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Rencontre avec le réalisateur Hassan Legzouli pour le film Le Veau d’Or

Festival Caravane des Cinémas d’Afrique : La Nuit du Cinéma Marocain

Samedi 2 Avril – 2ème jour

Le concept, qui marche très bien, notamment lors du Festival Lumière chaque année, a ici pour objectif de présenter trois films, trois approches différentes, trois sujets différents. Il y aura le samedi suivant une seconde nuit du cinéma, cette fois consacré à l’Éthiopie.

Le premier film de la soirée est le film de Hassan Legzouli, Le Veau d’Or, sorti en 2014 en France, présenté Hors-Compétition, avec les acteurs Morad Saif, Nader Boussandel, Mohammed Majd. Le réalisateur est d’ailleurs présent, et fait une petite présentation, avec Michel Amarger.

Michel Amarger : Le dernier long-métrage de Hassan remonte à 2004, c’est donc un cinéaste rare mais précieux.

Hassan Legzouli : Si tu le dis…

M.A. : Qu’est-ce qui a présidé cette envie de faire Le Veau d’Or ?

H.L. : J’avais envie de tourner dans ma région. J’ai toujours pensé que ce décor là correspondait aux western-spaghettis de mon adolescence. Quand j’étais gamin au Maroc, je regardais Mon Nom est personne (de Tonino Valerii, ndrl) Le Bon la Brute et le Truand, et j’ai toujours pensé que Sergio Leone aurait pu tourner des westerns dans l’Atlas ou plus au sud, puisqu’ils étaient tournés juste de l’autre côté de la mer Méditerranée à Almeria, J’ai baigné dans ce cinéma-là, j’avais donc envie de faire un film qui soit un hommage, pas vraiment prononcé, à ce cinéma là.

M.A. : On peut dire que c’est un faux western marocain ?

H.L. : On m’a dit que c’était un un western couscous ! (rires)

Après ce bref échange, qui constituait ma foi une bonne introduction, la projection commence. Le veau d’or, c’est la bête que Sami, forcé par son père à revenir au Maroc, et Azdade, son cousin, volent au roi. S’ensuit alors une course-poursuite dans les décors de l’Atlas, où les deux compères tentent de se débarrasser de leur encombrant butin, pour permettre à Sami de retourner en France. Le réalisateur marocain a réalisé dix ans après son premier film Tenja, avec Roschdy Zem et aure Atika, une comédie encore une fois centrée sur le retour, et le rapport au souvenir. C’est d’ailleurs dans ses propres souvenirs que Legzouli puise, affirmant lui-même ses références secrètes aux westerns spaghettis de son enfance. Je suis d’habitude peu enclin à la comédie, mais ici la salle se prêtait plutôt bien au rire. Mais je suis convaincu que derrière des situations enclines à la blague et à la situation cocasse, se cache une peinture plus fine du pays de l’Atlas, ces montagnes du nord du Maghreb, et de ces habitants. Enfin, pas vraiment de ces habitants, puisque, étant comiques, ils sont légèrement caricaturaux, mais bien plus du système de l’époque, sous le règne du roi Hassan II. Même si le film est court, il n’en fallait pas plus, pour raconter une histoire simple et suffisante, sans prétention. Le public a ainsi été réceptif à l’humour du film. Dommage pour lui qu’il ne soit pas en compétition. Toutefois, le réalisateur est bel est bien présent, et revient sur la scène.

Retranscription de la rencontre publique avec le réalisateur Hassan Legzouli et le critique Michel Amarger, à propos du film Le Veau d’Or

M.A. : C’est étonnant de finir le film par de la musique indienne.

H.L. : Ce n’est pas de la musique indienne. C’est un duo entre Serges Teyssot-Gay, le guitariste du groupe Noir Désir, et un luthiste syrien. Ils se sont rencontrés en Syrie, avant que ça ne devienne ce que c’est, et ont fait un bœuf. Ca a donné cet album Interzones, qui m’a accompagné pendant toute l’écriture. C’est un dialogue entre la guitare et le luth, qui me semblait correspondre à l’esprit du film.

M.A. : Vous écoutez beaucoup la musique pour faire les films ?

H.L. : Je ne suis pas musicien mais je suis mélomane. J’en écoute beaucoup et je m’arrête sur une, qui finira systématiquement par devenir la musique du film. Elle lui donne une structure, elle le rythme.

M.A. : C’est important pour vous de consacrer du temps à l’écriture et au scénario ?

H.L. : Pour moi, le scénario est la première mise en scène d’un film. C’est ce que Jean-Claude Carrière appelle la mise en scène de l’écriture. J’ai du mal à m’en séparer parfois, parce que j’ai tendance à vouloir soigner les détails. Je crois que plus le scénario est écrit, plus on est libre sur le tournage, parce qu’on sait qu’il y a un filet derrière. On l’a vérifié pour ce film. On a eu pas mal de soucis et on a eu besoin d’improviser, heureusement que le scénario était là. Quelquefois, je revenais à la séquence, et je faisais ressortir l’esprit de la séquence, que je remettais en scène, et ça c’est mon boulot de metteur en scène et pas de scénariste.

M.A. : Partir tourner dans le Haut Atlas c’est toujours risqué, on n’a pas toujours ce qu’on veut, ni les machineries, ni les accessoires, ni même les autorisations ?

H.L. : Non, on n’a pas toutes les autorisations. Enfin si, on les a eu mais on a été obligé de mentir sur certaines choses… (rires) Le problème c’est qu’ils ont vérifié et ça nous a valu quelques ennuis. Mais c’est ça le Maroc, certains vous ferment des portes et certains vous les ouvrent. Quand j’ai fais ce film, le directeur du CCM Nourredine Sail (directeur du Centre cinématographique du Maroc jusqu’en 2014, ndlr),qui était vraiment quelqu’un de très engagé en cinéma et en politique, nous a permis à moi et d’autres collègues de faire certaines choses.

M.A. : Ce n’était pas un peu sacrilège dès le départ cette histoire de veau royal ?

H.L. : C’est une histoire que je trimballe depuis l’adolescence. J’ai vécu mes dernières années de lycée au Maroc, pas loin de ce ranch qui existe vraiment. C’est un lieu un peu à part dans le paysage marocain, surtout celui du Moyen Atlas, où il y a ce ranch, avec une route qui passe au milieu, 22 kilomètres en ligne droite, et des hectares à perte de vue. Ils avaient entre 5000 et 6000 têtes de bétail, ainsi que des chevaux et des 4×4 pour surveiller. C’était une race importée d’Argentine, croisé avec des vaches marocaines, pour donner cette espèce qui était vouée à l’export. Tout ça appartenait au roi du Maroc. Quand j’étais gamin, quand on prenait le car d’une ville à l’autre, on avait pas le droit de s’y arrêter. C’est un lieu qui était mystérieux, qui a tout du Texas, sauf que c’est en plein cœur du pays berbère. Un jour, en faisant mon premier film, je suis repassé par là. Les animaux sont quasiment en semi-liberté. Tout le monde sait que c’est au roi, donc personne n’y touche, ça va de soi.

Moi je me suis dit « Si on coupe les barbelés, qu’on en prend un dans une bétaillère, et qu’on traverse le Maroc, qu’est-ce qu’il va se passer ? »

M.A. : Pourquoi avoir greffé cette légende du veau d’or dans le village ?

H.L. : C’est d’abord une blague qu’on m’a raconté : un cirque s’installe près d’un village, une bête se sauve du cirque, et un vieux se lève et crie à l’ancien dieu. Ce qu’il faut savoir, c’est que les berbères, avant l’arrivée de l’islam au Maroc au 8e siècle, étaient soit animistes, soit juifs. Il y avait ce mythe de l’ancien dieu qui revient qu’ils associent au veau d’or et à la malédiction. Ici, ce n’est pas la malédiction divine, mais la malédiction gouvernementale, un personnage dit d’ailleurs « l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours, il y passe ». Ça fonctionnait comme ça sous Hassan II.

M.A. : Pourquoi avoir choisi la fin de règne d’Hassan II ?

H.L. : On sortait des années de plomb, Hassan II commençait à préparer sa succession, et c’était une période un peu flottante. Je trouvais que pour qu’on rentre dans une période de fable, il fallait une période flottante. Le roi n’est pas encore mort mais on est pas loin de dire « Vive le roi ».

–Questions du public

Public : J’aimerai savoir comment le public marocain l’a reçu.

H.L. : Le public a bien accueilli le film, même si la sortie a été un petit peu bâclée. Bâclée parce qu’il n’y a pas beaucoup de cinémas, mais aussi à cause du sujet. Au Maroc y’a trois sacrés : le roi, la religion et le Sahara. Le film est financé à 50 % par le Maroc donc personne ne nous a rien interdit. Mais en même temps, tout le monde avait peur et ne voulait pas trop s’engager. Par exemple, j’avais demandé à la télévision marocaine des archives de l’enterrement du roi, parce qu’ils étaient en arabe, et parce que le journaliste pleurait. On m’a jamais dit non, mais on me les a jamais donné. (rires)
La réglementation au Maroc fait qu’un film produit par le CCM est obligé de faire l’objet d’un préachat par la télévision. Je leur ai couru après pendant un an, j’ai même déjeuné avec le directeur de la chaîne, il m’a dit de le rappeler. Finalement, je n’ai jamais obtenu un centime de la télé, parce qu’ils auraient été obligés de le diffuser. Tout le monde avait peur parce que je parle du roi d’une manière un peu désacralisée. Par contre, le film parle au public, puisque ce sont des choses qu’on a tous vécues. Dil n’y a aucun problème de ce côté-là. Mais je pense pas que la télévision le diffusera.

Alexandre Léaud : Je vous ai trouvé un peu cruel, mais cruellement drôle, avec les deux personnages de policier à la fin, c’est un peu des personnages fonction dans le sens ou ils auraient pu être libéré de leur mission et passer à autre chose, et en fait comme ils deviennent inutiles pour le récit vous les faites plonger dans le ravin, (rires) alors pourquoi?

H.L. : Je ne suis pas si cruel, je les ai laissés en suspens ! (rires) Si je voulais être cruel, j’aurai montré la voiture qui s’écrase, qui explose et ça aurait été une vengeance. Mais je voulais montrer la fin d’un système, sans le racheter. Je ne veux pas dédouaner ces gens là, qui faisaient partie de tout un appareil. Dans les années 80, le Ministère de l’Intérieur avait mis en place un système qui verrouillait les esprits. Je n’avais aucune sympathie pour cet appareil là. Mais en même temps, je ne voulais pas l’achever. On sort d’un système mais on sait pas où on va rentrer.

Yousra Tarik : Bonsoir. Je veux juste vous dire une chose. Bravo pour le film. Je suis marocaine, je suis fière de vous, j’aime beaucoup le film, bravo bravo bravo. (applaudissements)

M.A. : Je voudrai juste signaler que le film est dédié à Mohammed Majd, qui était un grand acteur. C’est vraiment une star au Maroc. Pourquoi il a accepté de s’embarquer dans ce projet ?

H.L. : Parce que c’est un bon comédien (rires). Il faisait une apparition dans Tedja (le précédent film de Lezgouli, ndlr), mais il n’avait pas un personnage très développé. Pour moi c’est vraiment un très bon comédien, avant d’être une star. C’est un plaisir de travailler avec lui parce qu’il est minimaliste. Vous lui dites deux phrases, pas besoin de faire un discours, il a une sensibilité. En plus, il a une gueule de personnage de western. On pourrait très bien le voir dans Et pour une poignée de dollars, ou dans Apportez moi la tête d’Alfredo Garcia de Peckinpah. Il a un visage buriné par des creux, et filmer un visage comme ça c’est un plaisir. On prend plaisir à filmer cette gueule de cinéma, surtout dans un format comme ça, dans la lumière marocaine.

M.A. : Il nous faut savoir quand même : vous préférez le café cassé ou la bière brassée ? (Cette question est l’objet d’une blague dans le film, ndlr)

H.L. : Je ne suis pas un bon européen parce que je n’aime pas la bière. Pourtant j’habite dans le nord, j’ai vécu en Belgique. Vous avez là-bas de très bonnes bières, mais je déteste le goût, donc je reste sur le café cassé.

Public : Où est-ce que vous avez déniché le taureau ?

H.L. : Je devais tourner avec une des bêtes du ranch, mais à la dernière minute ils nous ont refusé l’autorisation. Ils nous ont même interdit d’avoir des images du ranch sous peine de poursuites. On a donc sillonné le Maroc et on a trouvé cette bêe du coté de Marrakech. Mais je dois vous avouer une chose, quitte à gâcher votre plaisir. Je voulais tourner avec un taureau, mais sous 40 degrés, pour peu qu’il charge, vous avez toute l’équipe en catastrophe. (rires) On a testé ce taureau là, qui était très sage. Mais il n’avait pas de cornes, donc les cornes qu’il a sont des fausses. On lui monte le matin et on lui démonte le soir.

Rires et applaudissements retentissent, et les deux invités nous invitent à quitter la salle, et de faire une pause avant le film suivant. Malheureusement, la nuit s’arrête ici pour moi, à cause des bus trop peu nombreux. Que les autres spectateurs se réjouissent ! Le second film de la soirée est ainsi Fièvres, de Hicham Ayouch. Le film a gagné l’Etalon d’Or du FESPACO 2015, et raconte l’histoire de Benjamin, qui décide à 13 ans d’aller vivre chez son père qu’il ne connaît pas. Karim, son père, habite toujours chez ses parents et se laisse porter par la vie. Il se retrouve démuni face à cet adolescent insolent et impulsif qui va violemment bouleverser leur vie, dans ce quartier aux multiples visages. La séance était accompagné d’une rencontre avec l’acteur du film Slimane Dazi. Il n’était étrangement pas en compétition officielle.

Dernier film et pas des moindres, puisqu’il s’agit de Much Loved de Nabil Ayouch. Si vous ne l’avez pas vu, vous en avez certainement entendu parler à propos des malheureux incidents survenus autour du film. En compétition, le film repasse à plusieurs reprises au cours du festival. Ayant décroché déjà de nombreuses nominations, il me semble quelque peu dans les favoris, mais j’attends de découvrir le reste de la compétition pour en avoir le coeur net. Le réalisateur n’était pas présent cette fois-ci, mais nous l’avions rencontré lors de son passage à Dijon.

Epilogue : Pas de films prévus pour ma part du dimanche 2 au jeudi 7, où je retournerai au Ciné-Mourguet. je voulais aller voir un film en compétition intitulé L’Oeil du Cyclone du burkinabé Sakou Traoré, et en présence de l’actrice Maïmouna N’Diaye. Le film, qui a remporté l’Etalon de Bronze au FESPACO 2015, avait captivé mon attention avec sa bande-annonce, mais des imprévus de dernière minute m’empêchent d’y aller. Ma frustration est énorme, mais je me rattraperai. Je ne verrais sans doute jamais le film.