Pathé continue son œuvre de restauration de films issus du patrimoine français avec Échec au porteur, un film policier singulier et très réussi avec Serge Reggiani, Jeanne Moreau, Paul Meurisse et Gert Froebe.
Le point de départ du film de Gilles Grangier reprend un thème classique du polar : un jeune homme, Bastien, qui fait des livraisons de drogue pour le compte d’un groupe de crime organisé, cherche à arrêter cette occupation. Il est désormais amoureux et veut mener une vie rangée. Et pour atteindre cet objectif, il a une idée farfelue.
La drogue que transporte Bastien est cachée dans un ballon de foot. Le jeune homme contacte un autre trafiquant, Adrien Osmets. Celui-ci récupère la drogue de son concurrent et la remplace par une bombe équipée d’un minuteur. Bastien est chargé de remettre le ballon à son destinataire d’origine.
Tout cela arrive en quelques minutes. Il faut à peine un quart d’heure à Gilles Grangier pour planter le décor et plonger le spectateur au cœur de l’action. De même, il ne faut pas longtemps pour comprendre que le plan est destiné à se transformer en drame.
Par l’aspect tragique du destin de Bastien, Échec au porteur prend parfois des allures de film noir. Cet aspect est aussi renforcé par le côté social du film : Gilles Grangier ne se contente pas de raconter une histoire de policiers et de criminels, il met en scène toute une humanité. Le moindre personnage secondaire est, ne serait-ce que le temps d’une scène, doté d’une profondeur humaine qui surgit au détour d’un dialogue ou à travers un regard, un geste, etc. Il y a la maman du gamin au ballon, qui cherche tant bien que mal à dissimuler son amertume suite au départ de son mari. Il y a le camionneur, le commissaire ou le jeune policier qui tremble lorsque l’on passe à l’action… Le film peut aussi se lire comme la description d’une vie urbaine ordinaire, quotidienne en cette fin d’années 50, cette époque où les banlieues de Paris étaient encore d’immenses terrains vagues où les gosses jouaient les jeudis.
Gilles Grangier fait preuve ici d’une grande finesse dans sa réalisation. Au lieu de tenir lourdement certains propos, il dispose sa caméra de façon à nous faire comprendre ce qui arrive. C’est ainsi que la caméra nous dévoile le rôle important, essentiel, du ballon sans même que Bastien n’ait besoin de dire quoi que ce soit. Il faut voir ces plans où le ballon est situé entre Bastien et sa fiancée, séparant déjà les deux amants de façon irréversible. Il faut voir cette cagette tombant de la camionnette puis écrasée avant de devenir un élément important pour l’enquête criminelle. Grangier sait employer de petits moyens pour signifier beaucoup.
Ce qui impressionne aussi dans la mise en scène d’Échec au porteur, c’est sa description minutieuse et réaliste du travail policier. Là aussi, les policiers ne sont pas des héros surhumains et ne sont jamais réduits à leur seule fonction : ce sont, eux aussi, de véritables personnages, que quelques répliques bien senties suffisent à approfondir. Mais aussi, Grangier filme le travail de la police avec une précision rare : le spectateur assiste littéralement à l’enquête jusque dans ses moindres détails (la paperasse, comment s’effectuait une identification d’empreintes digitales dans les années 50, etc.).
Malgré son rythme lent, Échec au porteur n’ennuie jamais, grâce à une action qui rebondit sans cesse. Au drame de Bastien et à l’enquête proprement dite s’ajoutent du suspense et même de l’action avec une fusillade finale. Le tout avec des personnages bien campés, interprétés par un casting quatre étoiles. En bref, un film certes peu connu, mais à redécouvrir.
Compléments de programme
Comme il est signalé dans un des compléments de programme, la restauration de ce film est la bienvenue et, comme c’est souvent le cas avec les film édités par Pathé, le travail est une réussite.
Le film est accompagné de trois suppléments.
Le premier est un bel entretien avec François Guérif et Noël Véry. Le père de celui-ci, Pierre Véry, était l’auteur des romans Les Disparus de Saint-Agil ou Goupi-mains rouges, et le scénariste d’Echec au porteur. Ensemble, ils évoquent le roman de Noël Calef, paru peu de temps avant, distingué par le Prix des Orfèvres et qui connut un grand succès. Les deux intervenants mentionnent la fluidité du récit malgré la complexité du scénario, le talent de Gilles Grangier, l’agencement astucieux du film et la qualité bienvenue de la restauration.
Le deuxième supplément de programme est constitué d’un entretien avec l’incontournable Bertrand Tavernier. Les propos du réalisateur ont été enregistrés en janvier 2021, peu de temps avant son décès. On ne verra pas le cinéaste à l’écran, et sa voix est marquée par la fatigue, ce qui rend le document encore plus émouvant.
Concernant les propos de Tavernier, il chante à juste titre les louanges du film de Grangier, “film qui gagne à chaque nouvelle vision et qui contient des scènes très réussies”. Il insiste sur le côté « sociologie de la banlieue » : selon lui, Échec au porteur parle d’un lieu qui disparaîtra ensuite du cinéma français. Bertrand Tavernier insiste sur tous cette humanité que l’on croise dans le film et qui en fait la spécificité, tout en vantant une impeccable direction d’acteurs.
Enfin, comme de coutume avec cette maison d’édition, on retrouve ici une actualité Pathé d’époque, qui nous montre l’attribution du Prix des Orfèvres au roman de Noël Calef (alors que l’immense Romain Gary recevait le Goncourt pour Les Racines du ciel).
En conclusion, une belle édition qui rend un juste hommage à un film qui mérite d’être redécouvert.
Caractéristiques du DVD
Durée : 83 minutes
Versions :
version française Dolby Digital Mono 2.0
Sous-titres anglais, sourds et malentendants
Compléments de programme :
Gilles Grangier, le cinéma de banlieue (18 minutes) (Entretiens avec François Guérif et Noël Véry)
Analyse du film par Bertrand Tavernier (16 minutes)
Archives Pathé : attribution du Prix des Orfèvres au roman Echec au porteur, de Noël Calef (1 minute)
Echec au porteur : bande annonce