Riche en réflexion et en émotions, Robot Dreams (Mon Ami Robot) déroule une fable sur les limites d’une amitié, fragilisée avec le temps. Ce film d’animation met tout en œuvre pour que son dispositif, sans dialogue, reste aussi communicatif que possible. Difficile de ne pas tomber en amour pour un chien solitaire et son robot de compagnie. À destination des plus jeunes et des plus nostalgiques, ce bijou de douceur révélé à Cannes et Annecy 2023, puis célébré de tout part en Espagne, sera disponible en DVD et Blu-ray dès ce 24 juillet.
Synopsis : DOG, vit à Manhattan et la solitude lui pèse. Un jour, il décide de construire un robot et ils deviennent alors les meilleurs amis du monde ! Par une nuit d’été, DOG avec grande tristesse, est obligé d’abandonner ROBOT sur la plage. Se reverront-ils un jour ?
Après Torremolinos 73, Blancanieves et Abracadabra, il n’est pas étonnant de retrouver Pablo Berger aux commandes d’un nouveau conte sur lequel il peut explorer et développer sa matière stylistique et parfois surréaliste. En revanche, lui-même était loin de se douter qu’il ouvrirait les portes de l’animation pour donner un second souffle au roman graphique de l’américaine Sara Varon. La particularité de l’ouvrage est qu’il n’y a aucun dialogue pour préciser les actions, les pensées ou les émotions des personnages. Cet exercice n’est pourtant pas inconnu au cinéaste espagnol, passionné de Buster Keaton, de l’art muet en général, à la mise en scène de George Méliès et qui a cuisiné Blancanieves dans le même moule.
Beware the lonely dog
Et dans ce « silence », nous découvrons la fragilité de Dog, un anonyme dans le paysage de la Grosse Pomme. Mal dans sa pause, complexé par sa physicalité et sa nature introvertie, il se commande alors un Amica 2000 pour conjurer la solitude qui le ronge au quotidien. Ce robot est doté d’intelligence, mais il a tout à apprendre de ce monde où il naît. Commence alors une amitié qui les emmènera vers une route semée d’embûches et de contretemps en tout genre. Mais laissons d’abord place à l’euphorie du moment, un premier émoi qui opère entre les deux inséparables qu’ils sont. Dog et Robot ne se quittent plus et vadrouillent au cœur d’un New York très animé, pop et coloré. Dog retrouve le sourire et revit enfin, tandis que Robot est de nature observateur et curieux. Son mimétisme dans les rues est touchant et donne lieu à des maladresses souvent amusantes.
Sans nécessairement hériter d’un design « élaboré », seuls quelques lignes sur les visages des personnages suffisent à capter leurs sentiments dans le vif. Wes Anderson s’y était déjà essayé avec son Île aux chiens dans un jeu de regard pertinent. Gints Zilbalodis, avec Ailleurs et prochainement avec le sublime Flow, a également démontré que ce dispositif, a priori minimaliste, renferme beaucoup de richesses et notamment dans la matérialité du décor et des corps. Le film joue d’ailleurs sur la masse du Robot, coincé sur le sable froid d’Ocean Beach. Le pauvre Dog, incapable de venir en aide à son ami, doit alors évoluer dans l’attente de pouvoir le récupérer un jour.
Wake me up when september ends
Le temps passe et Dog n’a plus que ses souvenirs pour se rapprocher de Robot, toujours étendu entre la plage et un pays imaginaire assimilable à celui du Magicien d’Oz pour s’évader. Pablo Berger et son équipe façonnent donc toute la thématique de la mémoire, avec beaucoup de lyrisme et notamment à travers la chanson « September » du groupe Earth, Wind and Fire. Sans invoquer une énième outrance nostalgique aux années 80, le tube agit davantage comme une madeleine de Proust et un leitmotiv qui mute au fil des saisons. Elle rappelle ce New York des eighties du cinéaste, tout en gardant l’esthétique et le ton du roman graphique. On peut également penser à l’âge d’or du cinéma de Woody Allen, qui a cristallisé cette époque de Manhattan à Coney Island. Il ne s’agit donc pas de singer Zootopie, qui jouait plutôt sur la dualité bestiale des personnages. Ici, il est bien question de deuil, d’une absence, d’un vide à combler, autant pour Dog que le Robot qui se cherchent l’un et l’autre.
La seconde partie du récit nous donne assez de matière afin de sonder la psyché du Robot, qui finira tout de même de se relever de cette mauvaise passe. On s’attarde alors un peu moins sur ses facultés d’observation et davantage sur d’acceptation d’une séparation. Il doit grandir pour lui, en autonomie et en adéquation avec de nouvelles valeurs qu’il prendra le temps de nuancer. Un peu comme la créature de Frankenstein ou avec le conte de Pinocchio, ce robot est perpétuellement en quête d’apprentissage, tel un enfant qui rêve de devenir un être doté d’un cœur et d’une conscience. On nous rappelle cependant qu’il s’agit bel et bien d’un produit commercial, dont la dépendance et les limites ont subtilement été traité dans Her. Il peut être défectueux et, à court terme, remplaçable.
Ce n’est qu’au terme de ce voyage tourmenté que l’on découvre la beauté et la finesse de Robot Dreams, comme une douce extension de la nouvelle éponyme d’Isaac Asimov. Une ingénieuse utilisation du split screen nous bouleverse dans le climax, jusqu’à ce qu’on remette en perspective la notion du coup de foudre qu’il y a eu entre ces deux amis. À la force de tout un tas de séquences musicales et de situations burlesques, il en résulte un vibrant hommage à tous les amis que l’on a perdus et à ceux que l’on récupère en chemin.
Les bonus
Pablo Berger nous raconte comment l’amitié de Dog et de Robot lui rappelle le duo de Casablanca, qui possède également sa musique phare et nostalgique. De même, il expose des thématiques qui peuvent atteindre n’importe quel public, pourvu qu’il soit ouvert à son expérience sensorielle.
L’édition blu-ray, contenant deux cartes postales exclusives, regroupe suffisamment de témoignages pour prolonger notre excursion dans monde enchanté et désenchanté de l’autrice. Même avec un support aussi fourni que le roman graphique de Sara Varon, il a fallu donner vie, insuffler une âme à Robot Dreams, car « c’est tout un univers qu’il a fallu recréer » selon Yuko Harami, la coordinatrice musicale. Elle a suivi tous les projets de Pablo Berger jusqu’à ce film d’animation, dont le défi était de recréer l’ambiance sonore de New York dans les années 80. Elle nous raconte la démarche de documentariste qu’elle a dû adopter, tout en repérant les lieux emblématiques qui ont servi de base pour que l’échelle des bâtiments soit respectée.
Au-delà des animaux qui se promènent tout le long de l’intrigue, il est bon de rappeler à quel point la matérialité du décor nous plonge dans un univers assez proche du nôtre. On revient sur le processus qui a permis de passer de la prise de vue réelle à l’animation, avec beaucoup de passion et d’élégance. Vous l’aurez compris, New York est un élément central dans l’intrigue. L’ensemble des personnages qui peuple Manhattan et ses alentours constitue ainsi le cœur battant de cet univers, plus vivant que jamais. La magie se cache donc dans les détails et le film regorge de tout un tas d’individus en arrière-plan qui ont également leur propre histoire. Le jeu de piste ne s’arrête donc pas au premier visionnage, car nous aussi reviendrons chercher ce qui nous a manqué.
Bande-annonce : Robot Dreams
Fiche technique : Robot Dreams
Réalisation et Scénario : Pablo Berger (d’après le roman graphique de Sara Varon)
Directeur artistique : José Luis Ágreda
Directeur de l’animation : Benoît Feroumont
Directeur de production : Julián Larrauri
Concepteur des personnages : Daniel Fernández Casas
Montage : Fernando Franco
Compositeur : Alfonso de Vilallonga
Sound designer : Fabiola Ordoyo
Montage son : Yuko Harami
Mixeur : Steven Ghouti
Producteurs : Ibon Cormenzana, Ignasi Estapé, Sandra Tapia, Pablo Berger, Ángel Durández
Coproducteurs : Jérôme Vidal, Sylvie Pialat, Benoît Quainon
Production : Arcadia Motion Pictures, Lokiz Films, Noodles Production, Les Films du Worso
Pays de production : Espagne, France
Distribution France : Cinéart
Durée : 1h42
Genre : Animation, Comédie
Date de sortie au cinéma : 27 décembre 2023
Date de sortie VOD : 26 juillet 2024
Date de sortie DVD/Blu-Ray : 24 juillet 2024
Éditeur : Wild Side