Deep it n’est autre que la suite de Deep me (2022) où Marc-Antoine Mathieu repoussait les limites du possible au travers du medium BD. Qui pouvait imaginer qu’il parviendrait à poursuivre son investigation du monde d’après la vie ? Lui seul probablement. Si le résultat est moins éblouissant que l’album initial parce que nous savons déjà mieux à quoi nous en tenir, intellectuellement le dessinateur tutoie à nouveau les sommets.
L’album est centré sur Adam (pour éviter la confusion avec un personnage, j’utiliserai le prénom et non le pronom) conscience en éveil progressif depuis Deep me, album qui nous a permis de comprendre que nous nous situons à une époque où toute vie a disparu sur Terre, y compris la vie humaine. Si pas plus qu’Adam, nous n’en connaissons la ou les raisons, Marc-Antoine Mathieu propose une situation particulièrement intéressante, puisqu’avant sa disparition inéluctable, l’Homme a utilisé l’Intelligence artificielle (AI) pour élaborer cette conscience disposant de toute la mémoire du monde vivant. Cela permet au dessinateur de montrer fugitivement quelques silhouettes qui seront les seules apparitions humaines de l’album. On apprend ici qu’Adam a pour mission de trouver l’endroit où les conditions permettront d’envisager de provoquer une nouvelle émergence de la vie, quelle que soit sa forme. La question du pourquoi est évoquée, mais vite balayée : l’homme n’a jamais su si l’émergence de la vie et donc de son existence répondait à une raison ou si elle n’était que le fruit du hasard. D’ailleurs, l’Homme n’a jamais été en mesure de déterminer si la vie existait ailleurs que sur Terre et donc de déterminer si son apparition dépendait de circonstances éventuellement reproductibles. Dans ces conditions, tout en déplorant sa propre disparition, l’Homme a enclenché la manœuvre de la dernière chance : confier à une intelligence artificielle la mission d’explorer son environnement pour tenter une sorte de réinitialisation. La piste que l’album n’explore pas (ou néglige) c’est que cette réinitialisation suppose plus ou moins de retrouver les conditions initiales sur Terre. Or, comme l’Homme la Terre a un passé. Si, contrairement à l’Homme, elle reste en vie, le passage de l’Homme sur Terre n’est pas sans avoir laissé des traces, probablement jusqu’à une catastrophe irréversible. L’Homme ayant largement exploité les ressources naturelles à sa disposition, envisager de retrouver les conditions initiales d’apparition de la vie sur Terre laisse perplexe. Mais, où l’action se situe-t-elle réellement ? A noter également une apparente contradiction qui voit Adam détenir toute la mémoire de l’humanité, tout en restant incapable de comprendre ce qui a pu causer l’extinction de toute vie sur Terre. Considérant désormais le dessinateur comme capable de concocter un troisième volet, nous en saurons peut-être davantage ultérieurement.
Quelques observations
On remarque qu’avec Adam, se pose la question de l’échelle : quelle différence entre l’infiniment grand et l’infiniment petit ? On réalise que, limité par ses deux sens (ouïe et vue), Adam n’a aucune idée de son aspect physique, si tant est que cette notion ait la moindre signification. Autre fait à assimiler, pour Adam la notion de temps ne correspond à rien de tangible. En effet, Adam poursuit son activité, défiant la notion d’ennui, insupportable pour un humain. Une mission qui n’aboutira que lorsque les conditions seront réunies. D’ailleurs, en cas de succès, quel pourrait être le devenir d’Adam ? A noter que, par une pirouette dont il a le secret, le dessinateur parvient à doter Adam non d’un alter ego, mais d’une AI capable d’entretenir le dialogue. Cela n’ira pas au-delà, pour la simple et bonne raison que toute forme de connivence est exclue. En effet, ce serait le début des faux-semblants et on sait qu’ils mènent inéluctablement à la catastrophe. Toujours est-il que ce dialogue est bien pratique pour le dessinateur, car il apporte naturellement des informations. Tout sentiment étant banni, l’humour l’est également, du moins au premier degré. Le dessinateur en apporte néanmoins à l’occasion, grâce à des sous-entendus. Et, tant qu’à lire entre les lignes, on relève qu’Adam ne parvient toujours à la conscience que de manière discontinue. Ces veilles étant numérotées, on voit bien qu’elles ne figurent pas toutes dans l’album. Que se passe-t-il au cours de celles non représentées ? Peut-être rien de notable, mais la question mérite réflexion. Enfin, on remarque que le texte comporte des mots particulièrement savants dans le domaine scientifique (modèle stochastique, bouteille de Klein, paréidolie, autopoïèse) qui nécessitent des recherches pour comprendre de quoi il retourne. Bizarrement, il cite le nombre d’Avogadro de façon incorrecte (10 puissance 23 au lieu de 6,02 x 10 puissance 23). Quant au dessin, toujours aussi élégant que le noir et blanc choisi par le dessinateur, il met surtout en valeur des formes géométriques, des perspectives. L’absence de vie présente quand même un réel inconvénient et on peut comprendre un lecteur qui refuserait de lire l’album pour son aspect particulier : essentiellement des décors et des dialogues. Et si le blanc de la couverture fait contraste avec le noir de Deep me autant dire que le contenu vire rapidement à une dominante noire comme l’album précédent.