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Catherine Corsini

Cinemania 2023 : Interview portrait de la cinéaste Catherine Corsini

Catherine Corsini est peut-être l’une des réalisatrices en activité les plus prolifiques et âgées du cinéma français, comme elle aime à le rappeler. Elle vient présenter son dernier film Le Retour au festival de films francophones Cinemania. C’est sa troisième venue à Montréal pour cet événement après avoir présenté La Répétition il y a plus de vingt ans, puis après avoir eu l’honneur d’être membre du jury il y a deux ans, tout en présentant La Fracture. On a eu le plaisir de l’interviewer. Portrait…

Entre présentation du film au public et séance de questions-réponses…

Elle a assisté à la présentation de son film au magnifique cinéma Impérial et répondu aux spectateurs dans la foulée. Nous l’avons rencontré le lendemain dans les salons du Sofitel Carré d’or pour un entretien d’une trentaine de minutes où, loquace et inspirée, elle s’est dévoilée sur sa carrière, la place des femmes au cinéma, mais aussi sur la polémique cannoise de cette année qui l’a visiblement beaucoup touchée et déçue.

Lors de la présentation de Le Retour, la salle était étrangement à moitié vide, ce qui tranche avec celle comble de La Fracture il y a deux ans, une période pourtant encore bien impactée par les mesures Covid extrêmes, voire excessives ayant cours au Québec. Elle n’a pas semblé s’en formaliser et nous a présenté le film avec beaucoup d’aplomb. Et raconte qu’elle est contente d’être présente dans cette salle mythique de la culture montréalaise contrairement à 2021, où le cinéma avait subi l’effondrement d’une partie du plafond conduisant à la fermeture du lieu et le report des projections dans d’autres salles.

Elle parle de Le Retour comme d’une envie, comme ses personnages, de retrouver ses racines. Catherine Corsini raconte qu’elle est née en Corse d’un père corse, là où se déroule le film et qu’elle a tourné dans des lieux où sa famille a vécu, comme la maison de sa grand-mère qu’on voit dans le film. Une expérience forcément singulière pour elle. « C’était étrange, j’ai dormi dans le lit de ma grand-mère, dans une maison supposément hantée… » s’amuse-t-elle.

Les lumières s’éteignent et on visionne Le Retour. Pas forcément son film le plus mémorable, il peut être vu comme une œuvre mineure dans sa filmographie. D’ailleurs, à la lecture du résumé, on est étonné de voir qu’elle a choisi un tel sujet. On comprend mieux ce qui l’a intéressé dans cette histoire lorsqu’on a vu le long-métrage. Un beau récit d’apprentissage qui peut se voir autant comme une chronique adolescente et estivale qu’une œuvre sur les différences sociales et la découverte des origines. Mais ce retour, c’est autant celui de ses héroïnes que le sien.

À la fin de la projection, elle nous explique également son envie de retravailler avec Aïssatou Diallo Sagna qu’elle avait révélée dans La Fracture. Cette infirmière dans la vraie vie, elle l’avait rencontrée à l’hôpital lors d’un accident. Un moment de vie qui lui a inspiré aussi le script de La Fracture. Son actrice non professionnelle a ensuite reçu le César du meilleur espoir féminin et elle se refusait à ce que leur collaboration s’arrête là. « Je ne voulais pas la laisser tomber après cette consécration, ce n’est pas mon genre. » précise-t-elle. Corsini tenait à tenir sa promesse et lui a donc offert un nouveau rôle dans Le Retour.

La cinéaste nous parle également de sa compagne, de sa sexualité et de son appétence pour les films de femmes. Le lendemain de la projection, c’est nous qui essuyons les plâtres et la rencontrons en premier. Assise devant la fenêtre, elle apparaît un peu froide au début. Puis, lorsque les questions débutent, elle se livre sans fard sur son film, ses envies et cette fameuse polémique cannoise. En effet, Le Retour a été sélectionné en compétition officielle puis retiré quinze jours après suite à des accusations anonymes de mauvais comportements sur le plateau de la part de la réalisatrice ainsi que d’une scène de sexe non déclarée, impliquant des mineurs. Pour être ensuite remis dans la sélection en catimini. Drôle d’affaire…

Et entretien en tête-à-tête…

On lui demande si elle est contente de retrouver Montréal et Cinemania. Ce qu’elle confirme est notamment la rencontre qu’elle a eu avec le directeur du festival, Guilhem Caillard. Une personne qui a insisté pour qu’elle préside donc le Jury il y a deux ans. Ce fut une expérience très agréable pour elle, notamment par le fait qu’elle ait dans son jury deux artistes québécoises qu’elle a adorées et découvertes dans les films de Xavier Dolan : Monia Chokri et Suzanne Clément. « En plus d’avoir des femmes que j’admirais et du cru à mes côtés, les trois quarts des films que j’ai pu voir étaient excellents. » s’enflamme-t-elle.

Elle parle aussi de son coup de cœur pour la ville de Montréal, où elle a fait une balade nocturne sur le Mont Royal qui l’a marquée à vie au point de dire à Guilhem Caillard de la conseiller à tous ses hôtes. Se livre ensuite sur une tournée des boîtes de nuit de la ville qui l’avait impressionnée, de l’époque où elle était venue faire le mixage de La Répétition de nuit durant trois semaines pour profiter de la ville le jour. Ou encore, de manière plus intime, de ses deux ex venues s’installer à Montréal. Dont l’une pour vivre son homosexualité au jour le jour, prouvant l’ouverture d’esprit d’une ville très inclusive.

L’entretien se recentre ensuite sur Le Retour où l’on s’intéresse à ce qu’elle a ressenti en retournant sur cette terre qui signifie beaucoup pour elle. Catherine nous livre qu’elle a vécu ce tournage aussi bien comme une libération que comme un enfermement. La maison de sa grand-mère, la famille de son père, une mère qui s’en est enfuie, des traumas passés… Mais aussi qu’elle faisait un discret hommage à un père amoureux de cinéma et de théâtre, et dont la disparition l’a beaucoup marqué. « Tout cela a façonné aussi mon envie de septième art, il y a eu beaucoup de signes qui ont concouru à ce que je me retrouve dans ce milieu », comme elle aime à la dire. « Il n’y a pas de hasard, il y a même comme une espèce d’ironie qui me lie à mon père et sa terre natale ! ». Un tournage donc bien plus émotionnel qu’à l’accoutumée pour elle.

Elle prend une petite pause, regarde dans le vide. « Un film, finalement, il se révèle en le faisant. Et même encore après quand on le revoit, il y a le récit objectif et le récit méta… ». Et quand on lui fait remarquer que son film est autant l’histoire d’un retour aux racines qui parle en filigrane de différences sociales qu’un récit d’apprentissage en mode chronique estivale, elle acquiesce. Notamment par les histoires d’amour vécues par les filles et leur mère. « C’est un faux film d’été, celui où tout sera différent », comme elle le précise.

Quand on lui précise aussi que rarement les fêtes technos s’avèrent bien retranscrites et dans le vrai dans les films actuels, la réalisatrice dévoile encore son appétence pour la fête et nous gratifie de quelques anecdotes. Comme celle d’un jeune garçon deejay à Cannes qui est venu la féliciter pour le réalisme de la soirée techno en fin de film, en l’abordant sur une terrasse. Ou le fait que sa co-scénariste pour le film soit une deejay connue du milieu underground techno (les soirées Possession). Et qu’en passant elle adore le milieu de la nuit comme on l’avait soupçonné plus haut. Et ces moments qui sont propres à ce contexte, entre drogues, flottement, lâcher prise et mouvement des corps. Ces moments si significatifs, notamment à l’adolescence où on joue à se faire peur et où teste ses limites.

On est étonné de voir que, pour la première fois, Catherine Corsini ne travaille pas avec des acteurs très connus hormis Ledoyen et Podalydès dans des seconds rôles. Elle répond que c’est une volonté. Qu’à l’âge qu’elle a, après tout ce qu’elle avait déjà fait, elle préférait donner leur chance à de nouveaux visages, des actrices inconnues. Un risque voulu et calculé donc. « J’en avais marre de tout le temps voir les mêmes têtes et les mêmes stéréotypes. La société française est faite de mixité et c’est du coup dommage. Les gens veulent être rassurés et préfèrent aller voir untel ou untel qui est déjà connu, c’est malheureusement un fait… » précise-t-elle. Plus étonnant, elle dit qu’en Roumanie – où il y a peu d’immigration de personnes noires – ou au Japon, le film ne les intéresse pas… « C’est violent » ajoute-t-elle. « Je savais que le film n’allait pas faire un million d’entrées, surtout un petit film intimiste comme celui-là. Mais je ne m’attendais pas ça. Clairement. Je le sais maintenant, je l’ai compris, on n’est loin d’être dans une société aussi ouverte qu’elle veut bien le faire croire… ». Elle pointe donc le problème de l’intégration des gens racisés en France… Même au cinéma.

Et c’est à ce moment précis qu’elle nous confie que ce fut compliqué pour Le Retour et qu’elle nous parle plus en détail de la kabbale qu’a subie le film. En effet, elle revient sur cette polémique qui a, selon elle, abîmé le film et ses actrices. Elle pointe du doigt misogynie, racisme et homophobie dans ces dénonciations anonymes de mauvais comportements sur le tournage. Et le fait qu’une scène sexuelle avec mineur n’a pas été déclarée n’a clairement pas arrangé les choses même si, lors de celle-ci, on ne voit rien et personne n’est nu. Elle espère que l’avenir mettra d’ailleurs les choses – et la vérité – en lumière.

On parle ensuite de comment le film a été reçu et accueilli par le public au niveau des entrées. La réalisatrice est dans une constante entre 200 000 et 300 000 entrées, mais s’est payé un beau succès avec Partir et ses 600 000 tickets vendus, tandis que Le Retour n’en a même pas fait 30 000. Puis, de lui demander si elle s’intéresse au box-office, ce à quoi elle répond par l’affirmative. « Bien sûr. Car ça joue sur l’avenir de mes films. Et comme je vis avec ma productrice, ça joue aussi sur l’avenir de la société et la confiance des investisseurs. ». « Et mon couple… », ce qui le fait sourire. Si la sortie s’est faite en juillet pour tenter de jouer sur l’effet Cannes, elle pense en revanche que c’était une mauvaise idée une sortie estivale et que c’est la polémique qui a tué le film.

Elle se voit comme une femme de caractère, engagée et qui n’a pas sa langue dans sa poche. Ce qui peut déplaire comme elle le confesse. Elle avoue avoir été dure avec quelques personnes jugées incompétentes sur le tournage, ce qui a pu et dû déplaire. Ajouté à la lâcheté des hommes, le côté pernicieux des réseaux sociaux et la jalousie, cela donne un petit scandale qui n’aurait pas eu lieu, selon elle, si le film avait été tourné avec des stars. « On ne s’attaque pas aux stars de cette façon-là ». En tout cas, cela l’a beaucoup affectée, mais elle était quand même heureuse de pouvoir monter les marches avec l’équipe qui l’a soutenue et d’avoir eu le soutien de beaucoup d’amis cinéastes.

L’attachée de presse nous interrompt, car c’est l’heure de la séance photo. On n’aura pas eu le temps de faire le tour de toutes les questions, tant Catherine Corsini parle beaucoup et s’est livrée avec passion. On terminera donc par lui demander si, pour une fois, elle comptait un jour diriger un film d’hommes. Elle avoue y penser et vouloir retravailler avec Pio Marmaï, déjà présent dans La Fracture, et vouloir tourner avec Benoît Magimel. Cependant, son prochain film sera encore un film de femmes, une œuvre de groupe sur l’amitié. On ne saura pas pour autant quelles seront les comédiennes élues, l’interview étant terminée.