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Starman (1984), de John Carpenter : coiffé au poteau

Film de science-fiction portant le sceau immédiatement reconnaissable des années 80, Starman pâtit du succès phénoménal d’un grand classique signé Steven Spielberg, sorti en salles à peine deux ans auparavant. Une mise en scène de bonne tenue, quelques belles idées narratives ainsi que le duo improbable formé par Karen Allen et Jeff Bridges méritent toutefois pour ce huitième opus de John Carpenter – et son dernier vrai succès commercial en tant que réalisateur – qu’on le sorte de l’ombre du gentil extraterrestre obsédé par un coup de fil à passer chez lui. Histoire d’une occasion manquée.

Aujourd’hui méconnu du grand public, Starman est un de ces films dont le parcours chaotique lui a sans doute fait rater le coche d’un succès d’envergure. Ce feuilleton à peine incroyable mérite d’être connu pour apprécier ce film dans le contexte qui l’a vu naître. Jugez plutôt. Pressé dès la fin des années 70 par Michael Douglas (dont la carrière de producteur est déjà émaillée à cette époque de plusieurs grands succès, alors que celle d’acteur ne prendra son envol qu’au milieu des années 80), le studio Columbia Pictures acquiert les droits d’adaptation du scénario du film écrit par Bruce A. Evans et Raynold Gideon, peu de temps avant de mettre une option sur un autre projet de science-fiction, celui d’un certain Steven Spielberg, intitulé Night Skies. La réécriture et la mise en production de Starman deviennent alors une saga qui s’étalera sur pas moins de cinq années, plusieurs scénaristes se succédant sur le projet. Mêmes vicissitudes concernant la réalisation : les cinéastes Adrian Lyne, John Badham, Tony Scott et Peter Hyams se relaient, avant que les producteurs du film confient enfin la responsabilité à John Carpenter. Pas étonnant, dans ces conditions, que Starman soit un des quatre seuls films de Carpenter qu’il n’a fait « que » mettre en scène (les trois autres étant The Thing, Les Aventures de l’homme invisible et le petit dernier en date, The Ward), lui qui est déjà à cette époque habitué à multiplier les casquettes. Ce n’est tout simplement pas son bébé, et il est peu de dire qu’il n’était pas le premier choix pour son poste. Alors que la mise en route de Starman patauge, la Columbia décide d’abandonner Night Skies, dont le potentiel commercial est considéré comme faible car son histoire semble plutôt destinée aux enfants. On en connaît qui ont dû se mordre les doigts jusqu’au sang : le script est racheté par Universal, renommé E.T., l’extra-terrestre et devient le classique que l’on sait… Dernier clou planté dans le cercueil du projet Starman : celui-ci a pour sujet l’arrivée sur Terre d’un extraterrestre que ses nouveaux amis humains doivent escorter jusqu’au lieu où ses congénères doivent le récupérer. Un récit furieusement proche du fameux E.T., sorti deux ans plus tôt.

La messe semble dite. Dans un monde purement rationnel, Starman n’aurait jamais dû voir le jour. Fort heureusement, Hollywood n’est pas toujours une machine rationnelle, et John Carpenter reçoit finalement l’autorisation de démarrer le tournage. Ça tombe bien, car les projets un peu foireux ne font pas peur à ce cinéaste débrouillard, habitué à tirer profit de l’adversité, d’autant que Starman est déjà son huitième long-métrage et qu’avec le carré d’as Halloween/Fog/Escape from New York/The Thing, il s’est bâti une sacrée réputation. Bref, Carpenter est l’homme de la situation et va rapidement le prouver. Avant même le tournage, il a ainsi l’intelligence de réclamer une énième réécriture du script, le scénariste Dean Riesner abandonnant à sa demande les connotations politiques du récit afin de se concentrer davantage sur le voyage que les deux personnages principaux vont accomplir ensemble. De fait, Starman peut être considéré comme un road movie fantastique, un cocktail assez rafraîchissant.

La trame narrative principale est simple : un vaisseau spatial extraterrestre est abattu par l’armée américaine alors qu’il tente d’entrer en contact avec notre bonne vieille planète. Son seul passager, qu’on ne connaîtra que sous son surnom « Starman », représenté sous la forme d’un halo lumineux, pénètre dans la maison d’une jeune femme et, usant de ses pouvoirs surnaturels, prend l’apparence d’un homme dont il voit la photo dans un album. La situation qui s’ensuit est certes invraisemblable mais elle crée un déchirement intéressant. En effet, la surprise de l’héroïne, Kenny Hayden (Karen Allen, la « Marion » d’Indiana Jones) est double : la terreur que lui inspire la transformation de l’extraterrestre en être humain devant ses yeux est brusquement court-circuitée lorsqu’elle constate que l’homme qui se tient désormais devant elle est Scott, son mari récemment décédé (Jeff Bridges). Le violent conflit des sentiments qui naît instantanément sera au cœur du récit et donne au film une tonalité particulièrement originale. Si le spectateur actuel ne peut que constater à quel point les effets spéciaux sont kitsch et datés, l’intérêt de Starman réside là où peu de films de science-fiction s’aventurent : le mélodrame. Une notable exception à cette règle étant bien sûr les œuvres de Spielberg, on y revient. Starman troque l’imaginaire enfantin d’E.T. contre une sentimentalité bien plus adulte, celle du deuil cruel de l’être aimé, un aspect subtilement introduit dans le film. Au départ, Starman représente pour Jenny le double sens du mot « alien » en anglais : un être originaire d’une autre planète, mais aussi un « étranger » d’autant plus troublant qu’il a pris les traits de cet homme qu’elle pleure encore. Le refus initial de Jenny d’aider cet invité indésirable dans son voyage vers l’Arizona où ses congénères doivent venir le récupérer, se mue lentement en des sentiments plus ambigus. Le point de basculement a lieu lorsque son drôle de compagnon ressuscite devant ses yeux un cerf abattu par un chasseur, acte merveilleux qui permet à Jenny de renouer soudain avec ses sentiments (à peine) enfouis. Elle finira par accepter de saisir cette opportunité de retrouver son époux, même si dernier n’est qu’un ersatz improbable… et même si le rêve éveillé ne durera que quelques jours. Le mélodrame culmine lorsqu’après avoir fait l’amour ensemble, Starman utilise ses dons magiques pour offrir à une Jenny infertile l’enfant qu’elle n’a jamais pu avoir avec Scott. Un des tours de force du film est de rendre digeste le côté « hénaurme » de cette romance trans-espèce, grâce à la finesse du scénario et de la réalisation, mais aussi grâce à Karen Allen, très touchante dans son rôle de veuve qui accepte de faire fi de la raison pour revivre un bonheur qu’elle croyait à jamais perdu. On l’aura compris : c’est en ressuscitant Scott l’espace de quelques jours que Starman offrira une chance à Jenny de faire enfin le deuil de l’être aimé grâce à cet enfant inespéré qui lui « survit ».

Il y a une autre belle idée poétique dans le script, probablement sous-exploitée. La raison pour laquelle les extraterrestres tentent initialement d’établir un contact avec la Terre est qu’ils répondent à l’invitation entendue sur le disque d’or des sondes Voyager. Ce qui est utilisé tout au long du film comme un ressort comique (Starman/Scott ne maîtrise de la langue anglaise que les seuls mots entendus sur le disque, ce qui donne lieu à quelques quiproquos amusants) est basé sur des faits authentiques, aujourd’hui oubliés. Lancées en orbite en 1977, les deux sondes Voyager embarquèrent en effet un disque en or intitulé « The Sounds of Earth ». Celui-ci comprend de nombreuses informations sonores et visuelles sur notre planète et ses habitants, constituent ensemble une sorte de « guide » à l’attention d’éventuels êtres extraterrestres. Parmi ces informations se trouvaient des extraits d’une cinquantaine de langues humaines.

Enfin, le film fonctionne grâce au duo improbable formé par Jenny et Starman/Scott. Dans la carrière féconde et hétérogène de Jeff Bridges, nul doute que son rôle dans Starman est un des plus atypiques. Il fallait être culotté pour lui donner cet aspect tout ce qu’il y a de plus humain tout en lui attribuant un comportement et une expression faciale d’un automate ridicule, à la fois rigide, maladroit et bizarrement attendrissant par moments. Pour sa performance très réussie dans ce rôle peu banal, Bridges fut nominé aux Oscars. A ce jour, il s’agit du seul film de John Carpenter qui ait reçu une nomination ! Karen Allen est le complément idéal à Bridges, elle dont les qualités émotionnelles constituent à la fois une énigme et une révélation pour Starman. Ces deux êtres si dissemblables vont s’enrichir mutuellement et se rapprocher progressivement. Le message de tolérance, dont le cinéma américain des années ’80 n’est pas avare, est on ne peut plus évident, mais admettons qu’il est au moins présenté d’une manière inattendue.

Si malgré toutes les embûches, Starman remporta un joli succès commercial, le film a hélas mal vieilli et souffre des similitudes criantes avec E.T. qui, de son côté, demeure ce chef-d’œuvre imperméable aux affres du temps – en dépit d’effets spéciaux tout aussi désuets. Plus grave, sans qu’on puisse y trouver une explication logique, Starman sera le dernier vrai succès commercial de John Carpenter à ce jour. Dès son opus suivant, Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin (1986), le cinéaste semble avoir perdu la formule magique et aura dorénavant du mal à financer presque tous ses projets suivants, sans parler de la décennie 90 qui le verra enchaîner les fours commerciaux – et artistiques, pour une bonne part. Le spectateur qui le découvre aujourd’hui doit donc prendre Starman pour ce qu’il est : un petit bonbon sucré au parfum nostalgique des années 80, au potentiel imparfaitement exploité et au timing pour le moins malheureux, mais dont une analyse plus fine révèle quelques surprises ainsi qu’une finesse insoupçonnée.

Synopsis : Échoué sur Terre, un extraterrestre prend l’apparence du défunt mari de Jenny Hayden et l’oblige à l’accompagner jusqu’au Meteor Crater en Arizona, où ses congénères doivent le récupérer. D’abord réticente, Jenny Hayden va finir par s’attacher à cette créature venue des étoiles.

Starman – Bande-annonce

Starman – Bande-annonce

Réalisateur : John Carpenter
Scénario : Bruce A. Evans, Raynold Gideon, Dean Riesner
Interprétation : Jeff Bridges (Starlan/Scott Hayden), Karen Allen (Jenny Hayden), Charles Marin Smith (Mark Shermin), Richard Jaeckel (George Fox)
Photographie : Donald M. Morgan
Montage : Marion Rothman
Musique : Jack Nitzsche
Producteur : Larry J. Franco
Maisons de production : Industrial Light & Magic (ILM), Delphi II Productions
Durée : 115 min.
Genre : Science-fiction/Romance
Date de sortie :  3 juillet 1985
États-Unis – 1984