Mezkal voit le jour aux éditions Soleil. Le scénariste Kevan Stevens et le dessinateur-coloriste Jef s’associent dans un récit pop et décomplexé, prenant pour cadre le microcosme des cartels mexicains de la drogue.
Les lecteurs du diptyque Gun Crazy sont en territoire connu : Jef réinjecte dans Mezkal des graphismes pop et des couleurs chaudes déjà aperçues précédemment. Les points de jonction sont d’ailleurs plus nombreux, puisque les accès de violence et la dimension tarantinesque de Gun Crazy se retrouvent en abondance dans l’album qu’il conçoit avec le scénariste Kevan Stevens. Même le white trash d’un Superwhiteman se voit prolongé par des hordes de motards rendant hommage à Donald Trump dans leur dernier souffle… Mais la choralité n’est cependant pas la règle dans Mezkal, puisqu’on s’y intéresse surtout au personnage de Vananka Darmont, un loser coenien quittant les États-Unis après la mort de sa mère, intoxiquée aux médicaments et à l’alcool – son père ne donnant quant à lui signe de vie qu’à travers des cartes d’anniversaire.
« Je me sens comme une ombre, un courant d’air qui ne ferait que traverser son époque. » Vananka n’est pas tout à fait le personnage le plus joyeux et accompli qui soit. En qualité de narrateur, il confesse n’avoir plus ri depuis l’âge de quatre ans. Au début du récit, on l’aperçoit essentiellement aux prises avec les cafards, chose qui évoluera à peine puisque d’autres charognards viendront ensuite remplacer ces insectes. « Mes vieux m’avaient bien pourri mon enfance. Ils réussissaient le doublé en me laissant un sacré paquet d’emmerdes et 31 000 dollars d’impayés. » Pour Vananka, l’exil est la seule solution de repli. Il n’a plus rien à attendre d’une existence qu’il a depuis longtemps laissée en jachère. « Le rêve américain, on m’a proposé de m’le mettre dans le cul. J’ai accepté. » Il prend alors la route pour le Mexique et Ciudad Juarez, où l’on dénombre pas moins de douze homicides par jour et quelque 500 femmes portées disparues.
Là-bas, il se reconstruit, sans toutefois pleinement s’épanouir. Il rencontre Leila, dont il tombe éperdument amoureux. Elle est sculpturale, attentive à lui, et aspire à devenir chanteuse. Vananka reprend peu à peu goût à la vie. Que demander de plus, en effet, quand on a déjà « un pétard bien tassé, une guitare, un paysage grandiose et la perspective d’une séance de baise » ? C’est Felipe, le cousin de Leila, qui va répondre à cette question biaisée. Criminel en cheville avec les cartels de la drogue, il recrute notre antihéros pour passer de la marchandise à bord d’un vieux camion. C’est ici que le côté déjanté de Mezkal va se voir accentué : les fusillades et assassinats pullulent, des clans rivaux se font face, les rednecks se signalent et une corruption endémique transparaît, notamment à travers les prêts de matériel généreusement consentis par les copains policiers de la pègre. Partant, les figures et clins d’œil s’amoncellent : un agent de la DEA déguisé en clown, un biker accoutré comme Jason Voorhees, des capos à la Tony Montana, un vendeur de climatiseurs sacrifié en raison de la piètre qualité des produits qu’il vend, etc.
Rythmé, aéré et graphiquement impeccable, Mezkal recycle certes des motifs, situations et rebondissements déjà maintes fois aperçus par le passé, mais il en tire toutefois un équilibre subtil parfaitement fonctionnel. Il y a quelque chose de jouissif à suivre les mésaventures de Vananka Darmont et à le voir évoluer parmi ce que la société a de pire à proposer. Si les plus chagrins regretteront certainement un manque de surprises, la dimension pop totalement décomplexée, déjà à l’œuvre dans le précité Gun Crazy, suffit à transporter le lecteur.
Mezkal, Kevan Stevens et Jef
Soleil, janvier 2022, 188 pages