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Retrospective de Films de Noël : Gremlins

Roberto Garçon Redacteur sur le MagduCiné

Pas de repas après minuit, fuir la lumière du soleil et éviter l’eau… Respectez ces trois règles ou votre sublime mogwaï ne sera bientôt qu’un affreux lutin vert. Avec Gremlins, Joe Dante signe une fable satirique culte où derrière l’humour se cache une morale claire et universelle. A travers ce conte gentiment horrifique, le réalisateur dépeint à la fois sa vision du cinéma mais délivre aussi un récit où les pires monstres ne sont finalement pas ceux à qui l’on pense.

Ne pas l’exposer à la lumière du soleil, ne pas l’approcher de l’eau et surtout ne pas les nourrir après minuit… Ces trois règles, désormais cultes, empêcheront notamment de transformer votre Mogwaï, adorable bestiole poilue, en terribles créatures vertes… les Gremlins. Évidemment chacune des ces règles sera transgressée et sera un élément clé pour faire avancer le récit. Sorti en 1984, le film est réalisé par Joe Dante, réalisateur culte du cinéma d’horreur, papa de Hurlements et Piranhas. L’histoire se concentre sur l’arrivée d’un mogwaï , une petite bête attachante, dans le foyer du jeune Bill, dans la paisible ville américaine de Kingston Falls. Malheureusement cette créature donnera vite naissance à des lutins terrifiants prêts à détruire la ville.

On vous présente ce film dans le cadre de notre rétrospective des films de Noël. On peut aisément se demander qu’est-ce qu’un film de Noël ? Est-ce un film qui fait de la fête de Noël le centre de son récit ou simplement un film qui se passe durant cette période ? Y répondre de manière absolue serait vain tant la variété des films de notre rétrospective offre des réponses différentes à ces questions. Alors que vient faire Gremlins ici ? A priori, le long-métrage de Joe Dante parle bien de monstrueuses petits êtres qui saccagent une petite ville tranquille des États-Unis. Et il s’agit bien de cela mais pas seulement. Grâce à un détail : l’aventure se passe lors des fêtes de Noël et enveloppe le film dans un registre bien particulier : celui du conte de Noël. Une ville paisible, une petite bête mignonne et inoffensive, et des méchants monstres hostiles à l’esprit de Noël. Ce n’est pas sans compter sur l’humeur horrifique et son ton décalé de Joe Dante pour transformer ce tableau enfantin en une hilarante fable satirique et monstrueuse. « Pendant que certains ouvrent leur cadeau, d’autres s’ouvrent les veines » clame Kate à Bill sous la neige, alors que le thème de Noël retentit. D’ailleurs plus loin dans le film, Kate expliquera comment son Noël, symbole de joie et d’amour, s’est transformé en cauchemar.

Un amour du cinéma

C’est sur ce curieux équilibre que fonctionne parfaitement l’œuvre de Joe Dante. Le projet naît de la collaboration entre Dante, donc, qui apporte sa passion pour le cinéma de genre et de monstres, Chris Colombus, réalisateur des deux premiers Harry Potter, qui délivre la dimension enfantine, et puis évidemment Steven Spielberg qui apporte son savoir-faire hollywoodien. Il sera d’ailleurs à l’origine de quelques modifications du scénario, la trame originale étant bien plus sombre et macabre. En effet, la mère de Bill devait être décapitée alors que son chien aurait été dévoré par les monstres. D’ailleurs, notre cher Gizmo devait au départ devenir le gremlin à crête blanche, avant que Spielberg ne décide de le préserver de ce destin funeste.

Avec ce film, Joe Dante signe une merveille d’humour noir qui concilie à la fois son amour du cinéma et celui des monstres. Car si un film respire la cinéphilie de son réalisateur, c’est bien Gremlins de Joe Dante. Les références au 7ème art sont omniprésentes dans le film et renvoient sans cesse le spectateur à sa propre consommation du cinéma. Entre les gremlins qui regardent Blanche Neige et les Sept Nains au cinéma, Gizmo qui s’émeut devant Pour Plaire à sa belle, ou La vie est belle que la mère de Billy regarde à la télé, des extraits de films discutent sans cesse le rapport entre les protagonistes et leur manière de réagir aux œuvres. Pour l’anecdote, Dante révèle avoir commencé sa cinéphilie avec Blanche Neige et les Sept Nains.

Les Gremlins, monstres de cinéma

Les gremlins, impolis à souhait, ne respectent en rien l’œuvre qu’ils regardant, brayant, hurlant.. Dans le second volet, ils iront même jusqu’à déchirer la bobine de leur propre film. La mise en abyme est totale. Si l’on garde cette analogie au cinéma, les personnages des gremlins représentent vite ce que Hollywood peut faire de pire. Il est bon de rappeler qu’issu du cinéma de genre et de série B, Joe Dante fait, à l’époque, office d’outsider dans les productions américaines déjà bien huilées. Nourri à la pop culture, alors qu’elle était encore considérée comme triviale par le grand public, Joe Dante a assisté pendant les années 80 à l’appropriation des grands studios de cette culture, alors plus souterraine.

Le parallèle se fait alors très vite avec la trame du film. Gizmo est tapi dans l’ombre et l’inconnu à Chinatown, où il est préservé du monde extérieur. Le père de Bill, créateur d’inventions ridicules et vite obsolètes, vient l’acheter sans respect des conditions du propriétaire. On peut donc le considérer comme un producteur véreux qui vient mettre ses mains sur une entité bien plus pure que ses intentions. A l’image donc des grands studios qui se sont accaparés une culture plus underground qu’ils préféraient décrier quelques années plus tôt. Cette idée ira encore plus loin dans la suite où un entrepreneur, simili de Trump, tiendra à raser Chinatown à tout prix pour y construire un ersatz désincarné et faux. Gizmo incarne donc cette pureté à ne pas toucher, d’où les règles très strictes à respecter.

Malheureusement une fois touché par l’eau, agent extérieur visiblement loin de l’écosystème des mogwaï, Gizmo se multiplie et offre des versions bien plus bâtardes de ce qu’il est. Ces mêmes bâtards qui après avoir mangé après minuit se transforment en gremlins. Comme si la règle symbolisait la surconsommation. A travers la reproduction d’un unique et tendre mogwaï en de dizaines de créatures dégénérées, on peut voir la déclinaison d’une œuvre en une multitude de produits dérives et de suites qui en ruinent l’essence. Tout le long du métrage, la horde de gremlins tient à tout prix à ruiner la vie de Gizmo, comme si cette nouvelle masse illégitime voulait dominer à tout prix sur ce qui lui a précédé, quitte à écraser ses origines et donc la dernière once d’innocence et de pureté. Cela peut représenter la violence avec laquelle Hollywood traite ses auteurs et ses licences. De plus, une fois exposés à la lumière, les Gremlins fondent et meurent. Leurs apparences monstrueuses laissent alors place à un aspect globuleux encore plus hideux et terrifiant. Comme si une fois la nature marketing et malhonnête des ersatz filmiques révélée, la mascarade qu’ils représentent pouvait prendre fin. Cette critique est d’autant plus pertinente que quelques années plus tard, Joe Dante sera boycotté par Hollywood pour ne pas vouloir compromettre ses films afin de vendre des jouets. A l’image du Mogwaï qui finit par quitter la ville américaine, Joe Dante n’avait peut-être finalement pas sa place dans un Hollywood hypocrite et trop nauséabond pour son art.

D’ailleurs, l’histoire ne prend réellement fin que lorsque le propriétaire vient chercher Gizmo, insistant encore plus sur l’un des messages du film. « Vendu, vous donnez à ce mot un sens particulier, vous lui avez appris à regarder la télé… » s’étonne-t-il face au père de Bill. Le système de vie américain aurait totalement corrompu Gizmo, aux yeux de son propriétaire. Cette critique de la surconsommation et de l’appropriation véreuse s’étend encore plus loin lors de cette réplique du propriétaire : « Vous faites avec Mogwai, ce que vous faites avec tous les dons que la nature vous a offerts ». Un parallèle avec la destruction de l’environnement par l’homme, sujet encore plus d’actualité aujourd’hui, se dessine facilement. Les véritables créatures sont celles qui saccagent à la fois leur propre univers culturel et environnemental.  Ces terribles bestioles incarnent quelque chose d’encore plus primaire : la perfidie pure, la cruauté, l’avidité, la bêtise. Autant de traits que nous humains partageons avec ces créatures. Pour Joe Dante, les gremlins sont loin d’être les seuls monstres qui gangrènent le monde.  Derrière son emballage d’humour noir et satirique, Gremlins est définitivement un conte de Noël avec une morale bien claire et universelle.  Si cette œuvre nous apprend quelque chose, c’est que certaines choses doivent être préservées et protégées, à moins de se transformer en monstres hideux…

Gremlins : bande-annonce

Gremlins : Fiche technique

Réalisation : Joe Dante
Scénario : Chris Colombus
Interprètes : Zach Galligan, Phoebe Cates, Hoyt Axton, Frances Lee McCain
Photographie : John Hora
Montage : Tina Hirsch
Producteurs : Michael Finnel
Sociétés de production : Amblin Entertainment et Warner Bros
Genre : comédie horrifique, fantastique
Durée : 105 minutes
Date de sortie : 5 décembre 1984

France – 1984