Le scénariste Jean-Yves Le Naour et le dessinateur Manu Cassier publient L’Affaire Markovic aux éditions Bamboo, dans la collection « Grand Angle ». Ils y reviennent sur l’une des entreprises de manipulation les plus retentissantes de la Vème République.
1968. De grands mouvements sociaux se multiplient en France, la présidence de la République vacille, certaines figures politiques émergent ou se consolident (de VGE à Chirac). Georges Pompidou doit quant à lui faire un pas de côté, puisque Maurice Couve de Murville lui succède à Matignon après une trahison douloureuse du Général De Gaulle – du point de vue, en tout cas, du chef de gouvernement désormais déchu, qui déclare dans l’album : « J’ai été blessé de découvrir que nos relations n’étaient que de fonction et de circonstance. » C’est dans ce contexte qu’apparaît l’affaire Stevan Markovic, du nom d’une petite frappe d’origine yougoslave ayant longtemps traîné ses guêtres avec Alain Delon – alors en plein tournage de La Piscine avec Romy Schneider et Jacques Deray. Retrouvé sans vie dans une décharge publique des Yvelines, Markovic va susciter la curiosité, croissante, de la police, de la presse, du monde du spectacle, mais aussi de la classe politique et des services de renseignements.
C’est peut-être Clearstream qui se rapproche le plus de l’affaire Markovic. Car d’un meurtre non élucidé, aux tenants et aboutissants brouillés par de faux témoignages, on a tiré de quoi monter en épingle une histoire de photographies compromettantes, prétendument prises lors de partouzes mais en réalité falsifiées, et impliquant la femme de Georges Pompidou, qui était alors la cible probable de cercles gaullistes peu scrupuleux. Dans une veine similaire à celle des Affaires d’État des éditions Glénat (sans la dimension fictive), Jean-Yves Le Naour et Manu Cassier racontent les dessous (dans les limites de nos connaissances) d’un épisode peu glorieux de la Vème République. Ils montrent très bien qu’une fois la machine judiciaire et médiatique en action, le nom de Georges Pompidou, et a fortiori celui de sa femme Claude, furent durablement entachés. Et que les intérêts de quelques-uns l’ont emporté sur l’équité et la justice pénale. Pompidou commentera ainsi : « Le problème avec la calomnie, c’est qu’il en reste toujours quelque chose. »
Dessiné avec soin, L’Affaire Markovic vaut surtout pour ce que ses auteurs énoncent quant aux rapports de fidélité, grandement contrariés, entre De Gaulle et Pompidou. « Je constate que l’on a donné du crédit aux plus folles rumeurs, que l’on a accueilli des déclarations infamantes de petits malfrats le plus sérieusement du monde, alors qu’il en allait de l’honneur d’un ex-Premier ministre, dont vous connaissiez parfaitement la probité », lit-on lors d’une conversation enlevée entre le général et son ancien chef de gouvernement. Au-delà de l’affaire judiciaire, l’album fait aussi le récit du référendum organisé par De Gaulle et aboutissant à sa démission. Il met en vignettes l’acte de candidature de Pompidou posé à Rome et narre l’obstination – suivie de son éviction – d’un journaliste, victime collatérale des manipulations qui touchaient alors la figure de l’ex-Premier ministre. Amer, ce dernier finira tout de même par soutenir De Gaulle dans son référendum, avant de lui succéder à l’Élysée. Il faudra probablement attendre la déclassification de documents confidentiels pour faire toute la lumière sur l’affaire Markovic – si tant est que les archives aient survécu aux autodafés dessinés dans l’album.
L’Affaire Markovic, Jean-Yves Le Naour et Manu Cassier
Bamboo/Grand Angle, août 2022, 88 pages