incité à chercher une autre voie. Il fait de la peinture, de la sculpture et donc de la BD. Après Ailefroide, altitude 3954 (Casterman – 2018) où, sous forme autobiographique, il illustre son amour pour la montagne, il montre avec Le Loup que le Massif des Écrins l’inspire toujours.

Rochette illustre un face-à-face entre Gaspard, un berger solitaire revenu de tout et un jeune loup. Sans surprise, Gaspard et le loup deviennent rapidement des ennemis irréductibles. Ils se cherchent, se flairent, se pistent, s’observent, se traquent. On s’attend à un duel à mort pouvant tourner dans un sens comme dans l’autre, car le loup se montre malin et aussi connaisseur du terrain que des faiblesses de son ennemi. L’issue, émouvante, surprendra et donnera à réfléchir.

Le dessinateur ne se contente donc pas d’illustrer un scénario sans faille. Avec ses dessins, il donne à sentir une ambiance : la solitude des grands espaces en altitude. De plus, il réussit à bien camper le caractère de ses personnages principaux (Gaspard et le loup). Les personnages secondaires (la postière, le cafetier du village), ne sont que des faire-valoir.

La question du territoire

Au centre de l’affrontement vient cette question du territoire. Avec son écrasante domination sur la planète, l’homme a fortement tendance à se considérer comme une créature supérieure ayant des droits fondamentaux sur l’espace qu’il occupe. Ici, le berger refuse la présence du loup dans le Massif des Écrins. A priori, il n’y a aucune communication possible entre l’homme et le loup. C’est la guerre, un point c’est tout. Mais, très intelligemment, le scénario montre qu’il ne faut pas se fier aux apparences, car finalement si, communication il y a. Non par le langage parlé, mais par celui des attitudes. Ainsi, le loup ne se contente pas de se rappeler ce qui lui a permis de survivre alors qu’il n’était encore qu’un louveteau devant survivre sans sa mère. Il sent ce que le berger prépare, y réagit en préparant son propre piège.

Les subtilités du scénario

On arrive ainsi à une situation montrant Gaspard s’intégrer aux éléments naturels, faire corps avec le Massif (il reste isolé dans un chalet durant toute la saison hivernale et chasse par besoin). On pourrait même le croire sur le point de laisser filer le peu d’humanité qu’il lui reste. Pourtant, le face-à-face va révéler des dimensions étonnantes dans sa relation avec le loup. Celui-ci n’a pas moins de raisons que Gaspard pour se sentir chez lui dans le Massif des Écrins, son habitat naturel. Mais c’est bien une tendance naturelle pour le loup que de s’attaquer aux moutons (du berger). L’analyse de Baptiste Morizot (4 pages de texte en fin d’album), laisse entendre que l’homme et le loup doivent apprendre à vivre ensemble parce que tous deux font partie d’un écosystème où chacun a son rôle. Mais la loi de la nature peut-elle prendre le pas sur celle du marché ? Morizot avance que l’homme s’est habitué depuis la nuit des temps à considérer le loup comme son ennemi en ne faisant qu’accumuler les griefs sans chercher à comprendre. Un fait imprégné dans l’imaginaire collectif, qu’on peut résumer par l’adage affirmant que l’homme est un loup pour l’homme.

A ce titre, montrer Gaspard mentir effrontément me paraît assez révélateur. Il s’agit non de justifier un comportement, mais de conserver sa position de chasseur. En ce sens, n’est-ce pas d’une certaine façon se mentir à soi-même ? L’affrontement, puis l’épilogue montrent que si Gaspard va jusqu’au bout de ses intentions, sa part d’humanité reste bien présente (ses hallucinations). Il réalise la force de sa pulsion de vie.

L’aspect technique

Le dessin de Rochette ne cherche jamais la séduction par la finesse du trait où la douceur des courbes que produirait la neige par exemple. Finalement, cela correspond plutôt bien au monde sauvage et dur qu’il montre, avec des relations conflictuelles entre l’homme et le milieu naturel. L’album peut aisément se lire d’une traite. Rochette ne fait jamais dans la surcharge (graphique ou verbale), il va à l’essentiel et utilise à bon escient une technique qu’il affectionne : une petite case insérée dans une plus grande, pour mettre l’accent sur des détails (aspect très cinématographique).

Les couleurs d’Isabelle Merlet conviennent parfaitement. Si les teintes sombres dominent, le blanc de la neige fait ressortir le jaune de la camionnette de la poste (tentative de rapports humains), ainsi que le vert des prés, dans un monde impitoyable.

Une vraie réussite où Rochette met beaucoup de lui-même tout en ouvrant beaucoup de pistes de réflexion. Parmi celles-ci, le territoire, sa conquête, sa légitimité et sa défense, ainsi que le vivre-ensemble et la notion de respect de l’autre (avec ses différences). N’oublions pas le besoin d’affirmation des générations montantes par rapport à celles installées et l’opposition entre la force et l’intelligence. Enfin, quelle est la part d’animalité dans les comportements humains ?

Le Loup, Jean-Marc Rochette & Isabelle Merlet 
Casterman, mai 2019, 102 pages 

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