Après 3 films clairement axés drame (Lettres d’Iwo Jima, L’Echange & Gran Torino), Clint Eastwood avait surpris son monde en signant Invictus, bêtement annoncé comme une banale hagiographie de l’accès au pouvoir de Nelson Mandela. A l’arrivée, il délivre pourtant un film totalement en phase avec son œuvre puisqu’incarnant le parfait réceptacle aux velléités de tolérance, d’humanité & de rédemption de son cinéma !
La force tranquille
A l’origine, Invictus est un poème du 19ème siècle qui évoque la résilience, l’invincibilité, et en somme une certaine idée du stoïcisme. Ce qui est loin d’être étonnant quand l’on sait que l’on doit sa paternité à William Ernest Henley, un écrivain qui accouchera de ces quelques lignes sur un lit d’hôpital, après l’amputation de son pied. La constance à travers la douleur autrement dit. Dès lors, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi ce texte fut l’un des préférés de feu Nelson Mandela, qui en aura longuement usé pendant ses 27 années de captivité sur l’ilot de Robben Island. Ce texte invite en effet à asseoir ses convictions, à les imposer, à résister, coute que coute et finalement à demeurer inébranlable. Comme Mandela, qui après 27 ans de prison, n’aura pas succombé à une basse vengeance (comme l’espérait ses geôliers afrikaners) mais plutôt au pardon, quitte à l’ériger, à peine 3 ans plus tard, à la plus haute marche du pays : la présidence. En cela, Mandela est devenu bien malgré lui, un personnage typiquement eastwoodien, une âme seule, imperturbable, qui résiste, qui s’impose et qui finalement assoit sa domination via des sentiments et une candeur indescriptibles. Voir alors, le vrai Clint Eastwood s’emparer de cette histoire avait tout d’une évidence, et ce surtout quand le combat mené par le personnage – ici Nelson Mandela- n’est pas une vengeance mue par des intérêts personnels. Non, ici, ce qui motive l’avocat sud-africain, c’est la nation arc-en-ciel. Ses compatriotes. A la tête d’une nation divisée et morcelée par un Apartheid officiellement éradiqué mais qui sommeille encore durablement dans les mentalités, il va tenter un pari fou : celui de croire en la personne humaine. De croire à la petite parcelle de bon contenue en chacun, et de l’exalter via quelque chose d’insensé : le sport. Et plus précisément le rugby.
Le sport comme exutoire
C’est là que le film d’Eastwood démarre. Par une tragédie. Discrète, presque invisible certes mais une tragédie quand même. Car tout personnage de Clint Eastwood s’embarque dans une odyssée à la suite d’un évènement brutal, incertain, dangereux. Ici, la division de la nation et cette impossible réconciliation que Mandela cherche à obtenir. Lui galère en politique intérieure, cherche ses marques, affiche une candeur presque anormale mais ses yeux fatigués, ses rides tirées trahissent une certaine peur, celle de devoir se confronter à une mission éminemment périlleuse. En face, voire même en parallèle, on voit l’équipe de rugby des Springboks. Malmenée, mal préparée, elle doit accueillir la Coupe du Monde dans moins d’un an et autant dire que c’est la déroute assurée. Pourtant, quelqu’un regarde, avec distance au début certes, mais il regarde : cette personne, c’est Nelson Mandela. Au mépris de tous, il commence à défendre cette équipe, dernier jalon, dernier vestige de la période afrikaners où les blancs avaient nommé l’équipe au nom des Springboks. Le besoin de garder ce nom, d’unifier le pays sous cet arc-en-ciel, sera sa première bataille. Au gré du film, on assiste alors à un président, qui ignore la politique internationale, qui n’a que faire des traités et autres rencontres avec d’autres présidents et qui se focalise uniquement sur un ballon.
Car il a compris que dans un an, le monde entier verrait son équipe, ses joueurs arborer la pelouse et progresser autant en 80 minutes que lui en vaines palabres de politiciens. Via cette approche, on sent déjà les talents de conteurs d’Eastwood, qui préfère raconter l’Histoire via la petite histoire, en dépassant le sens de l’anecdote avec personnages célèbres pour se hisser au stade de l’universel, avec un sens des dialogues et de l’unité d’action digne des plus grandes tragédies. Le geste est pur, l’exécution l’est tout autant, ce qui permet de bien dégager le message du film. On y célèbre l’espoir, le petit grain de folie qui fait la différence. On y montre également que les grands gestes peuvent s’appuyer sur un brin de naïveté ou de folie. Que la foi, inébranlable, chevillée au réel, peut être une stratégie. En ça, le film en devient universel. Et point question d’y voir un sens de l’impérialisme puisque Eastwood se pare des mêmes oripeaux que sur Lettres d’Iwo Jima où il avait embrassé la culture nippone pour en sublimer toute la richesse. Ici, le maillot vert et or des Springboks est célébré, tout en se dotant d’un sens de l’humanisme qui n’appartient qu’aux grands artistes, loin du populisme et de l’opportunisme des politiques adeptes de l’ « identité nationale ». Ici, les différences sont mises en avant, on y pointe du doigt l’inutilité de la vengeance et on déploie une sorte de candeur. A l’image de son capitaine de rugby campé par un Matt Damon au charisme délirant, on sent toute la simplicité qui émane des images. Sur le plan stylistique, c’est comme assister à une épure filmique, au croisement du classicisme d’un John Ford et du minimalisme d’un Robert Altman. Et à l’arrivée, on sent la grandeur, on sent une sorte de force tranquille qui habite l’ensemble, et dont l’emprise traverse Morgan Freeman de part en part pour le transformer en un roc, un menhir blindé d’espoir, de folie et de malice. Si bien que rarement, Morgan Freeman, pourtant acteur parmi les plus charismatiques du monde, n’aura eu besoin de forcer pour nous faire décrocher un sourire, verser une larme ou même claquer des mains. Et ça, c’est le talent. Ça c’est la maitrise. La marque des grands films. Tout simplement.
Sous couvert de narrer l’accès au pouvoir de Nelson Mandela, Clint Eastwood préfère avec Invictus de parler de résilience, de foi, d’espoir et d’un homme dont la malice et la folie auront changé l’avenir de son pays. On a vu pire comme film !
Bande-annonce Invictus :
Fiche Technique : Invictus
Réalisation : Clint Eastwood
Interprétation: Morgan Freeman (Nelson Mandela), Matt Damon (Francois Pienaar), Scott Eastwood (Joel Stransky), Tony Kgoroge (Jason Tshabalala)
Scénario : Anthony Peckham,
Musique : Kyle Eastwood
Photographie : Tom Stern
Montage : Joel Cox & Gary D Roach
Producteur : Clint Eastwood, Robert Lorenz, Lori McCreary, Mace Neufeld
Sociétés de production : Warner Bros
Etats-Unis- 2009