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Zar Amir Ebrahimi, co-réalisatrice de "Tatami"

Tatami : table ronde avec Zar Amir Ebrahimi

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma
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C’est au cœur d’une terrasse cosy, dans les enceintes de Metropolitan Films, que Zar Amir Ebrahimi (vue et célébrée dans l’asphyxiant Les Nuits de Mashhad) nous a confié avec passion et générosité son expérience hors du commun sur la production et le tournage de Tatami, co-réalisé aux côtés de Guy Nattiv.

Fruit d’une collaboration historique entre deux cinéastes, l’un israélien, l’une iranienne, ce film convoque à la fois la rage de vaincre et de vivre de Leila, une judokate qui peut espérer décrocher la médaille d’or au championnat du monde. Mais au cours de la compétition, elle et son coach, Maryam, reçoivent un ultimatum de la République islamique ordonnant à Leila de simuler une blessure et d’abandonner pour éviter une possible confrontation avec l’athlète israélienne. Un fait stupéfiant et toujours d’actualité chez de nombreux athlètes, enchaînés aux doutes et mutilés par leur désir de liberté.

En tandem avec Yaël Yermia (créatrice du blog Movieintheair.com et du podcast Falafel Cinéma) autour d’une interview « table ronde », nous avons également échangé sur les notions de respect et d’amitié, fragilisées par des tensions politiques, ainsi que d’éventuels changements de mentalité qui transforment peu à peu la société iranienne.

Le film était avant tout la confrontation de ces deux générations, en montrant comment chacune a des réflexes par rapport à cet état totalitaire.

Yaël : Pourquoi avez-vous eu envie de devenir actrice, puis réalisatrice ? Avez-vous ressenti très tôt que devenir actrice était un moyen de jouer avec les règles de la société ?

Zar : C’est un peu l’inverse, en fait. La première chose que j’ai faite dans ma carrière au cinéma à 18 ans, c’était de réaliser un court-métrage (Khat). Avant ça, je faisais un peu d’assistance scripte, même si je voulais plutôt devenir réalisatrice. C’était parti d’un conseil d’un grand metteur en scène iranien, qui était aussi mon voisin. Il m’a dit que si je voulais apprendre à devenir une bonne réalisatrice, il valait mieux apprendre comment on joue, que je pouvais déjà pratiquer toutes les parties techniques, parce que je n’allais jamais pouvoir diriger un acteur sans le comprendre. C’était vraiment le meilleur conseil de ma vie.

Du coup, j’ai continué mes études d’acting en Iran et je suis tout de suite tombée amoureuse de ce métier qui te permet de vraiment vivre une vie totalement différente et d’incarner des gens variés. J’ai tout de suite commencé à travailler en tant qu’actrice, mais j’ai continué un peu mes projets derrière la caméra aussi. Finalement, c’est toute l’histoire de mon exil qui m’a forcée de rester un peu derrière la caméra pendant des années. Quand je suis arrivée en France, je ne parlais pas la langue, je n’avais pas vraiment mon réseau.

Ça me fascine aussi de me mettre derrière la caméra. J’ai donc fait pas mal de documentaires et j’ai commencé à filmer. Je suis devenue cadreuse, monteuse, productrice et puis j’ai repris mon métier d’actrice. Voilà mon début de parcours. C’est cette polyvalence qui m’intéresse dans le cinéma. Ça m’ennuie d’uniquement jouer ou de réaliser. Pour moi, la réalisation c’est la construction de tout un monde entier qui me plaît et qui me fascine. Je suis vraiment passionnée par ce petit coin du cinéma.

Le Mag du Ciné : J’imagine que ça vous a fait plaisir quand Guy Nattiv vous a proposé de venir filmer avec lui. Qu’avez-vous apporté au moment de l’écriture du scénario et des personnages ?

Zar : Pour moi, ça a commencé par une demande de casting organique avant le Festival de Cannes en 2022, avec La Nuit de Mashhad. On s’est ensuite rencontrés à Los Angeles pendant la sortie américaine du film, qu’il est venu voir. Il l’a adoré et il m’a offert le rôle de Maryam, dont on a beaucoup parlé. Quant au scénario, c’était déjà écrit par Guy et sa collaboratrice Elham Erfani, qui habite en France justement. C’est une scénariste iranienne. La base était donc déjà écrite, le scénario était fort et je savais déjà qu’il fallait absolument raconter cette histoire, car j’ai des amis athlètes qui ont subi la même histoire.

Mais il me manquait encore quelque chose par rapport au personnage de Maryam, l’entraîneuse de Leila. Ce n’était pas toujours profond et elle n’était pas aussi présente. J’ai dit à Guy que le film était avant tout la confrontation de ces deux générations, en montrant comment chacune a des réflexes par rapport à cet état totalitaire. On voit Maryam qui a menti, qui est blessée par cette trahison, et que Leila fait partie d’une jeunesse déterminée. Elles s’inspirent l’une de l’autre. Du coup, j’ai demandé à faire une réécriture sur Maryam et on l’a beaucoup travaillé avec Elham. Et puis, comme j’étais directrice de casting sur La Nuit de Mashhad, il m’a proposé aussi de m’occuper du reste du cast, auquel Arienne Mandi (Leila) était déjà attachée. Et je pense qu’à la fin, j’ai tellement donné mon avis sur tout (rires), qu’un jour, il me dit : « Je ne me sens pas légitime de faire ce film tout seul. Viens, on va le réaliser ensemble. »

Mais là, avec les tensions entre l’Iran et Israël, avec tout ce jugement qui pourrait venir après, j’ai pris quand même mon temps d’être sûre de ce que je voulais faire. J’ai beaucoup parlé avec Guy pour être sûre de son idéologie politique, sa vision et de l’histoire qu’il voulait raconter. J’ai regardé tous ses films et une fois que j’étais convaincue de la qualité artistique du film, j’ai vraiment laissé toutes mes peurs derrière moi, et je suis tellement contente qu’on ait réalisé ce film, parce que c’était vraiment une collaboration historique avec un beau message.

Yaël : Absolument ! Pour en revenir à cette collaboration historique, je voulais savoir comment vous avez vécu les Jeux Olympiques cet été, parce que c’était très particulier. Ça avait une résonance très forte avec le film. On a justement vu un athlète israélien qui s’est retrouvé tout seul parce que…

Zar : L’Algérien.

Yaël : Oui, l’Algérien n’avait pas voulu l’affronter. Et alors j’ai vu que sur le tournage, il y avait une boxeuse iranienne qui s’appelle Sadaf Khadem et qui a été consultante, parce qu’elle a un petit peu vécu une situation similaire au personnage dans le film. Comment est-ce qu’elle est intervenue par rapport à votre écriture ? Est-ce que vous étiez toujours d’accord ?

Zar : Je n’étais pas là pendant l’écriture, mais je sais que le scénario s’est quand même inspiré de pas mal de faits réels. Il existe une grande liste d’athlètes qui ont connu le même problème. Mais Sadaf, justement, elle est la première boxeuse qui a eu des médailles et elle a enlevé son voile. C’est pour ça qu’elle s’est retrouvée avec pas mal de problèmes pour retourner en Iran à l’époque. C’était en 2019, je crois. Du coup, elle est restée en France. Elle était effectivement consultante, mais plutôt pour construire ce monde des athlètes, de ce qu’ils subissent. Le danger, les risques qu’ils prennent, tout ça. On peut dire qu’il s’agit en quelque sorte de sa vie aussi.

Et malheureusement, comme j’avais un tournage en Arménie, je n’étais pas présente pour suivre les Jeux Olympiques. Mais tous les soirs, je regardais ce qu’ils faisaient, comment ça se passait. Il y avait l’équipe de judos réfugiés à Paris qui étaient en contact avec moi. J’étais au courant de ce qui se passait chaque jour et il y avait toute une image qui m’a touchée, qui a touché tous les Iraniens. C’était l’image de Kimia Alizadeh qui vient du Taekwondo et qui s’est retrouvée face à Nahid Kiani qui représentait l’Iran, alors que Kimia représentait la Bulgarie (dont elle a acquis la nationalité). C’est exactement ce qui se passe à la fin de Tatami. Ces deux-là, elles sont des copines, elles sont des camarades. Elles se sont déjà retrouvées il y a quatre ans dans une situation similaire. La dernière fois, c’était Kimia qui a gagné et cette fois-ci, c’est Nahid. Mais il y a toute une image où elles s’enlacent longtemps. Et cette image a été censurée à la télé nationale iranienne, qui ne supporte même pas cette amitié. C’est de ça qu’on parle dans notre film.

Puis la première médaille a été gagnée en boxe (Cindy Ngamba) pour cette équipe de réfugiés, qui existe seulement depuis les Jeux Olympiques de Rio en 2016. C’était quand même un événement. Et avec ce que vous avez dit sur l’athlète algérien, qui a décidé quand même de sortir de la compétition pour ne pas rencontrer l’Israélienne, ça montre que Tatami n’est pas seulement inspiré par les Iraniens, mais par des réfugiés et d’autres athlètes qui viennent d’un peu partout. Ça peut parfois venir d’une décision personnelle ou de la pression d’un État. À la fin, j’aimerais bien que tout le monde se retrouve dans une paix et une amitié. Qu’on ne laisse pas les États nous casser cette amitié en fait. C’est ce que moi je souhaite, mais après chacun a son avis.

Yaël : Oui, c’est le but des Jeux Olympiques.

Zar : C’est ça qui est beau. Au taekwondo, Nahid concourrait pour l’Iran et Kimia pour la Bulgarie, mais en réfugiée iranienne. Et finalement, elles se retrouvent l’une en face de l’autre, alors qu’elles étaient censées être dans la même équipe.

Le Mag du Ciné : C’est ce lien qui est aussi important de montrer, parce qu’on voit cette complicité dans le film entre l’athlète israélienne et iranienne, qui sont amies et se connaissent. Il y a finalement une proximité culturelle entre les deux pays, même si ce n’est pas beaucoup développé. Mais on sent qu’il y a une zone de conflit politique, une zone de tension palpable entre elles. Avez-vous rencontré des difficultés particulières lors de la production et du tournage qui auraient les mêmes symptômes ?

Zar : Non, on a beaucoup fait attention pour le tournage, qui s’est déroulé en toute sécurité. Moi, je ne sortais pas parce qu’on a tourné à Tbilisi. C’est beaucoup très fréquenté par les Iraniens, très proches du gouvernement et il y a tout un business des gardiens de la révolution en place en Géorgie. De mon côté, j’ai beaucoup fait attention. Heureusement, c’était l’hiver. J’étais tout le temps cachée derrière mon écharpe. Même le lieu nous aussi a aidé parce que 80 % du tournage se passait dans une aréna. On était quand même enfermés dans un truc un peu underground, avec une sécurité en place. On n’avait pas envie d’être dérangés par n’importe qui du gouvernement ou des Iraniens.

Mais après, c’est intéressant parce que quand j’ai commencé mon travail pour réaliser ce film, j’ai dit à la production que je ne mettrais jamais les pieds en Israël. Ce n’est pas que je suis contre Israël, c’est parce que j’ai tellement entendu des anecdotes de gens et des amis de cinéastes qui se sont faits arrêter pendant des heures et des heures à l’aéroport pour des interrogatoires. J’ai aussi été interrogée en Iran une fois et je suis complètement frustrée et traumatisée par ça. Même quand je vais aux États-Unis et qu’on me demande plus de trois petites questions d’une manière un peu violente, je commence à trembler. Je ne pourrais pas du tout m’imaginer de passer une journée à l’aéroport.

Et finalement, on a commencé le montage et c’était hyper compliqué de le faire à distance. Je me dis que ce n’était pas possible. Pour le bien du film, il faut que je passe à Tel Aviv. Chacun a commencé à trouver des réseaux pour ça, mais quand j’arrive à Tel Aviv, tout le monde à l’aéroport était déjà au courant. Ça s’est donc passé rapidement et facilement. Et en entrant à Tel Aviv, je me suis sentie chez moi. Je voyais les gens et je me disais : « Non mais ce n’est pas possible ! » On pourrait vraiment être des frères et sœurs, on est presque de la même famille, de la même culture. Moi je dis que même nos défauts sont pareils (rires). C’est drôle, mais même la bouffe, l’odeur qu’on aime, l’atmosphère, l’architecture, tout ça me plaisait. C’était comme si j’étais en Iran. Et j’ai rencontré toute une équipe israélienne et on a tellement rigolé, on s’entendait tellement bien avec tout le monde. Franchement, si on ne parlait pas anglais entre nous, c’était comme si je fréquentais mes amis iraniens avec tous nos défauts encore (rires). Il n’y avait aucun problème, aucune dispute. Rien.

Yaël : On voit très peu l’actrice qui joue l’athlète israélienne (Lir Katz) et pourtant on sent quand même qu’il y a une compréhension entre les deux athlètes. On sent que juste à travers leur regard, elles se comprennent. Comment avez-vous réussi à construire ce lien ?

Zar : Elles sont devenues les meilleures copines du monde.

Yaël : C’est vrai ?

Zar : Oui, grâce à ce tournage. Dès le début, elles se collaient tout le temps. Et après, notre actrice israélienne, elle a passé beaucoup de temps avec nous parce qu’on voulait la voir plus. Mais finalement, pour des raisons de sensibilité du sujet, on a décidé de réduire sa présence pour ne pas trop rester sur le point de vue israélien, mais plutôt iranien. Il n’y avait malheureusement plus de place pour l’israélienne dans cette histoire. Mais leur amitié était déjà tellement forte. Ça a tellement marché qu’on le sent à l’écran.

Yaël : Et ça suffit en fait, vous avez raison.

Le Mag du Ciné : Finalement, d’un côté comme de l’autre, on sent qu’il y a plus ou moins le même dilemme sur le point de vue. D’ailleurs, comment est-ce que vous avez trouvé l’actrice pour incarner Leïla ? Il s’agit de rendre crédible les affrontements de judo, de trouver des personnes qui aient la physicalité pour jouer le drame et incarner tout ça à la fois.

Zar : Oui, c’était un long et grand casting. On a rencontré plusieurs actrices, mais il fallait être iranien et pour pouvoir parler farsi, tout ça. Pour Arienne habite à Los Angeles, comme Guy et elle vient de la boxe. C’est pour ça que, physiquement, elle était déjà super prête. Comme elle ne connaissait pas le judo, elle s’est entraînée avec un coach magnifique à Los Angeles. pendant trois mois environ. Et comme j’étais là-bas pour la campagne des Oscars pour La Nuit de Mashhad, je passais pas mal de temps avec eux et ça m’a beaucoup aidé aussi. J’en ai aussi un peu appris en même temps qu’Arienne.

Comme je passais pas mal de temps juste à regarder comment ça se passait pour mon rôle de coach, je voyais à quel point elle donnait tout ce qu’elle avait. Elle s’entraînait tous les jours pendant deux mois et demi. En même temps, elle avait besoin de travailler sur son attitude iranienne, parce qu’elle fait partie de la génération qui n’a pas grandi en Iran. Sa mère, elle est même chilienne et ne parlait pas très bien le farsi. Tous les soirs, on travaillait sur son farsi et donc de toute une attitude, de tous ces gestes qui viennent d’une fille d’Iran et pas d’une fille de Los Angeles. Elle est forte, elle est hyper talentueuse. Et d’ailleurs, toutes les autres sportives qu’on voit dans le film sont de vraies judokates géorgiennes. On avait une doublure cascade pour elle sur le plateau, si jamais elle n’y arrivait pas pour certaines scènes, mais elle a tout fait elle-même. Les vraies judokates étaient là avec la bouche ouverte : « Comment elle a réussi à devenir un vrai judoka en deux mois ? ». Elle aurait pu participer aux Jeux Olympiques.

Yaël : C’est incroyable. Justement par rapport au judo, c’est vraiment la force qu’il y a dans ce sport qui se dégage aussi à l’écran, donc c’est sa force à la fois physique mais à la fois intérieure qui se dégage. Comment, au niveau de la narration, avez-vous travaillé pour retranscrire cette intensité qui transparaît à l’écran ?

Zar : On en a beaucoup parlé ensemble. Elle est forte. Comme je le disais, elle est hyper talentueuse et a de la profondeur. Comme elle en connaissait peu sur l’Iran, je trouvais tous les soirs des liens, des trucs pour qu’elle puisse regarder, pour qu’elle puisse mieux connaître comment ça se passe dans cette société, sa culture et de quoi on souffre. Quand on parle de mettre toute une famille en risque, ça veut dire quoi ? Le fils de Leila est en train de grandir et c’est son mari qui représente pour moi toute une nouvelle génération d’hommes qui ont compris qu’il fallait respecter les droits des femmes et qu’il fallait les accompagner.

On a parlé beaucoup de tout ça et avant chaque scène, on reprenait le texte ensemble, on parlait de chaque moment, de l’émotion et pendant la scène, je ne lâchais pas. Et ça c’est assez généreux. Dès le premier jour, elle m’a dit : « Je dois travailler le judo, l’accent farsi et toute la culture iranienne, mais je te demande juste de ne jamais hésiter à me pousser plus. Ne te dis pas que je suis fatiguée, même si je rate ». Ça c’est assez généreux et ça m’a permis d’être vraiment tranquille avec elle. Il y a quelquefois, où on s’est arrêté pendant le tournage. On a repris une petite discussion simplement pour changer tout un mouvement de sa main et générer toute une émotion, surtout dans la scène où elle enlève son voile. Elle m’a fasciné. Tout vient d’elle, elle capte vite, elle est profonde.

Le Mag du Ciné : Comment avez-vous travaillé cette complicité sachant le jeu de miroir intéressant entre les deux personnages ? Maryam regarde un peu Leila comme si elle se revoyait plus jeune, quand elle était sous l’emprise du doute. Elle se dit qu’elle pourrait peut-être accomplir le rêve qu’elle n’avait pu réaliser à travers Leila.

Zar : C’est ce que je disais, c’était tout un matériel pour moi, cette histoire de se voir dans ce miroir de cette jeunesse déterminée qu’il fallait retravailler dans ce scénario. C’est ce qu’on a fait, mais j’ai aussi essayé d’interpréter à ma façon et de montrer cette dureté de ce personnage. Elle est devenue dure parce qu’elle a subi et a porté ce bagage de regrets pendant des années. Elle est même devenue une femme jalouse alors qu’elle ne l’était pas avant. Quand on parle de judo, c’est avant tout une attitude, c’est une mentalité basée sur le respect. Ce n’est pas la boxe, on ne blesse pas les autres. Pour moi, Maryam, qui pourrait être une championne de judo, n’a pas une mauvaise base mais elle se retrouve pendant des années à se dévorer avec son mensonge, à se trahir de cette façon et à regretter.

Et comme Arienne était vraiment la meilleure partenaire du jour, je pense qu’il y a des moments touchants entre nous qui se sont créés. En même temps, je pense que le fait que j’étais réalisatrice et elle actrice, ça nous a aidé à créer cette relation en plein respect d’un coach et son judoka. Ce travail était assez joyeux.

On a même re-tourné deux jours supplémentaires pour Maryam. Il y avait encore des moments qui nous manquaient après la réécriture parce que le film, c’est quand même devenu l’histoire de ces deux femmes. Maryam reste quand même un personnage secondaire, mais c’était tellement complexe. C’était vraiment difficile à trouver le bon dosage.

Le Mag du Ciné : Oui, parce qu’au final, ce qui en ressort, c’est une forme de sororité qui les sauve.

Yaël : Elle joue un rôle de mère de substitution aussi, où elle cherche un peu à la protéger.

Zar : Elle devient une vraie coach et une vraie sœur.

Yaël : Et comment vous avez fait pour à la fois jouer et en même temps réaliser, ce n’était pas trop difficile de faire les deux ?

Zar : Non, je pense que je suis un peu habituée à faire mille trucs sur le plateau (rires). Dans La Nuit de Mashhad, je n’étais pas censée jouer ce rôle de journaliste. J’étais sur place pour assister à Ali Abbasi et coacher les autres acteurs. Et je n’ai pas perdu mon autre, ces deux autres jobs quand j’ai commencé à jouer (rires). Donc c’était exactement pareil, je courais tout le temps derrière la caméra, devant la caméra. J’enlevais un truc (en mimant un accessoire audio autour de la tête), puis j’allais parler avec les autres acteurs et je revenais derrière la caméra. C’était pareil, mais c’était juste une question de temps parce que le tournage était vraiment serré. On a eu 23 jours pour tourner Tatami, avec un tout petit budget, beaucoup d’acteurs, les décors de judo et une aréna. On prenait pas mal de temps à répéter les scènes de judo. Et il fallait quand même garder toute l’intensité du jeu derrière et des mouvements de caméra en dehors du tatami. Sur toutes scènes-là, c’était compliqué parce qu’on n’avait pas de temps pour que je puisse me regarder avant que je revienne jouer. La plupart du temps, on ne faisait qu’une prise. J’ai pris un grand risque, parce qu’il y avait vraiment peu de temps pour retourner notre prise. Du coup, j’allais vraiment, devant la caméra, bien organisée, bien décidée pour chaque mouvement.

Yaël : Vous avez fait des répétitions avant le tournage ?

Zar : Pas vraiment sur le plateau, mais je parlais beaucoup avec les autres acteurs, comme je savais ce qu’on allait faire exactement. Et avec Guy, on parlait beaucoup de caméra. Je connaissais donc les mouvements. Je jouais, je regardais, je vérifiais si tout allait bien et on repartait sur un autre jour.

Le Mag du Ciné : La caméra est aussi importante dans le film. Il y a beaucoup de longs plans où on suit les personnages faire des allers-retours dans les couloirs, des vestiaires jusqu’au tatami. On sent que même sans dialogue, où on les entend juste marcher, ça travaille dans la tête des personnages. Ils doutent et réfléchissent pour garder la tête froide.

Zar : On a galéré pas mal de temps avec ça. On avait notre découpage, mais sur le plateau, pour les séquences de judo, dans les couloirs, il n’y avait pas assez de lumière, il y avait pas mal de problèmes tout le temps. Il fallait tout le temps trouver des solutions. C’était tout un bâtiment un peu soviétique, hyper huis clos. Il n’y avait pas assez d’espace non plus pour faire tout ce qu’on voulait.

Le Mag du Ciné : Est-ce que c’est à cause de ces problèmes techniques que vous avez choisi, avec Guy, de tourner en noir et blanc ou c’était déjà votre volonté artistique dès le départ ?

Zar : Non pas du tout, c’était une décision dès le début. C’était lié à l’histoire de ces deux personnages qui vivent dans un monde en noir et blanc. Un monde fermé. Et qu’ils n’ont pas trop de choix. Soit on reste, soit on part.

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Je crois qu’on ne peut pas séparer les hommes et les femmes. Je pense que sans les hommes, les femmes n’existent pas, et sans les femmes, les hommes n’existent pas non plus.

Yaël : Par rapport au mari, vous en parliez tout à l’heure, est-ce que ce n’est pas une vision optimiste ou c’est une vision crédible pour vous que le mari la soutienne comme ça et qu’il soit à fond derrière elle avec l’enfant ? Est-ce qu’aujourd’hui c’est possible ?

Zar : Oui, je pense qu’il représente quand même toute une nouvelle génération d’hommes qui encouragent leurs femmes, comme pendant les votes des femmes en Iran il y a deux ans. Je le vois même dans le cinéma, il y a pas mal de réalisateurs qui ne veulent plus tourner avec ce mensonge de femmes voilées alors que ça ne se passe plus comme ça. Il y a pas mal d’hommes qui ont du respect pour leurs femmes, leurs décisions personnelles sur comment elles s’habillent et pour ne pas mettre toute une famille en risque. Du coup, il y a des femmes dans différents métiers qui étaient obligées de quitter l’Iran, parce qu’elles ne supportaient plus leurs maris qui ne les ont pas accompagnées. Pour moi, Leïla ne pourrait pas tout faire sans son mari et son enfant. Alors heureusement, ça change beaucoup tous les jours et ça change de plus en plus.

Yaël : C’est sûr, oui.

Zar : C’est ce que je crois, mais je ne suis pas du tout une féministe radicale et extrême. Je crois qu’on ne peut pas séparer les hommes et les femmes. Je pense que sans les hommes, les femmes n’existent pas, et sans les femmes, les hommes n’existent pas non plus. On peut réussir à avancer et à garder notre liberté ensemble, sinon ce n’est pas possible. Et cette histoire, c’est ce qu’on raconte dans Tatami.

Yaël : C’est un film porteur d’espoir. Est-ce que vous espérez que ce film change un peu les mentalités ? Avez-vous un peu d’espoir ?

Zar : J’espère que ça touchera quand même les gens. Et j’espère surtout que cette collaboration entre une Israélienne et une Iranien inspire les autres. Aujourd’hui, il y a des problèmes et des guerres partout, de chaque côté du monde malheureusement. Je pense que ça va quand même être vu par pas mal de gens qui se retrouveront inspirés quand ils sortiront de la salle. Mais même cette histoire de l’amitié entre ces deux femmes, de ces deux générations, j’ai envie qu’elle touche les hommes.

Yaël : Pour conclure, je voulais savoir quel film ou série vous regardez en ce moment ?

Zar : Je n’ai pas le temps (rires) ! Si, justement, j’ai commencé un film sur Netflix, un documentaire qui se passe en Afrique du sud… My Octopus Teacher (La Sagesse de la pieuvre), c’est incroyable. C’est ce que j’ai commencé à regarder, après je me suis endormie au milieu (rires).

Yaël : Et avez-vous d’autres projets ?

Zar : J’ai un film qui sort bientôt, qui sera au festival d’Angoulême dans une semaine, L’effacement de Karim Moussaoui. Je suis en plein d’écriture et financement de mon prochain long-métrage (Honor of Persia). Et je reviens d’un tournage d’un film franco-arménien (Sauver les morts) avec Camille Cottin et réalisé par Tamara Stepanyan, une réalisatrice arménienne qui habite en France.

Le Mag du Ciné : De mon côté, j’ai noté un film en plus, Reading Lolita in Tehran.

Zar : Oui, on l’a tourné l’année dernière avec Eran Riklis, un autre Israélien. On attend de le distribuer.

Le Mag du Ciné : Nous sommes évidemment très curieux de les découvrir. En attendant, nous espèrons que Tatami connaisse un grand succès auprès des spectateurs qui le découvriront en salle.

Zar : Merci pour votre soutien ! On compte sur vous (rires) !

Propos recueillis par Jérémy Chommanivong, le 22 août 2024 à Paris.

Bande-annonce : Tatami

Responsable Cinéma