Divines: rencontre avec la réalisatrice Houda Benyamina et l’équipe du film

Marushka Odabackian Redactrice LeMagduCiné

Rencontre avec l’équipe du film Divines (au cinéma le 31 août)

Lundi 22 août, Club 13. Après la projection presse de Divinesla réalisatrice Houda Benyamina, accompagnée de ses acteurs principaux Oulaya Amamra, Déborah Lukumuena, Jisca Kalvanda et Kevin Mischel, s’est prêtée à un échange avec les spectateurs dans le cadre d’un débat questions/réponses. Non contente d’avoir décroché la Caméra d’Or au dernier Festival de Cannes, la cinéaste, qui signe ici son premier long métrage, part désormais à la conquête du public avec un projet viscéral et engagé qui risque de faire couler beaucoup d’encre. Violent, réaliste et sans concession, Divines brosse le portrait d’une génération de jeunes filles désœuvrées et prêtes à tout pour s’en sortir, quitte à faire les mauvais choix.

Récit de cette rencontre à laquelle a participé CineSeriesMag, belle occasion de discuter avec toute l’équipe du film de façon spontanée et détendue, tout en abordant des problématiques pertinentes.

I/ La réalisatrice prend la parole : « Selon moi, le cinéma est la réconciliation de tous les arts »

Qu’est-ce qui vous a motivée à réaliser ce film ?*

Houda Benyamina : Au départ, je voulais surtout raconter une histoire d’amitié fusionnelle entre deux adolescentes avec le sens du sacrifice. Mais bien sûr, mes motivations étaient également politiques : comme tout le monde, j’ai été très touchée et choquée par les émeutes de Villiers-le-Bel en 2005. Moi aussi, comme ces jeunes, j’avais la rage et je voulais manifester avec eux, prendre part au mouvement. Heureusement, j’ai eu la chance de pouvoir canaliser ma colère grâce à mon art, le cinéma, donc je ne suis pas descendue dans la rue, mais j’avais envie. Je voulais montrer comment la colère se transforme en révolte, établir un constat sur les monstres qu’on a créés.

Quelles sont vos inspirations artistiques, comment se déroule votre processus créatif ? Je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer les tatouages « Love » et « Hate » sur les phalanges de Jessica, est-ce une référence au film de Spike Lee [Do the right thing, ndlr] ?

Houda Benyamina : Je préfère plutôt partir d’un sentiment quand je fais un film, d’une nécessité, de quelque chose que je veux raconter. Donc je n’ai pas eu de modèle de référence particulier. Mais en ce qui concerne mes goûts, je suis éclectique, j’aime Spike Lee, Scorsese, Fassbinder, Pasolini, Sirk (j’aime beaucoup le mélo), Eustache, Renoir, Scola… En règle générale, j’apprécie le cinéma d’ampleur. Pour le tatouage, c’était plus un clin d’œil à La Nuit du Chasseur. D’ailleurs, il y a plein d’autres clins d’œil dans mon film !

« Je voulais faire un film d’ampleur »

A ce propos, comment avez-vous construit l’esthétique du film ? Souvent, le cinéma vérité a une image crue, alors que dans Divines, le visuel est très travaillé.

Houda Benyamina : Comme je l’ai dit, mon mot d’ordre c’est l’ampleur, l’organique. Je voulais faire un film opératique en restant connectée à la vérité. On a énormément préparé tous les aspects du film, à travers de multiples réunions avec toute l’équipe, pour regrouper les talents de chacun. Les décors extérieurs, les costumes, les coiffures, les lumières : rien n’a été laissé au hasard. J’ai tout chiadé, mais c’était un travail de groupe. On a choisi d’insister sur les contrastes entre haut/bas, spirituel/politique, obscurité/clarté… On s’est basé sur des dossiers iconographiques, on s’est livré à des repérages, etc.. Selon moi, le cinéma est la réconciliation de tous les arts : musique, peinture, littérature. Mais je ne souhaitais pas non plus que la forme prenne le pas sur le fond, que Divines devienne un exercice de style dépourvu de sens. J’avais peur de ne pas rester en phase avec l’histoire : grâce à mon équipe, on a créé du sens, on l’a transcendé, et on l’a intégré à la personnalité des héroïnes.

Je voudrais revenir sur la dernière scène, avec la pleine lune, qui fait semble-t-il écho à un des passages du film où Dounia et Maïmouna évoquent la présence d’une entité divine. Quelle est la morale ? J’ai le sentiment que vous introduisez une idée de destin.

Houda Benyamina : Mon film est une tragédie grecque. Je parle de la destinée que mes personnages mettent en place pour elles-mêmes. Mais oui, il y a effectivement l’idée d’un Dieu, d’une force cosmique, d’une énergie. Je ne suis pas une réalisatrice à message donc il n’y a pas de morale, je cherche plutôt à questionner par l’émotion, décrire le combat entre le sacré et le politique, montrer la quête de rédemption de Dounia. A la fin, elle comprend.

« Divines est une tragédie grecque »

Pourquoi amorcez-vous deux histoires d’amour très puissantes (l’amitié entre Dounia et Maïmouna d’un côté et sa passion naissante pour Djigui le danseur de l’autre) pour finalement les casser, les briser ?

Houda Benyamina : Je tenais à mettre mon personnage face à un dilemme, lui imposer un choix. Mais c’est vrai que ça n’a pas été facile en termes d’écriture scénaristique, on a dû faire en sorte que tous les axes se répondent, pour tisser un réseau organique et vrai. L’issue est sombre car mon film est politique. Il n’y avait pas d’autre alternative possible.

2/ Les comédiens s’expriment : « On a appris à relativiser »

Comment s’est déroulé le casting ?

Oulaya Amamra : En fait, je suis la petite sœur d’Houda, donc c’est du piston (rires). Plus sérieusement, au départ, je prenais des cours de théâtre dans sa classe, c’était ma prof. Comme elle n’avait personne dans ses cours elle m’a forcée (rires). En réalité, elle ne m’a pas parlé de son projet tout de suite, je l’ai appris plus tard. Au début, elle ne voulait pas que je passe le casting, elle ne me trouvait pas adaptée au rôle, mais je lui ai dit que je voulais ma chance comme tout le monde, j’ai passé l’audition, et après une attente de neuf mois, j’ai reçu une réponse positive.

Houda Benyamina : Ce qu’il faut préciser c’est que je n’étais pas convaincue par un tel choix car ma sœur a reçu une éducation catholique, elle a fréquenté des cours privés, a fait du catéchisme, de la couture (rires). Elle est venue au casting avec du vernis, je lui ai dit qu’elle n’avait rien compris au rôle ! Mais au fur et à mesure, elle a troqué ses robes contre des joggings, s’est noué les cheveux, a commencé à faire de la boxe, jusqu’à devenir Dounia [son personnage dans le film, ndlr].

Déborah Lukumuena : Pour moi ça a été très différent, à la base je ne suis pas dans le cinéma, je faisais des études de lettres et je me suis découvert une passion timide pour le Septième Art et le métier d’acteur. Mais je suis réaliste, je me suis dit que ça allait être difficile pour moi, surtout en l’état actuel des choses -je trouve personnellement que le cinéma n’est pas franchement le reflet de sa population- alors j’ai commencé par m’orienter vers de la figuration. Et puis j’ai vu l’annonce du casting : je correspondais aux critères, donc j’ai tenté ma chance, et neuf mois plus tard, j’ai su que j’étais retenue pour le rôle de Maïmouna !

Jisca Kalvanda : Dans mon cas c’est plus comme Oulaya, je connaissais déjà Houda puisque j’étais aussi dans son cours de théâtre. Mais en fait je voulais le rôle de Maïmouna, donc j’étais toujours dans les pattes d’Houda pour essayer de la convaincre, sauf que, disons que je ne remplissais pas les critères ! Quand j’ai su que j’étais pressentie pour incarner Rebecca [la dealeuse du quartier, ndlr], j’ai eu peur car je ne suis pas du tout comme elle, j’ai pensé « ah ouais quand même ! » (rires). Surtout qu’au départ comme le personnage de Jessica existe en vrai, c’était elle qui devait jouer son propre rôle ; mais elle a eu des problèmes et n’a pas pu le faire… Finalement, c’est moi qui ait repris le flambeau.

Kevin Mischel : Pour moi, ça s’est passé comme pour Déborah, en fait je suis danseur, donc j’ai été contacté par le directeur de casting qui a trouvé mes vidéos, il m’a expliqué qu’il cherchait un danseur/acteur pour un film et m’a proposé de rencontrer Houda et le reste de l’équipe. J’ai accepté car j’aime le cinéma, ça s’est fait comme ça.

 « J’ai eu entre les mains des De Niro, des Depardieu, des Meryl Streep et des Adjani » (Houda Benyamina à propos de ses acteurs)

Question pour Jisca Kalvanda : comment avez-vous travaillé votre rôle ? Y avait-il une part d’improvisation ou était-ce très écrit ?

Houda Benyamina : Pour commencer je tiens à préciser que pour tous mes comédiens, il s’agissait vraiment de rôles de composition, j’ai eu entre les mains des De Niro, des Depardieu, des Meryl Streep et des Adjani, selon moi ils sont au même niveau (à ses acteurs : « c’est bon ne prenez pas la grosse tête non plus hein !« ).

Jisca Kalvanda : Personnellement j’étais assez intimidée par le personnage que je devais jouer et surtout par la vraie dealeuse dont le rôle est inspiré, j’ai pris modèle sur elle, j’ai été coachée par Houda, c’était dur, j’étais à deux doigts de pleurer parfois.

Houda Benyamina, l’interrompant  : C’est pas vrai t’as pleuré dis le !

Jisca Kalvanda : Pas pendant la prépa, mais pendant le tournage oui ! On a fait un gros travail d’équipe avec la maquilleuse, la coiffeuse pour arriver au résultat final. J’ai aussi regardé tous les films de gangsters, je suis allée sur le terrain, j’ai appris à couper du shit, à rouler des joints, à fumer. Avec Houda, on ne peut pas tricher. A force de traîner avec la vraie dealeuse, j’ai appris à ne pas juger, à m’approprier la psychologie de l’héroïne.

Qu’est-ce que cette expérience vous a apporté, humainement ?

Oulaya Amamra : J’ai grandi, j’ai pris de l’âge. J’ai découvert que j’avais un côté guerrière en moi, je me suis révélée à moi-même sur certains aspects. Et puis j’ai aussi appris à relativiser ! Quand on s’immerge dans le quotidien d’un personnage, qu’on dort dans des camps de roms, on réalise que rien n’est grave dans sa propre vie ! Ce film, c’est l’amitié, c’est la vie : ça m’a éclairée sur ce que j’avais en moi.

Déborah Lukumuena : Personnellement, comme je ne suis pas actrice de formation, j’ai surtout acquis un réel enseignement professionnel. Il faut se livrer avec profondeur et intimité, gagner en ouverture d’esprit, s’effacer derrière le personnage, lui donner une peau et s’oublier. Cela m’a fait réfléchir sur le métier que je voulais embrasser, mais pas seulement : Divines aborde des thèmes comme la perte de ses rêves, de ses objectifs, l’erreur et la surconsommation, donc moi aussi, j’ai relativisé après !

Jisca Kalvanda : J’ai compris qu’un film, ce n’était pas seulement les personnages. Au départ, je ne pensais que par le prisme de Rebecca, je me concentrais sur mon interprétation, mais quand j’ai vu le film terminé, j’ai réalisé qu’il fallait englober la totalité du message. Divines parle de remise en question, des combats qu’on se livre à nous-mêmes.

Kevin Mischel : Cette expérience, ça m’a appris beaucoup sur le métier de comédien mais également sur la solidarité et l’entraide, car on s’est serré les coudes dans les moments difficiles pour que le projet fonctionne. C’était très humain.

Humain, c’est le mot de la fin, et c’est véritablement ce que l’on peut retenir de Divines, film coup de poing criant de vérité qui met en image la rage et la haine qui rongent actuellement les classes populaires françaises les plus défavorisées. Le long métrage, riche et dense, multiplie les registres, entre scènes de la vie quotidienne, récit d’apprentissage, rise and fall, chronique engagée, portrait humaniste et tragédie moderne aux accents de guérilla urbaine, le tout au service d’un message sans concession qui établit un constat implacable : la société engendre des monstres. Reste à savoir si la révolte est en marche ou non. Divines sort en salles le 31 août.

*Toutes les questions ont été posées par les spectateurs présents lors de la projection presse.

Divines : Bande annonce

Divines : Fiche technique

Réalisateur : Houda Benyamina
Scénario : Houda Benyamina, Romain Compingt
Interprétation : Oulaya Amamra (Dounia), Déborah Lukumuena (Maïmouna), Jisca Kalvanda (Rebecca), Kevin Mischel (Djigui)
Musique : Demusmaker
Photographie : Julien Poupard
Montage : Vincent Tricon et Loïc Lallemand
Producteurs : Marc-Benoît Créancier (Easy Tiger)
Distribution (France) : Diaphana
Récompense : Caméra d’or au Festival de Cannes 2016
Durée : 105 min.
Genre : Drame
Date de sortie : 31 Août 2016

France, Qatar – 2016

 

Redactrice LeMagduCiné