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Rétrospective Clint Eastwood : Sur la route de Madison

Ariane Laure Redacteur LeMagduCiné

Sur la route de Madison appartient à ces films inoubliables, aux thèmes intemporels, aux émotions aussi fortes qu’intarissables, qui restent ancrés en nous en marquant durablement notre existence. Clint Eastwood s’empare d’une histoire d’amour, impromptue et passionnée, entre Francesca Johnson, une ménagère soumise, rêvant d’abandonner sa dure vie de fermière, et Robert Kincaid, un photographe solitaire, sans attache, parcourant le monde au gré de son travail. Un drame sublime, débordant de sentiments et de sincérité.

En 1995, après s’être consacré au genre policier et au western dans de nombreux films devenus mythiques, tels Le Retour de l’inspecteur Harry, Josey Wales Hors la loi, L’Homme des hautes plaines et Impitoyable, Clint Eastwood renoue avec la romance. Une de ses toutes premières œuvres, Breezy, abordait en 1973 la naissance d’une relation amoureuse improbable, désapprouvée par leur entourage, entre un architecte quinquagénaire et une jeune hippie.

Sur la route de Madison traite aussi la question du regard des autres, non plus vis-à-vis des préjugés familiaux mais du jugement, plus moralisateur, du comportement convenable que se doit d’adopter une femme mariée dans la société. Dans ces villes isolées où tout se sait, où les commérages de liaisons adultères occupent les conversations des cafés, une réputation se joue aux prises de risques calculées et aux rencontres hasardeuses. Clint Eastwood dénonce incidemment, par l’ostracisme de Lucy Redfield, le destin brisé de ces épouses amantes, dont le sort social a été définitivement scellé par de simples imprudences. Michael, le fils de Francesca, adopte initialement un point de vue similaire. Sans chercher à comprendre pourquoi sa mère s’est révélée infidèle, il se sent trahi et couvre le photographe d’injures et de reproches. Sa sœur, Carolyn, se montre plus curieuse et compatissante. Contrairement à ses personnages, le réalisateur ne se fait jamais juge. Il ne cherche pas à blâmer mais à raconter, à émouvoir, en dramatisant le dilemme cornélien d’une femme déchirée, contrainte à choisir entre aventure et routine, passion et raison, liberté et famille.

Chez Clint Eastwood, l’amour devient source de bouleversements existentiels. L’éternelle quête de l’âme sœur se mêle ainsi au désir irrépressible de changer de vie, de tout laisser derrière soi pour voguer vers d’autres horizons plus attrayants, aptes à ouvrir des perspectives insoupçonnées, à réaliser des rêves inespérés. Francesca Johnson, mère au foyer, ayant quitté, sur ordre de son époux, ses fonctions d’institutrice pour se consacrer aux tâches du ménage, n’aspire qu’à quitter sa difficile condition. Nostalgique de son Italie natale, elle se lasse de cette campagne trop tranquille, de son travail répétitif quotidien, voire de ses deux enfants qui lui adressent à peine la parole malgré tout son amour. L’arrivée inattendue de Robert Kincaid, un homme aussi charmant que serviable et attentionné, lui fait entrevoir la possibilité d’un amour inconditionnel, entre deux êtres égaux et complémentaires, grâce auquel elle pourrait s’épanouir et s’évader.

L’exploitation dramatique de tels conflits intérieurs inspirera d’autres œuvres cinématographiques. A peine trois ans plus tard, en 1998, dans L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, Robert Redford dessine le portrait d’une épouse confrontée par l’amour à un choix entre deux existences : celle, connue et sécurisante, dans la ville auprès de sa fille et de son mari, pour lequel elle éprouve des sentiments contradictoires, et celle, novatrice et éprouvante, dans un ranch du Montana, en compagnie du séduisant Tom Booker, un dresseur de chevaux franc et passionné. Plus récemment, Puzzle, Prix du Public au Festival de Deauville et attendu courant 2019, met en scène le personnage d’Agnès, une mère de famille obéissante et effacée dont la vie se trouve soudain ébranlée par sa découverte du puzzle, qui la conduira à entretenir une aventure amoureuse.

Quelle que soit la décision finale du protagoniste, suivant en général la raison, elle ne peut que toucher le public. Le spectateur ne peut manquer de s’identifier à Francesca, ou du moins, de compatir avec cette femme tendre et dévouée, dont les rêves d’évasion se heurtent irrévocablement à la réalité quotidienne. Ses pensées comme ses sentiments, tantôt affirmés tantôt hésitants, en deviennent d’autant plus marquants. La lutte menée par Robert Kincaid est toute aussi émouvante. S’il se présente en homme libertaire, non désireux de fonder une famille après son divorce, son amour pour Francesca ne s’éteindra jamais. Soutenant qu’une telle fusion entre deux personnes ne surgit qu’une fois, il désespère de persuader son amante de partir avec lui. Quatre jours. C’est tout ce que durera cette romance aussi éphémère qu’enflammée. Alors que le désir s’affirme, que les sentiments jaillissent, le temps s’étiole. Mais c’est là que réside toute la puissance de cet amour. Illimité, il aurait perdu de sa splendeur et de sa fulgurance.

Clint Eastwood filme ce récit tel un observateur objectif de l’intimité de ses personnages. Nul besoin d’effet marqué de mise en scène. Dans chaque plan, il laisse transpirer la joie, la tristesse, la passion, les souvenirs, crevant l’écran avec un naturel déconcertant. Emprunte de délicatesse et de sensibilité, la réalisation sublime la beauté de ce drame romanesque et envoûtant.

Au-delà de l’ivresse et de la douleur, Sur la route de Madison trace la voie de l’épanouissement d’un couple et du bonheur. Savoir s’accorder un temps d’arrêt et de réflexion, ce que décidera Carolyn. S’interroger sur la pérennité d’une relation imparfaite, comme le fera Michael, après avoir tiré une leçon de vie des mémoires de sa mère. Reconnaître la valeur du dévouement, condamnant la réalisation des rêves de l’autre, comme l’admettra Richard Johnson sur son lit de mort. Apprendre enfin à accepter le véritable amour, même infidèle, en respectant les dernières volontés d’une mère qui a tout sacrifié pour sa famille.

Les ponts couverts, le romantisme, la fièvre et les larmes de Sur la route de Madison resteront gravés dans nos mémoires comme l’une des plus poignantes et magnifiques romances du septième art. Meryl Streep et Clint Eastwood, immortalisés à jamais, feront encore longtemps battre nos cœurs.

Sur la route de Madison : Bande annonce

Sur la route de Madison : Fiche Technique

Réalisation : Clint Eastwood
Scénario : Richard LaGravenese
Interprétation : Meryl Streep (Francesca Johnson), Clint Eastwood (Robert Kincaid), Annie Corley (Caroline Johnson), Jim Haynie (Richard Johnson), Victor Slezak (Michael Johnson)
Photographie : Jack Green
Montage : Joel Cox
Musique : Clint Eastwood, Lennie Niehaus, Buddy Kaye
Producteurs : Clint Eastwood, Kathleen Kennedy
Sociétés de production : Malpaso Productions, Amblin Entertainment, Warner Bros. Pictures
Distributeur France : Warner Bros. France
Durée : 2 h 15
Genre : drame, romance
Date de sortie : 6 septembre 1995

Etats-Unis – 1995

Redacteur LeMagduCiné