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« Dernier souffle » : du cinéma en planches

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Avec Dernier souffle, le scénariste et dessinateur Thierry Martin met en images un western muet et crépusculaire, très inspiré par le cinéma, et pouvant se réclamer tant des frères Coen ou de Clint Eastwood que de Quentin Tarantino.

Authentique exercice de style, Dernier souffle est né sur Instagram à raison d’une planche par jour, le scénario, entièrement improvisé, évoluant au gré des humeurs de Thierry Martin. En trois couleurs (blanc, noir, bleu-gris), l’album, dénué de tout dialogue, met en scène un homme mû par un puissant sentiment de vengeance, parcourant des forêts enneigées pour trouver une issue satisfaisante à sa traque obstinée.

Puisqu’il fait fi du langage, Dernier souffle va procéder par la grammaire visuelle et laisser l’imagination des « lecteurs » vagabonder d’image en image. Thierry Martin fait montre d’une puissance suggestive, d’un sens du cadre et d’une minutie expressive tels que chacun de ses dessins pourrait se suffire à lui-même. Le parti pris initial, d’une publication quotidienne, n’y est évidemment pas étranger : en ne faisant évoluer son récit qu’au compte-goutte, et en ne recourant pour ce faire qu’à l’apparat graphique, le dessinateur devait veiller à façonner chaque planche de manière à faire avancer l’intrigue, caractériser plus avant son héros ou portraiturer la nature tout en maintenant un intérêt constant.

Par son ironie, sa violence et l’abnégation de son héros, Dernier souffle rappelle çà et là les frères Coen, Clint Eastwood, Sam Peckinpah ou encore Quentin Tarantino. La cinégénie de l’album renforce cette impression tenace, par ailleurs corroborée par les déclarations de Thierry Martin. Les liens avec le septième art ne font pas seulement sens quand une vignette épouse un point de vue subjectif (et « renversé ») ou quand les plaines maculées d’une neige projetée à la brosse à dents se donnent somptueusement à voir au lecteur. On trouve dans Dernier souffle un dynamisme et une énergie (notamment renforcée par les hachures) qui laissent penser que les images pourraient s’animer d’un instant à l’autre.

Doté d’un format 16/9 permettant d’élargir le cadre et de mettre en valeur l’espace, Dernier souffle se dote de motifs tout aussi cinématographiques que ses personnages : une cabane isolée, un bar, des têtes plantées dans des pics, etc. Passionnant, d’un aspect irrémédiablement sombre et brut, Dernier souffle évoque la filiation, les traumatismes d’enfance ou encore la vengeance. Il se voit gratifié d’une très belle édition, aux dimensions idoines, et sublimée par une enveloppe aussi simple qu’efficace. Dans ces conditions, on se laisse volontiers perdre, les yeux ébahis, dans ce récit à multiples inconnues.

Dernier souffle, Thierry Martin
Noctambule/Soleil, octobre 2021, 222 pages

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