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Sonate d’Automne, d’Ingmar Bergman : mère et filles en faute d’amour

A l’occasion du centenaire de la naissance d’Ingmar Bergman, retour sur Sonate d’Automne, son unique collaboration avec Ingrid Bergman, un drame intimiste et intense en huis-clos sur les rapports mère-fille.

La première image de Sonate d’Automne laisse passer une impression de calme et de sérénité. On y voit un salon filmé de loin, à travers un encadrement de porte, et une femme, Eva, assise devant une table en train d’écrire. Par son cadrage, sa composition, son jeu de couleurs et de lumière (grâce au travail de l’immense chef opérateur Sven Nykvist, qui a beaucoup œuvré avec Bergman mais aussi au dernier film de Tarkovski, Le Sacrifice), cette image d’ouverture fait penser à un tableau de Vermeer de Delft.

Cette impression de sérénité est encore renforcée par les propos de Viktor, le mari d’Eva, qui parle, au sujet de son couple, de « bonheur tranquille ».

Le travail principal du film sera d’aller au-delà de cette apparente sérénité pour mettre à jour les failles, les fêlures, les douleurs, les colères, les peurs, les frustrations qui animent Eva.

Absence de communication

« Mère et fille. Quel étrange mélange de sentiments, de désarroi et de destruction. »

Le point central de Sonate d’Automne, c’est la relation mère-fille. Eva va recevoir sa mère, Charlotte. Et, très vite, derrière les retrouvailles chaleureuses, on appréhende, à demi-mot, tout ce que cette relation a de conflictuel. Avec, d’abord, un problème de communication. Léonardo, le compagnon de Charlotte depuis une douzaine d’années, vient de mourir. Or, ce n’est pas par sa mère qu’Eva l’apprend, mais par une rencontre hasardeuse avec de vagues connaissances. Très vite, on se retrouve face au problème de l’incommunicabilité. Au mieux, mère et fille communiquent mal. Eva se retrouve vite agressive envers Charlotte, et celle-ci lui répond avec froideur et mépris.

La grande intelligence de Bergman est de ne pas juger ses personnages. Ainsi, ce problème de communication ne signifie pas que les protagonistes ne s’aiment pas. Parfois, c’est l’amour lui-même qui ne parvient pas à s’exprimer. C’est ce que dit Viktor dès la scène d’ouverture : il aime sa femme, mais n’a jamais pu lui dire car il ne sait pas comment l’exprimer. Les personnages de Sonate d’Automne sont comme handicapés dans leur capacité interpersonnelle. Comment faire pour communiquer ?
Du coup, cette froideur apparente de Charlotte relève plus de la maladresse que de la véritable volonté de blesser sa fille. Durant tout le film, nous avons des personnages qui se révèlent de plus en plus émouvants dans leurs tâtonnements affectifs. Ainsi, derrière la figure cassante et écrasante de la mère va vite se laisser deviner une autre femme, rongée par les doutes et la mauvaise conscience.

La réalisation de Bergman fait beaucoup pour dresser ces portraits sensibles des deux femmes. Les dialogues sont filmés essentiellement en de longs plans fixes où le cinéaste épie les moindres traces d’émotions sur le visage et dans les yeux de ses protagonistes.

Douleur, maladie et mort

Dès qu’elle sort de sa voiture, le premier geste de Charlotte est lié à sa douleur au dos. Avec Charlotte, c’est la maladie et la mort qui font leur apparition dans ce qui, jusqu’à présent, était montré comme une sorte de paradis. Mal de dos, mort de Léonardo : la souffrance apparaît vite comme le sujet de discussion principal. L’incommunicabilité, la peur de l’échec, la souffrance et la maladie, tous les problèmes qui opposent les deux femmes sont incarnés en Héléna. Héléna est l’autre fille de Charlotte. Victime d’une maladie qui en fait une handicapée, elle a été reléguée dans une maison de repos par sa mère. Mais Eva a choisi de la recueillir chez elle, sans le dire à Charlotte. Au fil de la discussion, on apprend que la maladie dont souffre Héléna avait connu une accalmie lorsque la jeune femme s’est sentie aimée. Mais dès que cet amour est parti, la souffrance est revenue, amplifiée. Et cela est symbolique de ce qui se passe dans cette famille.

Sonate d’Automne pourrait très bien s’intituler Faute d’Amour. Petit à petit se dessine le portrait d’une Eva incapable d’aimer. C’est ce que raconte Viktor : sa femme ne l’a jamais aimé, comme elle n’a jamais aimé personne. Elle appelle son mari « mon meilleur ami », et lorsque Charlotte lui demande si elle l’aime, elle répond : « Mais… tu es ma mère ». Or, cette incapacité à ressentir de l’amour semble se répéter de génération en génération (ce qui était déjà un des constats que faisait Bergman dans Les Fraises Sauvages). Si Eva ne sait pas ce qu’est l’amour, c’est qu’elle n’en a jamais reçu de la part de sa mère, qui elle-même en a été privée dans son enfance.

Avec une mise en scène volontairement théâtrale, pour montrer ce que le jeu social a d’artificiel, Bergman parvient à faire un film qui, une fois de plus, paraît simple. Délicatement, le réalisateur compose ses plans avec une science rare du rythme, du cadrage, de l’emplacement des personnages. Tout fait sens : chaque mot, chaque geste est mesuré. Et, sans en avoir l’air, il nous propose aussi de belles audaces, s’amusant avec les codes cinématographiques, permettant à ses acteurs de parler face caméra directement aux spectateurs par exemple, ou s’affranchissant du fameux champ-contre-champ. Bien souvent, l’influence du metteur en scène de théâtre (et d’opéra) se fait ressentir, apportant au film une certaine liberté formelle.

Bande-annonce – Sonate d’Automne

Synopsis : Eva vit tranquillement dans un presbytère auprès de Viktor, son mari prêtre. Elle écrit une lettre qui invite sa mère, Charlotte, une pianiste de renommée internationale, à venir passer quelques jours chez elle.

Fiche Technique – Sonate d’Automne

Titre original : Höstsonaten
Scénario et réalisation : Ingmar Bergman
Interprétation : Liv Ullmann (Eva), Ingrid Bergman (Charlotte), Halvar Björk (Viktor), Lena Nyman (Héléna)
Photographie : Sven Nykvist
Montage : Sylvia Ingmarsdotter
Sociétés de production : Personafilm, Filmedis, ITC, Suede Films
Société de distribution : Svensk Filmindustri
Genre : drame
Durée : 99 minutes
Date de sortie en France : 11 octobre 1978

Suède – 1978