Cet album (1992) clôt la trilogie Nikopol et sur l’illustration de couverture, on note l’augmentation du nombre de personnages par rapport à La femme piège (3) et La foire aux immortels (2). Il aura donc fallu douze ans à Enki Bilal pour achever cette trilogie. Malheureusement l’augmentation du nombre de personnages n’améliore pas la qualité générale. La complexification n’en parlons pas.
Nous voilà donc quelque part en Afrique où Nikopol fils enquête auprès d’un cinéaste nommé Giancarlo Donadoni. Je serais enclin à y voir un clin d’œil footballistique via l’Italien Roberto Donadoni, car les gants de boxe portés par le dénommé Loopkin sur l’illustration de couverture rappellent étrangement l’esthétique du maillot à damier de l’équipe de Croatie. Bref, Donadoni travaille sur une adaptation de la vie de Nikopol père, ce qui permet de passer quelques informations au passage. Bien entendu, on sent d’emblée que l’adaptation ne sera qu’une pâle copie de l’histoire du personnage, car Donadoni s’imagine tout savoir sur Nikopol, alors qu’il en est évidemment bien loin, puisqu’il n’a rien compris à l’intervention d’Horus dans la vie de Nikopol… Il est également incapable de comprendre qu’il discute avec le fils de son personnage ; il le prend pour son frère jumeau ! Et puis, quand on voit le look des personnages censés interpréter Nikopol et Jill Bioskop, on se prend à détester d’emblée un film qui ne sera de toute façon qu’une vue de l’esprit. Ceci dit, quand on se rappelle ce que Bilal a filmé pour adapter ses propres albums, on se dit aussi que son domaine c’est la BD et qu’il vaut mieux qu’il s’en tienne là.
A bord du Blue Nile Express
Nikopol fils monte dans un train au hasard et il a bien du mal à trouver une place où s’installer. Malgré l’humour de la situation, la séquence sonne un peu creux. Et quand il trouve une place dans un compartiment, celle qui l’occupe déjà ressemble étrangement à Jill, les cheveux et lèvres bleus en moins. Cette Yéléna Prokosh-Tootobi le prend également pour Nikopol père. On apprend à l’occasion que les médias ont annoncé récemment qu’il aurait assassiné Jean-Ferdinand Choublanc, tous deux étant internés dans le même asile. Le train file vers Équateur-city, capitale de l’état Équateur, ville au climat déréglé et plaque tournante de l’aide humanitaire pour l’Afrique depuis 2002, mais sous la domination désormais hégémonique d’un consortium qui lui n’a rien d’humanitaire, le KKDZO, complexe maffieux le plus tentaculaire de l’hémisphère sud. L’actualité du moment, c’est un combat de chessboxing qui verra John-Elvis Elvisson, le tenant du titre et grand favori affronter Loopkin. La discipline est une combinaison de boxe et d’échecs.
Le pessimisme d’Horus
Le combat programmé rappelle le fameux combat gagné par Muhammad Ali contre George Foreman (champion du monde en titre), le 30 octobre 1974 à Kinshasa (Congo) qui confirme l’intérêt de Bilal pour le sport en général. L’album dénonce ainsi les dérives où le sport s’efface devant le spectacle. Le dessinateur en profite pour régler ses comptes avec les dérives du capitalisme en faisant du KKDZO la pire évolution possible de ce système. Bien entendu, il joue avec ses personnages fétiches que sont Horus, Nikopol et Jill Bioskop. Enfin, il montre la déliquescence du monde, sous l’œil des dieux égyptiens encore et toujours à la poursuite d’Horus, décidément intenable. L’album ne convainc guère, malgré ses références, ses rebondissements, ses nombreux clin d’œil aux deux albums précédents. Il mérite quand même la lecture, en particulier pour le discours d’Horus qui sonne évidemment comme la pensée profonde du dessinateur, probablement déçu par le monde occidental, lui qui a grandi à l’Est : « Votre incompétence à gérer ce monde est incommensurable. Vous gangrenez tout ce que vous touchez… J’ai voulu me rapprocher des hommes, mais ils sont petits… Et ils le resteront éternellement, avec leurs nationalismes rampants, leurs religions butées, leur inaptitude au pouvoir et leurs limites temporelles. » Ce à quoi il ajoute quand même « Car c’est là que le bât blesse… Vous ne vivez pas assez longtemps pour mesurer, saisir, la valeur des choses essentielles… MEA CULPA ! Nous, les dieux, nous vous avons ratés ! Ce constat est terrible, mais j’en prends acte. »
Amère clôture d’une trilogie
Qu’ajouter sinon que tout le reste n’est que bavardage et dieu ( ! ) sait qu’il y en a dans cet album, probablement trop, alors qu’on remarquait justement que la réduction des dialogues et du texte en général était un des points forts de La femme piège par rapport à La foire aux immortels. Ce n’est peut-être qu’un détail, mais sur l’illustration de couverture, Horus semble comme étouffer, alors qu’il impressionnait tellement dans La femme piège par ses postures. D’ailleurs, il n’apparaît quasiment pas dans cet album et c’est une des raisons pour expliquer son manque de séduction. Le dessin est également décevant, avec cette malheureuse tendance au fouillis. On sent la fin de cycle ! Un album qui, finalement, laisse assez froid…