FIFAM 2022 : Rencontre avec l’équipe du film La Passagère d’Héloïse Pelloquet

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Chloé Margueritte Reporter LeMagduCiné

La première journée du FIFAM 2022 s’est terminée par la projection du film La Passagère d’Héloïse Pelloquet, en présence de la réalisatrice et des comédiens Cécile de France et Felix Lefebvre (découvert dans Eté 85). Le film est autant le récit d’une romance que celui d’une émancipation féminine portée par l’actrice belge. Un film de corps, de travail et surtout de désir et donc de corps à corps. Récit de la rencontre entre le public du FIFAM et l’équipe de La Passagère.

Le côté documentaire, mêlé à la fiction, était déjà très présent dès vos courts métrages. Comment travaillez-vous le lien entre documentaire et fiction ?

Héloïse Pelloquet : J’ai un goût pour les films avec des frontières poreuses. J’aime que le romanesque vienne de choses très simples, filmer des héros, en l’occurrence ici une héroïne, ordinaires. Je voulais que mon film soit une aventure ordinaire, à la portée de tous. Il y a dans La Passagère un socle naturaliste très fort, la plupart des comédiens sont des gens du coin, sans texte appris, à la différence de Cécile de France et Felix Lefebvre qui ont une partition à jouer.
Je voulais aussi filmer le travail des marins pêcheurs et cela demande une certaine précision, une concentration. Le réalisme, ça nous ressemble, ça nous parle. On y ressent des sentiments communs, forts.

Combien de temps avez-vous mis à réaliser ce film, a-t-il été ralenti par le covid ?

Héloïse Pelloquet : Non au contraire, il a pu nous aider à être plus dans l’intimité. Nous avons tourné en avril 2020, il y avait peu de touristes malgré les vacances scolaires, nous étions comme dans un cocon, c’était un tournage très intime. Pour autant, l’écriture d’un film est longue, on a commencé à l’écrire en 2018 je crois.

Comment avez-vous fait naître ce couple de cinéma, avec des gestes de travail très techniques, physiques ?

Cécile de France : Félix n’était pas obligé d’être un pro puisqu’il était en apprentissage, mais il est venu avec nous en stage pour connaître les bons gestes, ceux à ne pas faire, car ça peut être dangereux. Nous avons été une semaine sur un bateau pour apprendre les vrais gestes, c’était important pour Héloïse de filmer la précision de ces gestes, et atteindre la justesse. Cela nous a aidé à construire nos personnages, même si avec Felix, on s’est blessé, on s’est abimé le dos, les mains, et on a pu vraiment se rendre compte que c’est un métier très physique.

Le corps est très important dans ce film, que ce soit dans les scènes d’amour ou justement dans la représentation du métier. Souvent, au cinéma, le corps disparaît, mais là il est vraiment représenté, que ce soit dans des gros plans sur les émotions des personnages, mais aussi dans la représentation du corps, que j’avais perçu dès le scénario, avec un travail sur l’animalité. Héloïse s’intéresse vraiment au jeu du comédien.

Cécile, vous jouez un personnage de femme marin-pêcheur, ce qui est assez rare, comment avez-vous perçu ce personnage à la fois désiré et très masculin dans son quotidien ?

Cécile de France : C’est un personnage brut, anticonformiste, c’est une femme entière. Je trouve ça fort qu’un jeune homme puisse désirer une femme d’âge mûr qui ne soit pas dans les habits de la séduction, qui aille contre la norme, tomber amoureux alors que ça sent le poisson, clairement.

Cécile, vous apparaissez ici dans un 1er long métrage, comment faire ce parti, parlez-nous de la lettre envoyée par Héloïse Pelloquet ?

Cécile de France: Souvent, un premier film c’est très émouvant, on y met les tripes. Dans sa lettre, une des plus belles que j’ai reçue, Héloïse était allée chercher plein de mes personnages et les liait à ce qu’elle voulait faire. Je voulais aussi jouer ce personnage désobéissant. J’avais vu et adoré ses courts métrages et je voulais tourner avec Imane Laurence qui est une de mes actrices préférées au monde.

Félix, comment avez-vous rejoint l’aventure de ce film ? Et comment on aborde le fait de jouer avec Cécile de France ?

Félix Lefebvre : De manière classique, j’ai passé un casting, j’ai rencontré Héloïse et ça a tout de suite matché. Elle m’a accordé sa confiance assez facilement, rapidement et ça m’a donné confiance à moi aussi. Pour jouer avec Cécile de France, on se place devant le miroir et on répète dix fois « je peux y arriver ». Puis, on arrive sur le tournage et on se demande comment on va faire, mais en fait Cécile est très humble, elle te met tout de suite à l’aise, c’est une collègue qui te parle à sa hauteur, il n’y a pas de rapport de force.

Comment s’est passé le tournage sur l’eau, sur un bateau ?

Héloïse Pelloquet : On ne pouvait pas faire semblant de pêcher, on avait des prises de 10 minutes, soit le temps pour remonter une filière. C’était un petit bateau avec une équipe réduite et quand on ne naviguait pas, une partie de l’équipe était dans un bateau à côté. Cela m’a rappelé le travail sur pellicule, que j’avais abordé pour un petit projet, où le temps est précieux, on retrouve l’intensité du moment, on tourne peu de scènes, on est à fond tout de suite.

Vous filmez de nouveau Noirmoutier comme dans vos courts métrages, la pêche également, avez-vous besoin de familiarité pour filmer ?

Héloïse Pelloquet : J’ai effectivement grandi à Noirmoutier, je m’intéresse beaucoup à la pêche, à la mer. La mer est aussi une symbolique parfaite pour un mélo, avec les tempêtes, les houles qui traduisent les états émotionnels des personnages. Pour tourner, j’ai en effet besoin de familiarité, de concret, de mes proches, pour moi ces décors ont une âme. Tourner à domicile, c’est construire un tournage très joyeux, très participatif.

Comment se travaille l’intensité des scènes d’amour dans le film ?

Cécile de France: Avec Félix, on a tous les deux la même manière de travailler, on écoute le boss ! Et quand on est face à un réalisateur avec une vision, c’est très simple. Avec Félix, on a le même rapport à notre corps, comme un outil pour raconter une histoire. Ici, il fallait raconter des scènes d’amour qui sortent de l’ordinaire, différentes de ce qui est filmé d’habitude, des scènes qui montrent la joie, la simplicité.

Héloïse Pelloquet : Les scènes d’amour sont un dialogue de gestes, je me suis interrogée sur la manière de filmer la jouissance féminine, la sexualité féminine. Si j’imagine quel humour elle a, j’imagine aussi dans quelle position elle fait l’amour, chaque geste est écrit, ça raconte les personnages. Je raconte des gens qui s’aiment et les gens qui s’aiment font l’amour.

Lorsque Chiara dit « j’aurai voulu vous garder tous les deux », on pense à Marie-Jo et ses deux amours de Robert Guédiguian …

Héloïse Pelloquet : Oui, c’est une référence. C’est une scène dans le film de Gédiguian d’une sincérité désarmante, oui le personnage trompé souffre, est en colère, mais en même temps il a une réaction douce, j’aime les hommes doux au cinéma. Antoine, dans mon film, a une réaction douce, tolérante, je voulais une fin sans morale, sans jugement.

Qu’est-ce que le film a fait grandir en chacun d’entre vous ?

Cécile de France: Le travail avec les non acteurs. Ils ont une qualité de jeu qu’ils ne fabriquent pas, ça m’a apporté un nouveau rapport au jeu, au réalisme et à l’autre aussi.

Félix Lefebvre : Que c’est important quand on est bien entouré, qu’on sait où l’on va, qu’on se laisse porter par le réalisateur. Concernant les non acteurs, le fait d’arriver à leur endroit de vérité, c’est leur lieu, leur vie, et de ne plus jouer, mais de se laisser transporter dans leur univers.

Héloïse Pelloquet: Je ne sais pas encore ce que je pense du film, il n’est pas encore terminé pour moi, j’attends beaucoup de la réception qu’il aura. Mais j’ai trouvé la question de l’intensité du tournage, de la collectivité, j’ai su faire monter tout le monde dans l’aventure qu’est le film. C’est la manière dont j’ai envie de faire des films et je l’ai déjà trouvée, donc c’est un grand pas.

Reporter LeMagduCiné