La sortie de la copie restaurée d’Assurance sur la mort, de Billy Wilder, permet de revoir un des grands classiques du cinéma hollywoodien et un des chefs d’œuvre du film noir.
Synopsis : Walter Neff fait du porte-à-porte pour vendre des assurances. Un jour, il rencontre une femme, Phyllis Dietrichson, et tombe sous son charme. Elle va lui demander de l’aider à se débarrasser de son mari.
Assurance sur la mort n’est pas seulement un chef d’œuvre. Il s’agit sans doute du modèle absolu de film noir, le parangon du genre. D’abord, Assurance sur la mort est l’adaptation d’un roman de James M. Cain, auteur qui connaîtra un grand succès aux États-Unis dans les années 40 et verra deux autres de ses romans adaptés avec succès, Le Facteur sonne toujours deux fois (qui, en 1943, avait donné Ossessione, le premier chef d’œuvre de Luchino Visconti) et Mildred Pierce.
Ensuite, le scénario d’Assurance sur la mort est écrit par Billy Wilder et Raymond Chandler, l’auteur du Grand Sommeil, créateur du personnage du détective privé Philip Marlowe. Même si les deux scénaristes ne se sont pas entendus pendant l’écriture, ils ont su ciseler des dialogues extraordinaires, incisifs (il faut préciser qu’avant d’être réalisateur, Wilder avait entre autres écrit des scénarios pour Ernst Lubitsch, et on retrouve parfois cette influence dans l’œuvre du cinéaste).
Comme dans tout bon film noir, l’action d’Assurance sur la mort se déroule avant tout sur le plan moral. A l’aide de la voix off, nous plongeons dans la tête d’un Walter Neff pris en plein dilemme, dans cette lutte entre le vice et la vertu. Ici, pratiquement pas de suspense ou de surprise. Le spectateur ne se pose pas la question de savoir ce qui va se passer, si le criminel va s’en tirer ou pas : le film débute par la scène finale, puis le reste de l’historie se déroule devant nous en un long flashback. Ainsi, nous savons dès les premières secondes que Walter Neff est grièvement blessé et nous l’entendons avouer sa participation au crime. L’enjeu n’est pas de trouver l’identité d’un assassin, mais de mettre en scène un conflit moral.
Et Billy Wilder se plaît à employer tous les moyens mis à sa disposition par le cinéma pour arriver à ses fins. La première moitié du film, qui se déroule avant le crime, nous montre Neff tiraillé entre deux choix diamétralement opposés. L’emploi de la voix off, qui d’habitude peut se révéler envahissante, est ici particulièrement bien mesurée et d’une grande utilité pour mettre à nu les déchirements du personnage. Des jeux d’ombres et de lumières hérités directement de l’expressionnisme se dessinent sur l’agent d’assurance, le découpant en une partie sombre et une lumineuse.
Et surtout, toute cette première moitié est marquée par des allers-retours entre deux lieux hautement symboliques, la villa des Dietrichson et le bureau de Neff dans l’immeuble de la compagnie d’assurance. Ces trajets en voiture figurent le balancement moral du personnage. Wilder inscrit géographiquement l’ alternative qui se propose à lui, et la ville devient un véritable paysage mental.
Ce procédé, issu lui aussi de l’expressionnisme, fait du décor la projection de l’intériorité du personnage. « Elle pleurait doucement, comme la pluie sur les fenêtres », dira Neff au sujet de Phyllis.
Assurance sur la mort est construit comme une tragédie classique. Le fait de connaître la fin dès les premières minutes du film impose comme une impression de fatalité qui tombe sur les personnages. « La machine était partie, rien ne l’arrêterait. » Neff fait plusieurs fois allusion au destin. Une fois qu’il a accepté l’idée de commettre un meurtre, il n’est plus libre des conséquences de ses actes.
C’est cela que nous montre la seconde moitié du film. Là aussi, le scénario prend un parti pris formidable et extrêmement bien exploité : le criminel et l’enquêteur (Edward G. Robinson, absolument génial, comme d’habitude) sont des collègues (et même des amis). Ainsi, Neff peut suivre pas à pas la progression de l’enquête et voir l’étau se resserrer inexorablement autour de lui et de Phyllis, ce qui renforce encore l’impression d’une fatalité.
Tout cela donne au film un rythme diabolique. L’action se déroule à toute vitesse vers un final qui, si on le connaît dès le début du film, n’entraîne pas moins un certain suspense. Wilder crée des scènes qui sont devenues des modèles du genre et ont été copiées un nombre incalculable de fois depuis 1944. Assurance sur la mort est devenu la référence en la matière.
De même, les deux acteurs principaux constituent un des couples mythiques du cinéma classique hollywoodien. Barbara Stanwyck, affublée d’une perruque blonde et d’un bracelet de cheville, dégage une sensualité de chaque instant (aidée en cela par des dialogues emplis d’allusions sexuelles et des ellipses très suggestives). Fred MacMurray, quant à lui, tient là le rôle de sa carrière. Wilder avait d’abord pensé à un acteur plus confirmé, George Raft (spécialiste des rôles de gangster dans les années 30, et que Wilder dirigera dans Certains l’aiment chaud), mais Raft refusera, trouvant que le scénario du film allait trop loin dans l’ambiguïté morale.
Il faut dire que Assurance sur la mort se déroule dans un monde où tout le monde est fautif. Mis à part éventuellement Keyes, aucun personnage n’est innocent, à des degrés divers. Le mari assassiné était loin d’être une victime tout en pureté, et son adolescente de fille n’est pas remplie de respect envers ses parents.
Au milieu de tout cela, Neff apparaît plutôt comme un imbécile facilement manipulable. Il a deux éclairs de lucidité dans le film, un au début lorsqu’il devine le projet de Phyllis, et l’autre à la fin lorsqu’il lui dit qu’elle n’avait besoin de lui que parce qu’il s’y connaissait en assurances. Sinon, Neff est un personnage qui est toujours d’accord avec la dernière personne à qui il parle, n’ayant aucune opinion et aucune idée personnelle. C’est flagrant dans la seconde partie : lorsqu’il est avec Lola, il est convaincu qu’elle a raison et se retourne contre Phyllis ; quelques minutes plus tard, lorsqu’il est avec Phyllis, c’est elle qui a raison et il se retourne contre Lola. Il apparaît comme une véritable girouette incapable de se décider par lui-même. Son idiotie est d’autant plus mise en valeur qu’il est confronté à Keyes, son collègue, doté d’une grande intelligence et de beaucoup de perspicacité.
Mise en scène extrêmement réfléchie, utilisation intelligente du décor urbain, dialogues remarquables et couple mythique, Assurance sur la mort a tout pour être un des grands classiques du cinéma hollywoodien des années 40 et reste encore de nos jours un modèle dans le domaine du film noir.
Assurance sur la mort : bande annonce
Assurance sur la mort : fiche technique
Titre original : Double Indemnity
Réalisation : Billy Wilder
Scénario : Billy Wilder et Raymond Chandler, d’après le roman de James M. Cain
Interprétation : Fred MacMurray (Walter Neff), Barbara Stanwyck (Phyllis Dietrichson), Edward G. Robinson (Barton Keyes), Jean Heather (Lola Dietrichson), Tom Powers (Mr. Dietrichson).
Photographie : John Seitz
Montage : Doane Harrison
Musique : Miklos Rosza
Producteur : Joseph Sistrom
Société de production : Paramount Pictures
Société de distribution (1944) : Paramount Pictures
Société de distribution (copie restaurée, 2018) : Les Acacias
Genre : film noir, drame
Date de première sortie en France : 31 juillet 1946
Date de sortie (copie restaurée) : 31 janvier 2018
Durée : 107 minutes
Etats-Unis-1944