Présenté dans la section « Paysage » du Festival du film coréen à Paris, Work to do nous plonge dans les eaux troubles du capitalisme à travers le portrait d’une Corée à l’économie vacillante. Premier long-métrage engagé de Park Hong-Jun, il choisit le cadre des chantiers navals pour révéler la machine implacable d’un système où les banques imposent aux sociétés restructurations et licenciements de masse. Un film froid et réaliste qui questionne l’avenir des ouvriers comme de l’industrie.
Diffusé aux festivals de Séoul et de Busan puis au Festival international des Cinémas d’Asie de Vesoul, Work to do a rencontré un certain succès en Corée. Sa sortie française demeurant encore hypothétique, le FFCP offre une occasion unique de le découvrir en salles. Film social sur le milieu très déprécié des ressources humaines, le drame de Park Hong-Jun signe une critique acerbe des effets pervers du capitalisme sur le monde ouvrier.
Ressources inhumaines
La société Hanyang, constructeur naval, affronte la concurrence internationale et une grave pénurie de commandes qui amène les créanciers à solliciter, lors d’une réunion sous haute tension, une restructuration de l’entreprise. Face au risque de devoir rembourser l’intégralité des prêts contractés, et de vendre leur société, les dirigeants se soumettent aux banquiers dans l’espoir de maintenir le groupe à flot. Ainsi, Work to do met d’emblée le doigt sur la main mise absolue de la finance, qui dicte sans vergogne sa loi aux directions désœuvrées.
Jun-Hee, tout juste promu dans le service des ressources humaines, se voit chargé de mettre en œuvre le plan de restructuration, en particulier les critères de sélection des futurs licenciés, sur la base d’une liste préétablie de salariés blacklistés. Tenter de rendre acceptable l’injustice, et objectives des décisions d’éviction éminemment personnelles, tout en dramatisant les départs d’ouvriers au moyen d’une newsletter poétique, telle est la tâche ingrate de Jun-Hee. Ce rôle épuisant et pesant, qui l’éloigne de sa compagne Jae-Yi, devient rapidement de plus en plus lourd à porter. Tandis que le poids de la culpabilité le ronge et le mure dans le silence, il enchaîne les heures supplémentaires exigées.
Abordé du point de vue d’un salarié des ressources humaines, rouage impuissant au sein de cet engrenage infernal, Work to do s’attache donc moins aux victimes qu’à la honte du bourreau, exécuteur forcé. Car malgré sa volonté de bien agir, Jun-Hee reste pieds et poings liés à cause du prêt qu’il a souscrit auprès de son entreprise. Aussi, exprimer trop sincèrement sa pensée l’expose même au danger d’être le prochain salarié inscrit sur la liste noire.
Work to do dépeint ainsi les ressources humaines comme un microcosme froid et hypocrite, exacerbé par des images très réalistes et des tons bleus gris. Le cinéma coréen s’est déjà emparé des tragédies du monde professionnel, par exemple avec About Kim Sohee de Jung July, sur les conditions de travail harassantes des centres d’appels. Toutefois, cette approche glaçante et naturaliste se place surtout dans la ligne des films de Ken Loach, notamment Moi, Daniel Blake, qui met en scène le parcours effréné d’un demandeur d’emploi, ou encore de « la trilogie du travail » de Stéphane Brizé, avec En Guerre et ses salariés révoltés. Miroir coréen de ces deux réalisateurs, Park Hong-Jun dénonce l’inhumanité du capitalisme et les licenciements de masse en prenant clairement parti pour le peuple.
Le radeau des ouvriers
Conviés à démissionner par un service des ressources humaines sous emprise, les ouvriers de Hanyang subissent de plein fouet la défaite de leur entreprise face à l’omnipotence du libéralisme. Vivotant dans un monde incertain, ils travaillent dans l’inquiétude permanente, le licenciement planant au-dessus d’eux comme une épée de Damoclès. Si quelques-uns font le choix d’abandonner le navire, appâtés par les indemnités ou lassés d’attendre une reconnaissance tant espérée pour leurs efforts, la majorité d’entre eux lance un mouvement de résistance. Ces hommes ont tous des enfants à nourrir, des parents à soigner, et n’ont selon leurs dires « rien fait de mal ». Ils ne comprennent donc pas pourquoi la société à laquelle ils ont dédié leur vie les abandonne soudainement.
Leur destin reste en réalité entièrement maîtrisé par des créanciers soucieux de protéger leurs investissements, en licenciant le maximum de salariés, mais sans faire de vague pour éviter la mauvaise presse. Même s’il incite à descendre dans la rue et à s’insurger, Work to do ne se montre guère optimiste envers l’avenir, dès lors que les rares individus révoltés demeurent eux-mêmes bâillonnés. En nous mettant également en garde contre l’instrumentalisation menée par le capitalisme, Park Hong-Jun réussit à éveiller les consciences grâce à ce drame, d’une maîtrise impeccable, aussi poignant que touchant.
Work to do : bande-annonce
Work to do : fiche technique
Réalisation & Scénario : Park Hong-jun
Directeur de la photographie : Choi Chang-hwan
Montage : Cho Hyun-joo
Son : Gong Tae-won
Musique originale : Lim Min-ju
Producteur exécutif : Shim Jae-myung
Producteur : Lee Eun
Production : Studio Nareun
Pays de production : Corée du Sud
Durée : 1h40
Genre : Drame