Decision to leave : Memories of love

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CJ Entertainment
Berenice Thevenet Rédactrice LeMagduCiné

Six ans après le thriller horrifique Mademoiselle, le réalisateur sud-coréen Park Chan-wook revient en compétition officielle, avec Decision to Leave, un film policier qui (ré)enchante le genre du polar en l’orientant du côté de la lenteur (mélancolique).

 Le retour en grâce de Park Chan-wook

Decision to leave est une œuvre dense. De celles qu’il est difficile d’expliquer tant elles recèlent de rebondissements en tout genre. Impossible d’expliquer le scénario du film sans vous spoiler l’ensemble de l’intrigue. Hae-jun (Park Hae-il) est inspecteur de police à Busan. Ce dernier mène une vie bien réglée, alternant entre son travail en semaine, et les week-ends en province où il rejoint sa femme Jeong-an (Lee Jung-hyun). Ce dernier voit son quotidien bouleversé lorsqu’il tombe amoureux d’une mystérieuse jeune femme, Seo-Rae (Tang Wei), suspectée d’avoir assassinée son mari. Park Chan-wook renoue avec le genre policier qui a fait son succès. Presque vingt ans se sont écoulés depuis Old Boy (2003). A l’époque, l’œuvre s’était vu décerner le Grand Prix du Jury. Ce prix, en somme, récompensait un cinéaste soucieux de renouveler l’approche du film policier. Decision to leave confirme que Park Chan Wook reste l’outsider du genre.

Un film policier qui casse les codes (du genre)

Si Old Boy s’appropriait les codes du polar (américian), Decision to leave se situe (paradoxalement) aux antipodes du genre. Park Chan-wook délaisse l’ultra violence au profit de la réflexion et de la lenteur. Il y avait les gentlemen cambrioleurs. Nous connaissons maintenant les gentlemen inspecteurs. Hae-jun constitue l’antithèse de son collègue Soo-wan (KO Kyong-pyo). Tandis que ce dernier se montre volontiers violent, l’inspecteur préfère la délicatesse, refusant, par exemple, de porter une arme, comme de transiger sur les bonnes manières. Imperméable hors de prix, barbe bien taillée, l’apparence de l’inspecteur Hae-jun l’éloigne des personnages de bad lieutenant (à l’hygiène douteuse) auquel le septième art nous a habitué. En costume sur mesure, même et lorsqu’il doit poursuivre un tueur en série sur les toits de Busan, Hae-jun est un James Bond dont l’élégance et le style ne s’embarrassent jamais de rien.

Nulle ironie parodique de la part de Park Chan-wook. Le cinéaste compose un (nouveau) personnage de policier moderne. Hae-jun s’est promis de résoudre chaque enquête qui lui incombe. Cette déontologie ne s’accompagne pas d’effusion de sang ni d’interrogatoires musclés. Hae-jun devra apprendre – à ses dépens – qu’il n’a pas toujours réponse à tout. Decision to leave balaie d’un revers de la main les scènes traditionnelles (et attendues) du polar. La traque ne donne pas lieu à des scènes d’actions où l’inspecteur nous offrirait des combats anthologiques à la Jean-Claude Van Damme. La reconstitution du crime repose sur des flashbacks qui replacent le héros au cœur de la psyché du meurtrier. Cette fluidité vient rompre la lenteur de la narration. Résoudre un crime prend du temps, surtout si celui-ci est imbriqué dans une intrigue à tiroir où se mêle l’amour.

Assurance sur la mort (en Corée)

Decision to leave propose, en effet, une histoire qui apparaîtrait peut-être à certains quelque peu alambiquée. Le réalisateur crée sciemment un sentiment de double confusion. Hae-jun croit hériter d’une affaire qu’il pourra rapidement conclure. Il se retrouve bientôt pris dans une intrigue qui finit par le dépasser. Decision to leave impose le genre du polar romantique. Le réalisateur (ré)active le mythe de la femme fatale. Seo-rae semble, au départ, tout droit sortie d’un film de Billy Wilder. La fausse ingénue, à la victime et suspecte, qui pousse le policier à l’amour comme au suicide, est un vieux mythe du cinéma (américain) classique, que l’on retrouve notamment dans les films noirs. Délicate, ambiguë et consciente de l’effet qu’elle inspire, la jeune femme campe une version moderne de la Laura d’Otto Preminger.

Le cinéaste fait aussi appel à la topique de la veuve noire (un autre personnage phare du polar). Seo-rae brouille les pistes. On ne sait jamais ce qu’elle a dans la tête. Elle renverse la hiérarchie qui unit l’inspecteur à la suspecte. Les rapports de pouvoirs n’en sortent pas indemnes. La jeune femme échappe à toute catégorisation au même titre que l’enquête (dont elle est à la fois l’objet, l’instigatrice et la principale victime). Cette dernière s’affirme plus ingénieuse que jamais en jouant volontiers avec les nerfs du héros (et du public).

Pourtant, en dépit de sa noirceur, Decision to leave est avant tout un film d’amour. L’œuvre évoque la passion qui consume deux êtres que tout oppose. La relation entre Hae-jun et Seo-Rae naît sur les confins du polar et du film policier, sur fond de paysages coréens magnifiés, entre des plages désertes qui brûlent de beauté, et des montagnes enneigées qui abritent le secret d’un baiser. Parce qu’on ne badine pas avec l’amour. Park Chan-wook confirme son génialissime talent avec cet (anti) polar amoureux.

Decision to leave : bande annonce

Decision to leave : fiche technique

Le film est présenté en compétition au Festival de Cannes 2022.

Réalisation : Park Chan-wook
Scénario : Park Chan-wook, Seo-kyeong Jeong
Interprètes : Tang Wei, Park Hae-il, Go Kyung-pyo, Lee Jung-hyun
Photographie : Ji-yong Kim
Production : Park Chan-wook, Go Dae-suk
Sociétés de production : CJ Entertainment, Moho Film
Société de distribution : CJ Entertainment
Genre : policier, drame
Durée : 138 minutes

Corée du Sud – 2022

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