Depuis maintenant plusieurs mois, les salles de cinéma ont rouvert leurs portes, pour notre plus grand plaisir. A cette occasion, la rédaction du Magduciné se remémore quelques scènes de films se déroulant dans une salle de cinéma. De Holy Motors à Vivre sa vie ou même La Rose pourpre du Caire, l’éventail est large.
Inglourious Basterds de Quentin Tarantino
Avec Inglourious Basterds, Quentin Tarantino narre le parcours d’une jeune juive qui tente de retrouver l’auteur du massacre de sa famille, via le prisme du désir de vengeance. Shosanna (interprétée par Mélanie Laurent) ira jusqu’à trafiquer le montage d’un film, dans le but de faire passer un message aux fascistes allemands, accompagnés par Hitler lors de la projection, avant de les tuer. Le spectateur devient témoin de l’évolution de Shosanna. L’actrice devient elle-même le miroir de son pire ennemi, illustré par son rire accompagnant le feu et détruisant l’écran et la pellicule. Le génie de Tarantino réside dans les parallèles qu’il arrive à construire, via une mise en scène percutante et intelligente. Les spectateurs allemands prisonniers d’un cinéma en feu, tentant de sortir par tous les moyens pour fuir une mort certaine, nous rappelle les chambres à gaz dans lesquelles suffoquaient les juifs pendant la Shoa.
Cet extrait mythique a aussi un rôle cathartique pour le spectateur, qui peut finalement prendre du plaisir à visionner cette intense scène de représailles, après toute la douleur vécue par Shosanna lors de son épopée tragique. La scène de la fusillade qui suit nous montre également que Q.T. n’est pas avare en termes de violence, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’illustrer une vengeance (cf. Django Unchained).
Fred Jadeau
Gremlins de Joe Dante
Très célèbre, la « scène du cinéma » du film Gremlins de Joe Dante est, à l’image du reste du long-métrage, drôle et décalée. On y retrouve les vils Gremlins qui se délectent du visionnage de Blanche-Neige et les Sept Nains, dans un cinéma, de nuit. En effet, ils ne peuvent supporter la lumière du jour. C’est une scène marquante car elle représente toute la facétie dont font preuve ces créatures, mais également la liberté du réalisateur déjà cité et du scénariste Chris Colombus. C’est une comédie horrifique qui ose et qui réussit brillamment à divertir son spectateur, et, pour peu qu’on l’ait vu à un jeune âge, devient un « film-doudou » qui nous accompagne dans notre parcours de cinéphile. En somme, cette scène cristallise les souvenirs et la mélancolie propre au médium cinématographique, à cet art si beau qui nous enchante depuis plus d’un siècle, tout en réussissant à montrer que le cinéma peut toucher chacun d’entre nous, et même des Gremlins. Chacun a en soi cette scène qui le rend heureux et lui rappelle de beaux souvenirs, et pour moi c’est celle-ci.
Flora Sarrey
Holy Motors de Leos Carax
Holy Motors commence comme un rêve, celui d’un homme qui traverse un mur pour se retrouver dans une salle de cinéma. La tentation de commencer ce récit de cinéma, de contrevérités et de chemins de traverses par cette scène inaugurale, pleine du fantasme de la toute puissance de la salle de cinéma, était trop forte, mais elle est surtout bienvenue. La salle se déploie sous nos yeux, de nuit. Le corps de l’acteur s’y aventure et s’y trouve finalement à sa place devant l’écran blanc qui ne diffuse rien. Cette scène redonne toute sa force à la salle de cinéma, à son pouvoir de transmission des images, de création imaginaire. On y découvre un acteur qui peu à peu va se transformer sous nos yeux, aller toujours plus loin. La salle de cinéma n’est pas ici un lieu de rencontre (Plaire, aimer et courir vite) ou d’émerveillement (Cinema Paradisio), mais celui où les corps du spectateur comme de l’acteur règnent en maîtres.
Chloé Margueritte
La Rose pourpre du Caire de Woody Allen
Avec La Rose pourpre du Caire, Woody Allen réalise le fantasme d’innombrables cinéphiles : non pas rencontrer un acteur, une actrice ou un cinéaste culte, mais bel et bien un personnage de film. Qui n’a pas rêvé de tailler une bavette avec Snake Plissken, de pousser la chansonnette sous la pluie avec Donald Lockwood ou de partir en vacances avec Jack Torrance… Bon, d’accord, mauvais exemple… Dans La Rose pourpre du Caire, Woody Allen met en scène une protagoniste, Cecilia, qui se console de sa triste vie en allant régulièrement au cinéma, et va voir pour la énième fois le même film. Du coup, un des personnage la reconnaît, l’interpelle et sort carrément de l’écran pour prendre chair dans la “vraie” vie. Ce n’est pas la première fois que Woody Allen “brise le quatrième mur” : dans Annie Hall, par exemple, il dialoguait directement avec les spectateurs. Là, il pousse la proposition le plus loin possible, et offre alors à la fois un hommage passionné au 7ème art et une réflexion sur le rapport entre l’art et la vie. Ainsi, il nous rappelle que notre rapport à une œuvre d’art est d’abord une question d’émotion personnelle et de subjectivité, et qu’un film est autre chose qu’une simple technique, de même qu’un personnage est autre chose que l’acteur qui l’interprète. C’est en nous, spectateurs, que le film prend toute sa valeur et devient une véritable expérience sentimentale.
Hervé Aubert
Vivre sa vie de Jean Luc Godard
Vivre sa vie est un film de l’errance, dont le personnage principal, Nana (interprété magnifiquement par Anna Karina), est rongé par la solitude. Dans une ville en mouvement perpétuel, dans un monde de bruit, dans une fuite inexorable du temps vers la mort, Nana crée, au détour de tableaux narratifs décousus, ses propres alcôves d’immobilité et de silence. La scène du cinéma en est un parfait exemple : Nana est plongée dans le noir et son visage, en pleurs et filmé en gros plan, renvoie à celui de Maria Falconetti dans La Passion de Jeanne d’Arc de Dreyer, alors projeté à l’écran. Un choix évidemment lourd de sens de la part de Godard : Nana est une sorte de martyre moderne, femme sacrifiée et incomprise ; mais c’est aussi un film muet qui fait écho à ce questionnement existentiel sur le langage, sur le besoin de se taire et de contempler pour renouer avec l’émotion. De la même manière que Jeanne ne peut expliquer les voix qui semblent l’animer, Nana échoue à poser des mots sur ses sentiments ; et leur refus respectif entraîne une marginalisation, un enfermement en soi sans doute salutaire mais en pratique excluant. Lorsque les larmes d’Anna Karina coulent sur son visage ingénu, devant un monument du cinéma et un personnage historique si chargé, Godard fait prendre conscience à son personnage de sa solitude qu’elle découvre être non pas réellement « partagée » par le personnage qu’elle contemple à l’écran, mais tout aussi destructrice et universelle. Une scène bouleversante qui, alors qu’elle intervient assez tôt dans le récit, annonce déjà presque tout le reste du film.
Jules Chambry