Publié aux éditions Soleil, Convoi se déroule en 2074, dans une France post-apocalyptique défigurée par les guerres nucléaires et les dérèglements climatiques. Alex est chargée d’assurer un convoi de médicaments du Havre vers Marseille, un exercice périlleux pour lequel elle s’est entourée d’une équipe de gueules cassées. Manifestement inspirés de Mad Max, Kevan Stevens et Jef livrent un récit pop, tarantinesque et traversé de tirades fusantes.
Déforestation, surconsommation, pollution, armes nucléaires, virus : ces menaces, longtemps soulignées dans la presse, les rapports d’experts ou les sommets internationaux, se sont agglomérées pour façonner le monde post-apocalyptique dans lequel évoluent les personnages de Kevan Stevens et Jef. La France n’est plus le décor de carte postale qu’elle a été : elle ressemble désormais davantage aux étendues désertiques traversées par les engins motorisés de Mad Max. Y acheminer des médicaments d’une ville à l’autre n’a d’ailleurs rien d’une sinécure, puisqu’il faut faire face aux terrains accidentés, au manque de ressources et aux hordes sectaires fanatisées. C’est pourtant à cette entreprise périlleuse que vont s’astreindre Alex et ses camarades, pour le moins insolites (on y trouve des binaires, des végétariens extrémistes, des réac’ à la petite semaine, des vieillards pervers, des gourous opportunistes…).
Pour qui a lu Mezkal, le côté pop et tarantinesque de Convoi ne sera pas une surprise. L’avalanche de tirades bien ciselées non plus. Kevan Stevens et Jef restent ainsi fidèles à leurs fondamentaux et livrent, dans un rythme effréné, ce qu’il faut de violence brute et de déraison pour marquer la rétine et la mémoire de leurs lecteurs. La traversée d’Alex n’est qu’une succession d’écueils à travers lesquels l’humanité apparaît toujours plus diminuée. À cet égard, l’introduction de l’album constituait déjà un bon indicateur : des gardes passés à tabac, un mercenaire crucifié, une mission casse-gueule imposée par la force, il n’en fallait sans doute pas plus pour initier une folie impétueuse.
Cette constellation de gueules cassées, plutôt réussie, prend place dans des planches avenantes, colorées avec soin, dont les dimensions et les angles de vue ont été contrôlés par le truchement de modèles réduits, comme chacun pourra le constater en parcourant les annexes de l’album. On aura en revanche davantage de réserve sur les expressions faciales, souvent sommaires, voire monolithiques quand il s’agit par exemple de dessiner l’étonnement (les yeux ronds, la bouche ouverte), comme en témoigne par exemple la page 75. Ce n’est pas forcément gênant, car cela s’inscrit dans l’esprit exalté voulu par Kevan Stevens et Jef, mais ça pourrait cependant refroidir certains lecteurs attentifs.
Par ses partis pris narratifs, sa science des dialogues et ses personnages gratinés, Convoi pourrait se ranger aux côtés d’Overseas Highway, Psykoparis,Valhalla Hotel ou encore (et surtout) Gun Crazy. Explosions, corps démembrés, cheveux ridiculement colorés, sexe, vomi, Milky Way, références à la culture populaire (de Goldorak au rap en passant par les frères Bogdanoff) : tout contribue à l’outrance dans un univers où la mesure n’a plus aucune prise. Finalement, on se dit que Convoi manque un peu d’épaisseur (et peut-être même de colonne vertébrale), mais qu’il se rachète par l’ingéniosité de ses planches et son côté pop et bravache, parfaitement fondu dans ses tirades fusantes et irrévérencieuses.
Convoi, Kevan Stevens et Jef
Soleil, septembre 2022, 132 pages