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Les plus beaux monologues au cinéma : La 25ème Heure, Annie Hall, Stalker…

Parfois, un personnage commence à parler et ne s’arrête plus. Seul face à lui même ou face aux autres, il nous éblouit par sa prestance et sa perspicacité à décrire le monde ou les émotions qui l’entourent. Avec cet article, la rédaction du Magduciné vous explique quelques tirades marquantes du cinéma. Liste non exhaustive qui pourrait en comporter bien d’autres (Blade Runner…).

La 25ème Heure de Spike Lee

Sorti en 2002, La 25ème Heure était l’un des premiers films à aborder les conséquences du 11 septembre sur les habitants de New York. Et l’incident, finalement très peu évoqué pas les protagonistes, n’est pas central à l’intrigue. Pourtant il hante l’œuvre dans son ensemble. Spike Lee y décrit le sentiment de malaise, d’incompréhension et de paranoïa de l’Amérique au lendemain du drame. Mais les maux sont déjà plus profonds dans cette ville où les personnages, souvent réduits à leurs origines (Jacob est juif, Monty est irlandais, Naturelle est portoricaine), témoignent de rapports sociaux ultra-codifiés, ou chaque groupe reste distant des autres, très loin de l’idéal cosmopolite souvent associé à la mégalopole. Une situation que Monty Brogan critique justement au cours de son monologue culte où il en vient à blâmer tout New York pour sa descente aux enfers. À 40 reprises en seulement cinq minutes, le mot « fuck » est prononcé dans cette scène, témoin de l’omniprésence du racisme et de la xénophobie. Une séquence surtout allégorique puisque cette tirade se présente comme un miroir de l’Amérique, cherchant avec hypocrisie à blâmer les autres pour les incidents qui lui sont arrivés. Seulement Monty lui, finit par accepter sa propre culpabilité. Pour Spike Lee, les États-Unis pourraient donc en faire autant…

Thomas Gallon

Manhattan de Woody Allen 

Un lever de soleil sur les immeubles de Manhattan. Des scènes de rues, la foule qui se presse sur les trottoirs, les travaux, les boutiques, les calèches, Central Park, les taxis, les rues enneigées… le tout dans le sublime noir et blanc façonné par Gordon Willis. La musique de Gershwin, dont les envolées aériennes semblent émaner de la ville elle-même et procure aux images un lyrisme émouvant. Et, en voix off, un homme qui égrène différentes versions du premier chapitre de son roman. Et dans ce chapitre, dans ces propos, se note toute l’admiration du cinéaste pour « sa » ville. D’ailleurs, dès les premiers mots, c’est le rapport entre New York et lui qui est mis en avant. C’est bel et bien une vision subjective, voire  plusieurs visions subjectives qui nous sont montrées. L’avantage du procédé employé ici par Woody Allen, c’est que chacune des versions de ce « chapitre 1 » met en valeur une des facettes de la ville. New York, c’est le romantisme, l’individualisme, la métaphore du monde occidental contemporain dans tout ce qu’il peut avoir de meilleur et de pire.

Hervé Aubert

Annie Hall de Woody Allen 

Alvy Singer est Woody Allen et Woody Allen est Alvy Singer. Disons-le autrement : dans « Annie Hall », le père de « Manhattan » met en scène le spectacle doux-amer de sa propre existence. L’histoire d’amour irriguant le film n’est autre qu’une version cinématographique de sa romance passée avec Diane Keaton. Et c’est un ersatz un brin caricatural du cinéaste new-yorkais qui ouvre le bal en brisant le quatrième mur dans un monologue mémorable. Pour quoi faire ? Se plaindre de la vie, se morfondre de ses insatisfactions, évoquer Freud et Groucho Marx, s’épancher sur sa calvitie naissante ou ses relations difficiles avec les femmes. Du Woody Allen porté à incandescence. « Vous connaissez cette blague ? C’est deux vieilles dames qui sont dans une une station de ski des Vosges, et il y en a une qui dit : « Et ben, on peut pas dire qu’on se régale ici !» Et l’autre répond : « Ah ça, ne m’en parle pas ! Et puis les portions sont tellement riquiqui ! » Hé bien, voilà mon sentiment général sur la vie… » C’est par ces mots las et désabusés que débute un discours vif et sophistiqué si représentatif du cinéma allénien qu’il en deviendra l’un des symboles. Ralph Rosenblum, chargé du montage, amputera certes la séquence pour recentrer l’intrigue sur les relations amoureuses du héros, mais elle n’en demeure pas moins jouissive.

Jonathan Fanara

JFK d’Oliver Stone

Il commence par un dispositif très classique, un montage tout juste digne des vieilles séries juridiques des années 50, sans couleur, sans profondeur. Un avocat plaide sa cause, touche ses dossiers, rehausse ses lunettes épaisses, et un chapelet de plans de réaction vient le saupoudrer de ce que l’on doit penser. Il faut soutenir cet orateur, quoiqu’il advienne. Pris isolément, des yeux de 2020 pourraient instinctivement rejeter cette mise en scène ampoulée, qui se démène pour imposer une morale à un des pires moments de l’histoire des Etats-Unis avec la légèreté d’un mauvais cours d’éducation civique. Dans la salle d’audience, une femme s’évente. C’en est trop. Si on était avec elle, on regarderait à droite à gauche, en cherchant une occasion de se barrer discrètement. Et puis, petit à petit, à partir de ce point de bascule, le cinéaste, sournoisement, laisse une voix chasser le découpage. Elle nous ramène dans le film, devient légèrement plus aigüe, en VO, de ce timbre que Kevin Costner manie courageusement sur le fil du rasoir. On ne souhaite plus en finir tout de suite, cela devient prenant et on constate soudain qu’on est embarqués depuis déjà plus de deux minutes dans un plan séquence sonore, qui a pris le pas sur des images qu’il a capté, elles aussi, et coulent désormais avec fluidité et élégance sur les dernières secondes d’un monologue où l’orateur se laisse étreindre par l’émotion du grand perdant. Debout pendant le naufrage, il tient encore, en nous y embarquant avec lui. Le pays qui occulte la vérité n’est pas celui où cet homme est né, ni celui où il souhaite mourir. Une réplique pleine de sens, comme des dizaines d’autres, d’un film bien plus que poignant : il joue encore à hanter le cinéma. Depuis, ce discours résonne encore, le JFK d’Oliver Stone a changé plusieurs fois de nature, tantôt éclairé, paranoïaque, obscur et fou, parfois tout cela à la fois. Mais les dernières secondes de cet échange ténu entre auditeur, spectateur, son et images redonnent viscéralement vie au cinéma tel qu’on oublie qu’il est et restera, dans un regard caméra brisant le quatrième mur : « c’est à vous de jouer ».
Romaric Rouan 

Call Me By Your Name de Luca Guadagnino

Un moment suspendu. Une conversation entre un père et son fils en toute simplicité mais qui touche par la préciosité de ces échanges authentiques rares, dans lesquels il ne s’agit pas de tricher mais bien plutôt de s’ouvrir. La scène est belle et marque par sa sobriété. Le cadre, tout aussi pur, reflète la sincérité d’un père pour qui l’histoire du fils a réveillé bien des choses et la pureté de ces liens indicibles. Son juste monologue, tout en sensibilité, met un point d’honneur à la passion qui aura animé Elio et Oliver le temps d’un été et qu’il vient sublimer. Le temps de la séparation. La douleur de la fin. Une lueur croît au cœur de la peine ; et le père d’Elio lui rappelle, nous rappelle, combien c’est précieux de ressentir. “But to feel nothing so as not to feel anything — what a waste !”. Et ces mots doivent résonner encore, pour Elio, pour nous tous. Chérir le sentiment, chérir le souvenir, celui que la douleur nous laisse pour trace d’un Amour parti, Amour qui excède toutes les frontières et brouille tout repère, Amour qui cristallise ces temps certes révolus, mais avant tout heureux. Une véritable ode au sentiment, celui qui bouleverse mais qui avant tout anime, ode à ces rondes des corps et des cœurs qu’on voudrait éternelles. Parce qu’après tout ressentir, c’est aussi être vivant.
Audrey Dltr

Stalker d’Andrei Tarkovski 

Stalker tient son titre du personnage le plus discret et a priori le moins important du film, en tout cas celui censé s’effacer derrière ceux qui font appel à lui. C’est la figure de l’éclaireur, qui ouvre la voie et guide le Scientifique et l’Écrivain vers le cœur de la « zone », sorte de forêt vierge aux feuilles de rouille et aux lacs d’eau croupie, lieu interdit des fantasmes dont le centre, une fois atteint, aurait la vertu d’exaucer nos vœux les plus profonds. À la différence des deux autres personnages, qui découvrent en même temps que le spectateur cet univers silencieux et inquiétant, le « stalker », lui, n’est jamais dans une posture réflexive ou d’émerveillement : c’est son travail de faire entrer des inconnus et de la mener au centre du « labyrinthe ». Il connaît chaque sentier, chaque buisson, si bien qu’il paraît lassé par une tâche répétitive et peu gratifiante. Là où tous les visiteurs se servent de lui pour atteindre leur but, le stalker n’est qu’un passeur qui ne va jamais lui-même « au bout », qui n’ose jamais franchir le seuil et préfère cultiver le mystère de la « Chambre ». Le Scientifique et l’Écrivain dissertent sur la vie, l’art, la religion, la science, la littérature ; le stalker se tait et trace la route, ou se repose à l’écart. Pourtant, face à la Chambre, il s’effondrera une première fois, à genoux, criant son désespoir à ses deux compagnons quant à la vacuité de son existence. Un premier monologue touchant, qu’un second, conclusif, viendra compléter. Car une fois le voyage achevé et de retour chez lui, épuisé, en pleurs devant sa femme, le stalker extériorisera sa rage à l’encontre d’une humanité qui ne croit plus en rien, désenchantée, ayant perdu toute forme de foi. Dans un sépia magnifique témoignant de cette morosité du monde moderne, « sans couleurs » car désabusé, c’est Tarkovski lui-même qui se confesse à son spectateur : peur d’un monde où le ciel est vide, peur d’un culte des apparences et du faire-valoir, peur de la monétarisation de la vie même, peur de la perte  de sens générale des choses. « Personne n’a besoin de la Chambre », car les gens ont « les yeux vides ». Le cinéma de Tarkovski n’a peut-être jamais paru si triste, et pourtant si beau.
Jules Chambry 

M Le Maudit de Fritz Lang

Le monologue final de Hans Beckert, interprété par Peter Lorre, appartient depuis près de 90 ans au répertoire du cinéma classique. Le tueur d’enfants surnommé M le Maudit se voit pourchassé tout au long du film par la police et des groupes mafieux. Acculé, dans une ultime tentative d’éviter un lynchage public, Hans Beckert improvise un tribunal de fortune au milieu de la foule des criminels. Dans ce monologue édifiant, le tueur en série expose avec force tous les tourments de sa pathologie psychique. Il évoque les pulsions meurtrières incontrôlables dont il est victime ainsi que la dissociation de sa personnalité. Il soutient également qu’il ne se souvient pas de ses actes, qu’il se sent continuellement poursuivi par les enfants qu’il a tués et leurs mères. Dans ce discours rhétorique, il plaide avec brio son irresponsabilité pour cause de trouble mental en demandant : « est-ce vraiment moi qui ai fait ça, si je ne m’en souviens même pas ? ». Grâce à ce monologue, le spectateur change de regard sur l’effrayant tueur d’enfants. L’ombre implacable, jusqu’alors invisible, tel un mal sans nom, prend le corps et la voix d’un homme malade et repenti. Cette longue tirade confère ainsi à M le Maudit tout son caractère dramatique et en fait un précurseur des nombreux films consacrés aux tueurs en série.
Ariane L. Emmanuelle

Django Unchained de Quentin Tarantino 

Quentin Tarantino a toujours eu l’incroyable talent de créer des personnages mémorables et de leur donner des répliques cultes, sous forme de tirades expéditives ou de longs discours verbeux. Dans Django, c’est le terrifiant Calvin Candie, riche propriétaire terrien et esclavagiste, qui a marqué les esprits par son monologue lors du dîner avec Django et le docteur Schultz, venus négocier la vente de Brunhild. Dans cette célèbre scène du crâne, Calvin Candie donne à ses invités une véritable leçon d’anthropologie destinée à démontrer la servitude naturelle des Noirs. Parodiant le monologue d’Hamlet, il raconte l’histoire du propriétaire du crâne, un esclave nommé Ben, qui ne s’est jamais révolté malgré ses nombreuses occasions de s’enfuir. Pour finir sa démonstration, Calvin Candie, incarné par un exceptionnel Leonardo Di Caprio, défonce brutalement le crâne de Ben avec un marteau. Alors que la scène atteint l’apogée de sa tension, il est subitement interrompu par son intelligent majordome, qui a deviné les réelles intentions de Django et du docteur Schultz. Ce monologue mémorable s’inscrit ainsi parfaitement dans le système d’écriture de Quentin Tarantino, dans lequel la tension et la violence succèdent rapidement au verbe.
Ariane L. Emmanuelle

Paris Texas de Wim Wenders 

Après des années d’errance, Travis retrouve Jane, cette dernière travaillant dans un peepshow. Face à face, séparés par une glace, Travis décide de prendre le téléphone disposé à coté de lui pour dire tout ce qu’il ressent à Jane. Elle ne le voit pas, mais lui oui, et c’est alors qu’il décide de se retourner pour ne pas plus voir son visage et énoncer tout ce qu’il a sur le coeur, chacun comme dos à dos, où les mots vont alors sortir dans le vide et dans l’inconnu. Et même si Jane répond avec parcimonie, ce sont surtout ces larmes qui répondront à ce monologue. A l’image de ce road movie existentiel, cette séquence, magnifique pour son cadre et la prestation de ses deux acteurs, révèle toute la tristesse d’un long métrage à fleur de peau. C’est toute la pesanteur du film qui se répercute dans les mots de Travis qui narre la naissance d’un amour, les sacrifices et les perturbations d’un couple, qui malgré la distance et le temps, ne peut disparaitre d’un claquement de doigts dans le désert du Texas. Pas d’éclats de voix, ni de vociférations amoureuses ou même de dispute, la scène vient presque clôturer un film où le calme ambiant est proportionnel à la desespérance et à la culpabilité latentes des personnages.
Sébastien Guilhermet

Le Dictateur de Charlie Chaplin 

Le Dictateur est le premier film entièrement parlant de Charlie Chaplin, après ses balbutiements des Temps modernes. Chaplin y incarne en même temps une parodie d’Hitler, en la personne d’Hynkel, et un barbier juif dans la continuité de son personnage de Charlot. L’un profère des discours inaudibles dans un yaourt aux consonances germaniques ; l’autre parle peu, discret, et subit les événements avec une candeur silencieuse. Leur similitude physique aboutira à un quiproquo final des plus jouissifs et étonnants, où le barbier juif prendra la place du dictateur à l’insu de tout le monde pour prononcer un discours déconstruisant des années de guerre et de haine, devant un auditoire stupéfait mais toujours aussi passivement suiveur, quels que soient les mots prononcés. Si la scène est un sommet de cinéma, c’est d’abord parce que le barbier, qui n’avait jusqu’alors pas confiance en lui et redoutait, tout tremblant, que la supercherie ne fût découverte, acquiert d’un seul coup une assurance et un don d’orateur inattendus. Ensuite, c’est parce que de voir un juif des ghettos s’avancer sur l’estrade pour prononcer un discours pacifiste, tolérant, anti-militariste et humaniste, entouré de haut-gradés nazis et d’un peuple habitué au harangues antisémites, est la plus douce et savoureuse des vengeances, la plus belle des uchronies. Grimé en Hitler/Hynkel, mais avec un cœur de Charlot, Chaplin émeut comme rarement il aura su le faire avec de simples mots. Sans sa pantomime habituelle, et malgré le déguisement, il se donne au spectateur presque à nu ; et ses mots, certes un peu naïfs mais si honnêtes et bienfaiteurs, ne peuvent qu’éblouir. Quelques années plus tard, après que la Shoah aura été mise à jour et les agissements des nazis révélés, Chaplin confessera qu’il n’aurait pas été capable d’écrire un tel film s’il avait eu connaissance, dès 1940, de certaines réalités. Le cinéma tient à peu de choses, parfois.
Jules Chambry