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« Psykoparis » : là où tout est permis

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Dix années se sont écoulées depuis la parution du premier tome de Psykoparis. C’est le temps qu’il a fallu à Tristan Roulot et Corentin Martinage pour se laisser convaincre par leurs lecteurs de reprendre leur histoire et de plancher sur cette intégrale, aujourd’hui publiée par les éditions Soleil. On y découvre un Paris intrépide, rendu au dernier degré de la violence, où on ne possède que ce que l’on peut protéger.

L’univers de Psykoparis pourrait se réclamer à la fois de Bernard Blier, Quentin Tarantino et des frères Coen. Il est absurde, violent, tragicomique. Une vieille dame sénile se faisant appeler « Maman » y est l’usurière du Tout-Paris. Elle notifie chaque transaction financière dans un petit calepin bleu qui lui tient lieu de matière grise. Toutes les mafias des environs font affaire avec elle. Même le quidam lui emprunte de l’argent pour subvenir aux besoins de sa famille. C’est le trésor le mieux gardé de la capitale. Il contient des noms qu’il faut à tout prix maintenir secrets, il tient enchaînés des débiteurs redevables, il régente les rapports entre clans opposés. Sa disparition pourrait mettre Paris à feu et à sang. C’est précisément ce qu’il va se produire quand des adolescents fêtards vont investir l’appartement de « Maman » pour y organiser une sauterie clandestine et emporter quelques meubles pour les mettre au clou, dont un secrétaire contenant le fameux livre de comptes.

Cet élément déclencheur va offrir au récit sa choralité, son rythme trépidant et ses accès de violence exacerbée. Dans des planches parfaitement agencées, dessinées à traits fins et aux couleurs chatoyantes, Tristan Roulot et Corentin Martinage vont donner corps à un Paris divisé (centre contre périphérie agricole, mais aussi religieusement), où règne la loi du plus fort et où se font face des mafias aux intérêts contradictoires. Psykoparis redéfinit l’espace et les institutions que nous connaissons : les plus vulnérables se retirent dans les catacombes de la ville pour échapper à la violence ambiante, des gladiateurs s’affrontent jusqu’à la mort dans des arènes surpeuplées pour distraire le peuple, la mairie est gouvernée par les intérêts particuliers et gangrénée par la corruption. C’est dans ce cadre peu commun que vont venir se loger une série de personnages iconiques appelés à s’entrecroiser.

Il y a d’abord Cid, Nathan, Camille et Will, des petites frappes cherchant avant tout à s’amuser. Comme n’importe quel Parisien, ils se promènent avec leur arme blanche pour assurer leur sécurité. Il y a ensuite Superman, un sans-abri capable de réduire à néant un gang entier. Il y aussi Monsieur Paul et son compagnon Philippe, qui cherchent à compléter une collection de sabres en semant la mort si nécessaire, Amjad, un gladiateur en perdition, Casini, un expert en escrime, un mystérieux prospecteur doté d’une puissance phénoménale et d’un cône lui couvrant l’entièreté de la tête, Chomsky, un antiquaire-prêteur sur gage, Hunger, un ancien combattant devenu garde du corps du maire, Fléchand, une blonde sculpturale doublée d’une tueuse impitoyable, Daskos, un ancien conseiller municipal devenu chef d’une dissidence religieuse et, bien entendu, l’incontournable « Maman » et ses enfants…

Tout ce joli monde va être concerné, de près ou de loin, par le calepin de « Maman ». À commencer par Cid, qui a désormais – et bien malgré lui – toute la ville à ses trousses. Échevelé, d’une légèreté souvent trash, Psykoparis va alors faire tomber des têtes (au sens propre) et prendre une tournure chaotique, chacun avançant ses pions en piétinant ceux du voisin. Les duels se succèdent à marche forcée, les discours méta foisonnent (il suffit de songer au fait que Camille lit Goblin’s, une BD de Tristan Roulot et Corentin Martinage), le maire est évincé notamment suite à des propositions trop raisonnables… On frôle parfois la caricature, les dialogues manquent quelque peu de tranchant, mais peu importe : si on se laisse transporter par le rythme et les rebondissements de ce récit foisonnant, on peut y trouver quelque chose de foncièrement jubilatoire.

Aperçu : Psykoparis (Soleil)

Psykoparis, Tristan Roulot et Corentin Martinage
Soleil, mai 2021, 116 pages

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