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Séries Mania 2018 : Rencontre avec Carlton Cuse (Lost, Bates Motel)

Malgré un planning chargé, nous ne pouvions refuser l’occasion de rencontrer le scénariste Carlton Cuse, architecte du phénomène Lost, créateur de la série Bates Motel, et des nouvelles aventures de Jack Ryan, qui sortiront; prochainement. Retour sur une carrière foisonnante, en toute sincérité.

La rencontre eut lieu ce lundi à l’UGC ciné-cité de Lille, animée par Olivier Joyard (Les Inrockuptibles). Ouvert, détendu et sympathique, le réalisateur s’est livré à nous deux heures durant, évoquant sa carrière, les œuvres marquantes de sa vie et son avenir dans le monde de la télévision. Entrecoupée d’extraits, la discussion fut intéressante, même si l’on est pas particulièrement fan des œuvres du monsieur.

« Les scénaristes de Lost faisaient sonner une cloche dès que je faisais une référence à Narnia. »

D’entrée de jeu, Carlton Cuse évoque son enfance et sa première rencontre avec le storytelling. Avec beaucoup de plaisir, il admet que la saga du Monde de Narnia, écrite par C.S Lewis, fut probablement sa première rencontre avec l’art de raconter des histoires. Selon ses dires, c’est véritablement cette œuvre matricielle de la fantasy qui a « activé son imagination ». Et cette obsession le suit toujours, à tel point que les scénaristes de Lost, un peu agacés, faisaient sonner la « Narnia’s bell » (cloche Narnia) à chaque fois que Cuse évoquait son livre favori. Un référence étonnante pour quelqu’un qui ne s’est pas particulièrement exercé à l’heroic fantasy au court de sa longue carrière.

Mais la littérature ne fut pas sa seule influence, et c’est véritablement la télévision qui stimulera son imagination. Enfant d’un couple divorcé à neuf ans, avec deux parents qui travaillent, sa seule activité sera de regarder le petit écran. Il dévore tout ce qui passe sur les ondes : La quatrième dimension, Bonanza, The riffle men, Star Trek… Une expérience solitaire, mais comme il le dit lui même : « I just love watching T.V ».

Pourtant le jeune Carlton ne se destinait pas à l’écriture, bien qu’il en ait pris le goût à l’école. Il choisit d’abord de s’orienter dans le domaine médical, mais menace de s’évanouir après un premier passage au bloc. Étudiant à Harvard, il décide de se réorienter et obtient un diplôme en Histoire. C’est néanmoins dans cette prestigieuse université qu’a lieu sa première rencontre avec le monde du cinéma, quand les studios proposent sur le campus une projection test du film Airplaine ! (Y’a t’il un pilote dans l’avion des frères ZAZ sorti en 1980). La vision du film provoque un déclic chez le jeune Carlton, et il réfléchit sérieusement à se lancer.

« I felt like I can do this ! »

Il décide de partir pour Los Angeles et se donne deux ans pour percer. Il commence comme « reader » chez un producteur. Il passe ses journées à lire des scénarios, afin de les résumer sur des mémos, à l’attention des décideurs qui n’ont pas le temps de les lire. Il lit donc tout ce qui passe entre les mains des studios, apprend à résumer, à aller au plus court. Cette expérience lui évoque la règle des dix milles heures énoncée par l’auteur Malcolm Gladwell, selon laquelle à force de travailler une compétence régulièrement, on ne peut que finir par y exceller. Dix milles heures étant le palier du succès. Carlton Cuse a donc passé ses dix milles heures à lire les scénarios des autres, à les analyser, voir même à les critiquer. « C’était une expérience très utile » et à force de lire et relire « j’ai fini par sentir que je pouvais le faire ».

Il commence par assister Laurence « Larry » Kasdan, un collègue qui voit également ses scénarios être refusés, jusqu’à ce que ce dernier co-écrive L’Empire contre-attaque. De son côté, Cuse travaille sur quelques épisodes de la série Crime Story produite par Michael Mann pour NBC, mais aussi sur « un christmas special pour NBC autour d’un rockeur chrétien… » dont il se souvient amusé, mais refuse de parler plus longuement. Il prête également (mais modestement) mains forte à Jeffrey Boam sur Indiana Jones et la dernière croisade et L’arme fatale 2.

En 1993 sort The Adventure of Brisco County Jr. , avec Bruce Campell (Evil Dead) dans le rôle principal. Une parodie de western (avec une influence assumée d’Indiana Jones). Avec une certaine nostalgie, un extrait nous est montré, où nous (re) découvrons l’appétit du scénariste pour la comédie.

L’idée était de faire une série d’aventure pleine de rebondissements, mais portée par un humour enfantin (« goofy humour »). « We wanted to have fun with the ideal of western » ajoute le créateur. Rappelons que la série sort deux décennies déjà après la vague des westerns spaghetti qui ont redéfini totalement le genre. Brisco County en revanche proposait « des personnages merveilleux, de l’aventure, une vengeance… mais aussi de la naïveté […] c’était une série très amusante ». Celle-ci fut également tournée dans l’un des derniers décors de western des studios Warner, qui fut détruit peut de temps après. Pour Carlton Cuse, « c’était presque comme la fin d’une ère ».

Le scénariste tient à rappeler que la série fut diffusée juste avant l’arrivée de X-Files sur les ondes (qui redéfinira le paysage télévisuel U.S) et qu’il avait très peu d’expérience comme showrunner. Il l’admet lui même : « Je ne savais pas vraiment ce que je faisais ». Cet premier entraînement à la tête d’une série fut tout de même couronné d’un succès critique encourageant, malheureusement le public ne suivit pas, et Brisco County fut annulée au bout de vingt sept épisodes.

« Television was the right place for my talent »

Lorsqu’on lui demande la différence entre un showrunner et un réalisateur de cinéma, Cuse explique que le showrunner est surement ce qui s’en rapproche le plus pour la télévision. Néanmoins, il faut ajouter à cela la partie « business ». « Un jour vous travaillez sur le montage, le lendemain sur le marketing, puis sur l’écriture… vous devez penser à beaucoup de choses en même temps ». D’autant plus qu’à l’époque, les principales chaînes (le câble n’avait pas encore la place qu’il a aujourd’hui) ne pensaient qu’en terme de quantité. Il n’y avait que quatre networks qui ne cherchaient qu’à remplir les grilles de programmes.

Le plus gros changement de ces dernières années, selon lui, est l’attention portée à la qualité. Certaine chaînes n’hésitent plus à produire des séries plus courtes, mais plus ambitieuses en termes de narration ou de réalisation. Cuse profite de cet aparté pour rendre hommage à l’un de ses mentors, John Sacret, showrunner de China Beach (ABC, 1988-1991) ainsi qu’a Steven Brocho (N.Y.P.D Blue, diffusée sur ABC de 1993 à 2005), qui serait l’inventeur des « multiples storylines ».

Si au départ Carlton Cuse pensait devenir cinéaste, il s’est finalement rendu compte que la télévision était « l’endroit parfait pour développer son talent ».

« Dead after twelve episodes… »

Son premier succès public arrive en 1996 avec Nash Bridges, qu’il conçoit comme une combinaison d’éléments de cop show et d’histoires intimistes. Il voyait la série comme une œuvre très nihiliste, mais l’implication de l’acteur principal Don Johnson en décida autrement. « Don Johnson à rendu la série plus fun. C’est un type très drôle en vérité ». La série dura six saisons, et c’est au cours de la dernière que Cuse rencontra un jeune scénariste appelé Damon Lindelof. « Quand je lisais ses scripts je me disais que ce gars était vraiment doué ».

Plus tard, alors que Cuse est sous contrat avec un autre studio, le jeune gars doué lui envoie le scénario de Lost. Lindelof est très inexpérimenté et lui demande de l’aide pour produire cette nouvelle série. Cuse tombe amoureux du script et demande à son agent de rompre son contrat avec l’autre studio pour rejoindre le navire. Personne ne croyait au projet, et tout le monde disait que Lost ne tiendrait pas douze épisodes. Mais grâce à un coup de pouce inespéré d’un producteur qui savait qu’il se ferait licencier, le duo obtient la modique somme de douze millions de dollars pour produire le pilote.

« On voulait faire la série que l’on aurait voulu voir, et douze épisodes auraient été bien, car nous nous sentions tellement libres ». A la différence de Nash Bridges qui était très traditionnelle, Cuse et Lindelof veulent exploiter à fond leur liberté artistique. A une époque où il n’y avait pas de science-fiction sur les grands networks et où le feuilleton était encore un concept (une histoire qui suit tout les épisodes au lieu d’une histoire par épisode), tout le monde voit déjà les deux scénaristes se crasher aussi bien que leur avion.

« Les producteurs de télévision veulent toujours que tout soit explicable, qu’il n’y ait aucune ambiguïté. Hors j’aime beaucoup les films d’Antonioni, de Fellini et le cinéma européen. Ces cinéastes qui font sciemment des films confus. Je voulais me rebeller contre ce besoin d’explication et de clarté. Et en vérité, tout ces éléments qui auraient dû nous faire échouer furent finalement ceux qui firent de Lost un succès. » Effectivement, la série devient rapidement un phénomène, et les multiples questions s’enchaînent, tandis que les réponses se font attendre : « On ne s’attendait pas à un tel succès, et au bout d’un moment, écrire de nouveaux épisodes, c’était comme pousser le bouton dans le bunker. On ne savait pas nous même ce qui allait arriver. »

« The ending that we wanted »

Le scénariste affirme que lui et Lindelof ont écrit la fin qu’ils voulaient. Si les producteurs les poussaient à répondre à toutes les questions laissées en suspens, ils ont finalement fait le choix de l’ambiguïté. Jusqu’au bout, Carlton Cuse aura tenu tête à la dictature de l’explication. « Ces gens ne sont pas perdus sur une île, mais dans leur vie. La vie ne vous donne jamais d’explication, donc nous avons préféré une fin émotionnelle plutôt qu’une explication. On avait un peu peur de la réception par les fans, mais il y avait tellement de questions, et aucune manière de donner toutes les réponses. En vérité, le sujet de la série était la liberté de création ». Une fois le final diffusé, Carlton Cuse fut incapable de produire quoi que ce soit pendant six mois.

« I love storytelling ».

Il revient en 2013 avec un projet très risqué, Bates Motel, prequel du culte Psychose d’Alfred Hitchcock. Tout à fait conscient des risques, il admet que ce qui l’intéressait dans cette histoire était l’idée d’un prequel contemporain. Donc de reprendre les éléments du personnage de Norman Bates, mais en l’inscrivant dans notre époque. Au début, l’idée était de raconter comment Norma (la mère) étouffe son fils et le pousse à la folie. Puis finalement, Cuse a trouvé plus intéressant d’inverser ce rapport. Norma aime désespérément son fils, mais lui a une part d’ombre. Leur maison hors du temps s’oppose au monde moderne, tout comme leur relation fusionnelle apparaît comme inacceptable aujourd’hui.

Le showrunner semble prendre un certain plaisir à jouer avec les personnages d’Hichcock, et raconte même une anecdote que n’aurait pas renié le maître du suspens : « Pour cette scène où Norma et Norman jettent un corps, on a dû faire des tests avec le faux cadavre pour savoir comment le lester afin qu’il coule à pic. Le réalisateur voulait absolument un plan où l’on voit ce corps couler sous l’eau. Nous avons donc testé le mannequin entre nous… au moment où une équipe de kayak passait à côté. Nous étions sans l’équipe technique, sans caméra… ils nous ont regardé bizarrement ».

En simultané, Carlton Cuse à également travaillé sur d’autres séries comme le remake américain des Revenants ou l’adaptation de The Strain. « Je ne prévois pas, les propositions arrivent comme ça… et j’aime tellement raconter des histoires ». Mais pour l’instant, il se concentre sur la nouvelle adaptation de Jack Ryan, d’après les romans de Tom Clancy prévue pour le 31 août sur Amazon. Ce ne sera pas une adaptation d’un des livres, mais une histoire originale développée sur huit épisodes d’une heure. L’équipe a tourné à Montréal, Paris et au Maroc, tout en faisant appel à un casting international.

Après la présentation de deux extraits exclusifs (que nous ne pouvons vous diffuser), le créateur commente : « Ce que j’aime chez Jack Ryan, c’est que c’est un vrai héros, comme les personnages d’Harrison Ford. Ce n’est pas un anti-héros cynique comme Jack Bauer ou Carrie Mathison (Homeland). Il respecte la loi comme une religion […] Nous avons également écrit un certain nombre de personnages musulmans positifs. Nous tenions à cette idée que le terrorisme est l’affaire d’un individu, pas d’une culture. Nous essayons de faire en sorte que la série soit la moins exclusive possible ». A nous de juger le 31 août.

*Les vidéos présentes dans cet article sont en V.O non sous titrées.

Redacteur LeMagduCiné