Gérardmer 2019 : Retour sur la compétition

Comme chaque année, le festival de Gérardmer est synonyme de marathon filmique ponctué de bières au café en face du Casino ou de raclette à la Bergerie. Cette 26ème édition n’échappe pas à la tradition. LeMagduCiné a donc passé 3 jours dans la neige vosgienne pour vous faire un petit état de ce qui se passe dans le genre en 2019. Premier arrêt et pas des moindres, la compétition avec un petit retour sur 6 films sur les 10 présentés dans cette sélection. L’occasion de revenir également sur le palmarès qui cette année peut aisément se résumer à Suède, enfer et paradis.

The Unthinkable (Réalisé par le collectif Crazy Pictures, Suède,2018)

Notre première expérience avec la compétition de cette cuvée 2019 se fait avec certainement ce qui restera comme le meilleur film de cette dernière. Réalisé par un collectif de 5 personnes, travaillant à la fois sur la mise en scène, le scénario, le montage, le design sonore et bien d’autres choses, The Unthinkable a été entièrement financé par Kickstarter. Un budget de 2 millions d’euros qui a visiblement été dûment utilisé, tellement le film impressionne par sa maîtrise à tous les niveaux. The Unthinkable peut cependant laisser dubitatif dans sa première heure. En effet, le film nous plonge au sein d’une famille dysfonctionnelle et d’une relation conflictuelle entre un père et son fils, tout en commençant à développer une romance entre ce dernier et une jolie pianiste. Aucune once de fantastique pour le moment, mais un attardement nécessaire sur la psychologie des personnages et notamment la relation entre le trio Björn/Alex/Anna qui va être important pour la suite. The Unthinkable cultive alors le mystère pendant une bonne partie du film (voire même son entièreté). Puis survient à mi-chemin, un virage scénaristique qui cueille de façon aussi abrupt que le col de la Schlucht par 20cm de neige. Alors que des attaques terroristes ont lieu à Stockholm, le film bascule dans un climat pré-apocalyptique. Le film dévoile sa nature entre thriller fantastique et film de guerre au suspense haletant, bénéficiant de séquences d’actions impressionnantes pour un budget somme toute assez réduit. Avec ce premier projet, The Crazy Pictures frappe un grand coup, sachant allier film de genre au drame intimiste tout en donnant naissance à une romance bouleversante et crédible, malgré un personnage principal des plus antipathiques. Surprenant constamment, tout en offrant une proposition assez inédite, il n’est alors pas étonnant de voir The Unthinkable repartir de Gérardmer avec 3 prix, à savoir le prix du Jury (qu’il partage avec Aniara, un autre film suédois), le prix de la critique et le prix du jury jeunes.

Endzeit – Ever After (Réalisé par Carolina Hellsgard, Allemagne, 2018)

Comment imaginer un festival de Gérardmer sans zombies, et ce n’est pas ce cher Rob arpentant avec sa gueule de zombie vosgiens les files d’attente en quête de selfies qui va nous dire le contraire. Endzeit – Ever After est donc la caution film de zombies/infectés de cette année. Malheureusement les seules véritables originalités qui émanent de ce long-métrage proviennent de son origine, à savoir un film allemand réalisé par une femme. Si Carolina Hellsgard espère donner un cachet féministe à son entreprise, on ne peut pas vraiment dire que la pari soit réussi. Endzeit est en effet complètement plombé par son personnage principal terriblement idiot et à des choix scénaristiques tout aussi absurdes que le pâté lorrain qu’on peut obtenir à 2 euros par paiement CB à la boulangerie du coin. Le summum est atteint avec ce final neuneu sur fond de soleil levant. Pourtant le film n’est pas moche et prend bien soin de cultiver ce côté contemplatif offrant de très beaux paysages, ainsi que certains effets spéciaux plutôt élégants rappelant les infectés de The Last of us ou de The Last Girl. On comptera cela dit les séquences d’attaques de zombies sur les doigts d’une main amputée de quelques doigts et la plupart seront gâchées par des tics de mise en scène des plus ridicules et notamment des ralentis en pagailles. Endzeit, malgré son approche un tant soit peu originale pour le coup, n’arrive pas à aboutir à quelque chose de pertinent et risque donc de se noyer (à raison) dans les entrailles de Gérardmer .

Puppet Master : The Littlest Reich (Réalisé par Sonny Laguna et Tommy Wiklund, États-Unis, 2018)

Parmi les invités d’honneur de cette sélection figurait le légendaire Udo Kier. Acteur allemand ayant traîné ses yeux bleus pénétrant au travers d’une filmographie aussi vaste que diversifiée allant des blockbusters de Michael Bay aux films d’auteurs primés à Cannes en passant par certaines des plus grandes bizarreries que le septième art ait portées. Ponctué d’un hommage touchant de la part de Yann Gonzalez et d’un discours de feu de ce cher Udo Kier revenant notamment sur son expérience sur Spermula et finissant par boire du vin blanc dans la coupe de cristal utilisée comme prix d’honneur, la pré-séance de Puppet Master 13ème du nom a mis la salle dans un bel état d’excitation. Basé sur un script de S. Craig Zahler, le bourrin qui a remporté le Grand Prix en 2016 pour Bone Tomahawk, Puppet Master : The Littlest Reich est mis en scène par un duo de cinéastes suédois (ils sont absolument partout cette année). On ne va pas vous mentir, quand on lit le titre, on ne s’attend pas à du film d’auteur mais bien à de la série Z bien conne et bien gore. Force est de constater que Puppet Master : The Littlest Reich délivre toutes ses promesses. Sur un scénario des plus maigres, agrémentés d’une réalisation cache-misère et d’une interprétation tout aussi laborieuse, Puppet Master : The Littlest Reich est avant tout un festival de dégueulasserie. Un hôtel se voit pris d’assaut par des marionnettes nazies aux formes diverses allant d’un bébé Hitler à une machine de guerre disposant d’un lance-flamme. Forcément ces dernières vont s’en prendre dans un premier temps à tout ce qui n’avait pas sa place dans le monde d’Hitler à savoir les racisés, les juifs et les homosexuels. En résulte donc un enchaînement de mises à mort bien sanglantes, dont certaines se révèlent particulièrement inventives. Mention spéciale à la marionnette s’infiltrant dans le vagin d’une femme enceinte avant de lui perforer le ventre tout en sortant son fœtus. Nazis obligent, le film est accompagné d’un humour très noir et bas du front regorgeant là aussi de petite perle comme celle évoquant l’utilité de poupées nazies pour débusquer Anne Frank. Une bonne grosse potacherie en somme, dont on aurait plutôt vu la place lors de la nuit décalée. Visiblement le jury n’est pas vraiment de cet avis vu qu’il lui remet à la surprise générale le Grand Prix, comme quoi rencontrer le sosie de Jul avec 20 ans de plus à la Rhumerie n’est pas la chose la plus invraisemblable du festival.

The Witch Part 1 : The Subversion (Réalisé par Park Hoon-jung, Corée du Sud, 2018)

Aux côtés de la Suède, un autre pays a été beaucoup mis en avant sur cette 26ème édition du festival : la Corée du Sud. Le pays du matin calme a souvent eu les honneurs de Gérardmer. On se souvient du hold-up coréen de 2011 trustant avec Blood Island et J’ai rencontré le diable la quasi totalité du palmarès. Revoilà d’ailleurs, le scénariste de J’ai rencontré le diable, Park Hoon-jung venu présenter son nouveau film en tant que réalisateur. Même si le film ne repartira des Vosges qu’avec le prix du jury Syfy, The Witch délivre tout ce qu’on peut attendre d’un film coréen. Bien que le film nécessite une exposition un poil trop longue et se trouve également trop démonstratif lorsque qu’il s’agit de bien étaler les tenants et les aboutissants, Park Hoon-jung arrive à instaurer un univers des plus intéressants pouvant aisément se décliner au travers d’une franchise comme le suggère son titre. Alors qu’on était habitué au thriller de vengeance en provenance de la péninsule coréenne, Park Hoon-jung y saupoudre cette fois-ci une touche de fantastique avec sa galerie de personnages aux habiletés surhumaines. Pour toute personne connaissant la propension à l’excessif de J’ai rencontré le diable, on n’est absolument pas dérouté par le climax super-jouissif de The Witch, enchaînant des séquences d’action hallucinantes. Au final, The Witch Part 1 : The Subversion c’est un peu comme le Black Pearl, on sait à quoi s’attendre, on y va quand même et on y passe finalement un bon moment.

Lifechanger (Réalisé par Justin McConnell, Canada, 2018)

Que serait un festival de cinéma de genre sans sa purge dont on ignore encore comment cette dernière a pu être sélectionnée ? Cette année la palme du pire film revient sans conteste à Lifechanger du canadien Justin McConnell. Pourtant l’idée de base était intéressante, et dans les mains d’un cinéaste comme Cronenberg aurait pu donner lieu à de grands moments de Body Horror. Le film suit Drew, un personnage se voyant obliger de changer de corps pour survivre. Sauf que la façon dont McConnell va utilise son concept est tout bonnement désastreuse. Lifechanger au lieu de devenir un grand frisson avec son personnage drainant les corps de ses victimes pour en prendre la place, se transforme en quête éperdue de l’amour pur. Le sujet est traité avec une niaiserie absolue et est accompagné constamment par une voix off malickienne insupportable sur le sens de la vie. À côté de ça la mise en scène est au ras des pâquerettes, pas aidée il faut le dire par un monteur complètement manchot et un chef opérateur aux abonnés absents. On ressort du film avec encore plus de regret que lorsqu’on émerge du Caveau à 5h du matin.

The Dark (Réalisé par Justin P. Lange, Autriche, 2018)

Alors que la fatigue commençait à avoir raison de nous, The Dark a permis de clôturer notre escapade à cette 26ème édition du festival de Gérardmer. Pas la meilleure façon de terminer le séjour, mais un premier film qui s’en sort avec les honneurs. Avec son histoire retraçant la rencontre entre une jeune fille zombie et un garçon aux yeux crevés kidnappé par un pédophile, The Dark peut faire penser à l’histoire d’amitié de Morse, ancien Grand Prix. Malheureusement pour Justin P. Lange son film ne dégage pas la même aura. Pourtant un bon nombre de choses s’avèrent réussies. La première est dans l’atmosphère sombre du film et dans sa façon de filmer la forêt dans laquelle se déroule le long-métrage. On peut également saluer son traitement du personnage de Mina, jeune fille assassinée par son beau-père abusif qui lutte alors avec sa monstruosité apparente. De la même manière, beaucoup d’éléments ne fonctionnent pas. La plus problématique reste l’alchimie inexistante entre Mina et Alex, difficile donc pour Lange de créer une véritable émotion chez le spectateur. On se retrouve donc à assister passif au film, peinant à rentrer à l’intérieur et ce n’est pas le maquillage ultra-cheap de Mina qui va arranger les choses. On a vu des choses mieux faites au Grimoire. The Dark fait cependant preuve de bonne volonté, et montre une envie de proposer quelque chose de différent. C’est un peu pour ce genre de film qu’est fait Gérardmer, offrir des propositions qui dénotent même si elles ne vont pas forcément rencontrer leur public.

On aurait aimé également pouvoir se frotter aux zombies féodaux de Rampant, prendre part au voyage vers Mars de Aniara, être invité au repas de Noël qui tourne mal de Await Further Instructions, ou encore faire une partie d’Escape Game, mais un festival, surtout lorsqu’il est très condensé comme celui de Gérardmer est avant tout une question de choix. Voilà pourquoi, on a parfois délaissé la compétition pour faire des infidélités avec les rétros et des pépites hors-compétition. On en reparlera dans un autre article et on vous laisse avec le palmarès complet de cette 26ème édition.

Palmarès

  • Grand Prix : Puppet Master : The Littlest Reich
  • Prix du Jury : The Unthinkable et Aniara
  • Prix de la meilleure musique originale : Puppet Master : The Littlest Reich
  • Prix du jury de la critique : The Unthinkable
  • Prix du jury Syfy : The Witch Part 1 : The Subversion
  • Prix du jury jeunes : The Unthinkable
  • Prix du public : Puppet Master : The Littlest Reich
  • Grand Prix du court-métrage : Diversion