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FIFAM 2022 : « Freak Orlando » ou la monstrueuse parade de Ulrike Ottinger

Sévan Lesaffre Critique cinéma LeMagduCiné

Objet de cinéma expérimental évoquant à la fois Virginia Woolf, Tod Browning et Fritz Lang, doublé d’un manifeste queer sur le genre, la difformité du corps, l’interchangeabilité des sexes et leurs représentations dans l’art, Freak Orlando est une monstrueuse parade, une orgie kitsch surréaliste et grotesque menée par deux créatures hors du temps interprétées par Magdalena Montezuma et Delphine Seyrig. Une œuvre excentrique, transgressive, inclassable, dont l’extravagance visuelle déroute le spectateur autant qu’elle ne l’enchante.

Figure de la nouvelle vague allemande, Ulrike Ottinger nous plonge ici dans un Berlin industriel et déluré figuré par « Freak City », étrange centre commercial (qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler le Mall abandonné du Zombie de Romero sorti trois ans plus tôt) aux allures de dépotoir apocalyptique, investi par une secte d’extraterrestres hermaphrodites dont les gourous ne sont autres que la vedette du cinéma d’avant-garde Magdalena Montezuma et une Delphine Seyrig lunaire, coiffée comme la fiancée de Frankenstein.

L’imagination tordue et le futurisme anachronique d’Ottinger n’ont aucune limite. Réceptacle de toutes les représentations les plus abstraites, cette « ville monstre » renferme une galerie de créatures survoltées célébrant un carnaval de la laideur : nains dalmatiens, poulets à têtes de poupées, femmes à barbes, martyrs, sœurs siamoises ou encore Christ transgenre.. Autant de monstres difformes qui peuplent cette galaxie du grotesque faisant fi de tous les codes établis, de toutes les conventions narratives classiques. Succession illogique de saynètes cauchemardesques, tableaux mythologiques et autres visions azimutées qui renvoient à la fois au théâtre de l’absurde et de la cruauté, Freak Orlando est une mise en scène décapante de la marginalité dans tous ses excès, en continuel dialogue avec le chef-d’œuvre de Tod Browning. Ici, les banquets de l’immobilisme organisés dans des bassins vides ne sont plus vecteurs de sociabilité, les puissants crucifient leurs proies à tout-va et les plus faibles embarquent pour l’asile à bord d’un lit à roulettes tiré par un souffre-douleur. De même, le film déploie jusqu’à l’épuisement la mécanique lancinante et cyclique d’un cirque de la nudité et de l’horreur, comme l’illustre l’interminable transe des flagellants ensanglantés, tous vêtus de cuir, déterminés à aduler ou à persécuter la figure androgyne et immortelle d’Orlando.

Exercice de style expérimental et hybride visuellement somptueux, Freak Orlando met en exergue les thèmes de métamorphose et de la transgression, deux motifs caractéristiques du cinéma underground des années 80. L’iconographie baroque et jouissive d’Ulrike Ottinger joue avec les mythes, les allégories et les symboles dans cette gigantesque mascarade, satire acerbe d’une société de consommation moderne, aveugle et décadente.

Sévan Lesaffre

Extrait – Freak Orlando

Synopsis : Un personnage excentrique, ne subissant ni la loi du temps ni celle de l’éphémère, réalise le vieux rêve de l’androgyne en parcourant le monde, de sa création à aujourd’hui, changeant de sexe et d’époque. Au gré de son odyssée, il réalise que la peur, la cruauté et la folie humaine sont intemporelles et universelles.

Freak Orlando – Fiche technique

Réalisation : Ulrike Ottinger
Scénario : Ulrike Ottinger
Avec : Delphine Seyrig, Eddie Constantine, Magdalena Montezuma, Albert Heins, Claude Pantoja, Hiro Uschiyama…
Production : Renée Gundelach, Sibylle Hubatschek-Rahn
Photographie : Ulrike Ottinger
Montage : Dörte Völz-Mammarella
Musique : Wilhelm D. Siebert
Durée : 126 minutes
Genre : Comédie / Fantastique
Sortie initiale : 6 novembre 1981

Critique cinéma LeMagduCiné