Sous les paysages pastoraux du sud de l’Angleterre peut couver une noirceur silencieuse, prête à ressurgir. Avec Downlands, son nouveau roman graphique publié aux éditions Glénat, Norm Konyu nous emmène sur ces chemins tortueux où le surnaturel côtoie intimement les douleurs du réel.
James Reynolds, 14 ans, perd brutalement sa sœur jumelle Jennifer, qui l’abandonne à un vide insupportable et avec cette question obsédante : quel est donc ce chien noir, sinistre présage que seule Jen avait aperçu avant sa mort ? Cette apparition, puisée dans les méandres du folklore britannique, pousse James à plonger dans le passé secret de son village, aux côtés de l’inquiétante Mme Walker, une vieille femme que la rumeur locale affuble du sobriquet de « sorcière ». Entre légendes macabres et récits troubles des générations passées, le jeune garçon est entraîné dans une enquête initiatique qui dépasse ses peurs, ses croyances, mais surtout l’imagination.
Norm Konyu, canadien d’origine désormais enraciné au Royaume-Uni, célèbre avec virtuosité la tradition littéraire britannique, entre la mélancolie trouble des récits de Daphné du Maurier et le frisson subtil des histoires de fantômes de M.R. James. Mais il ne s’arrête pas à une simple réminiscence stylistique : sa narration, aux frontières mouvantes entre réalité palpable et atmosphère inquiétante, érige le jeune James en enquêteur du surnaturel, affrontant le deuil à sa manière, en remuant un passé que beaucoup rejettent pudiquement.
Mais ce qui rend Downlands si fascinant, c’est précisément son équilibre fragile entre les genres et les tonalités. Là où l’horreur flirte avec une poésie douce-amère, où le surnaturel révèle une profonde humanité, Norm Konyu opère, faisant de chaque histoire locale un chaînon d’une trame narrative complexe. On découvre, en même temps que le protagoniste, ce qui fonde les présages funestes, ce qui a présidé à la disparition soudaine d’une famille, et même ce qui advient après la mort.
Graphiquement, Downlands se distingue par une esthétique puissante et singulière. Avec un dessin anguleux et minimaliste, à très forte personnalité, Norm Konyu insuffle à chaque personnage, même au plus secondaire, une profondeur émotionnelle saisissante. Les décors, méticuleusement travaillés, s’animent sous des palettes chromatiques évoluant subtilement selon l’époque et l’intensité dramatique des scènes.
Mais le cœur véritable du récit repose sur le processus de deuil. L’auteur explore avec à-propos le lien intime et indestructible entre James et Jennifer, offrant ainsi une réflexion pertinente sur la perte, la mémoire et la difficulté d’apprivoiser l’absence. Un exemple en témoigne : les lettres que continue d’écrire James à sa sœur défunte, comme si elles constituaient une médiation dialogique entre eux.
Avec ce deuxième ouvrage graphique, après une adaptation de L’Appel du Cthulhu, Norm Konyu s’impose comme une voix importante du roman graphique contemporain. Au départ, ce n’est peut-être qu’une rue dans un village, mais Downlands y puise sans mal de quoi tenir quelque 300 pages très inspirées, et substantielles. Qui reposent longtemps sur un duo improbable, constitué d’un jeune adolescent et d’une vieille femme solitaire. Et qui finissent par emporter pleinement l’adhésion du lecteur, émerveillé par le visuel et touché par le propos.
Downlands, Norm Konyu
Glénat, avril 2025, 304 pages





