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Arras Film Festival, Jour 2 : Extension du domaine de la lutte

Guillaume Meral Rédacteur LeMagduCiné

À quoi bon le cinéma ? Deuxième jour de l’AFF, et déjà un pour leitmotiv cette cuvée 2023. Une Affaire d’honneur nous a proposé une formidable piste de réflexion hier, les films proposés en ce jour en dégagent une autre : le goût de la lutte.

« Une vie de combats » : c’est le sous-titre de L’abbé Pierre, parfait contender de la résilience du grand écran… Sur le papier. À l’image, on évitera de s’appesantir sur un BIOPIC qui dépose les armes devant TOUTES les conventions du genre, en majuscules et à caractère bien gras. Autant dire qu’à côté, l’académisme pontifiant d’un Bohemian Rhapsody fait figure d’alternative expérimentale. Autant écouter le prochain single des Enfoirés, ça a le mérite de durer moins longtemps.

Dans Vincent doit mourir, Karim Leklou incarne un M.Tout le monde que tout le monde se met à agresser… Pour rien. Un formidable high-concept qui prend corps dans celui burlesque et élastique de Leklou, monstre d’intériorité et formidable punching-ball humain qui prend les gnons comme dans un film de Sam Raimi. Le film se repose beaucoup sur la performance de l’acteur, parfois un peu trop. Notamment dans un ventre-mou d’une vingtaine de minutes, où le film expose les angles morts de son concept à force de tirer à la ligne.

Mais Stéphane Castang emporte l’adhésion avec le virage en film-catastrophe dans son dernier acte, et peut compter sur le formidable couple Karim Leklou/Vimala Pons pour fournir du carburant quand le moteur commence à caler. Car Vincent est un personnage qui prend les coups, mais apprend à les encaisser lorsqu’il trouve une raison de se battre. Une véritable œuvre romantique dans un emballage de sale gosse (voir cette baston dans une fosse sceptique), comme chez tous les réalisateurs qui cachent leur cœur, gros comme ça sous plusieurs couches de trash.

Pour ce qui est de la résistance au quotidien, l’héroïne de Backwards constitue un cours magistral à l’année. Mère célibataire et (vraiment) seule d’un enfant pas désiré dans la Pologne post-chute du Mur de Berlin, ce n’est déjà pas une sinécure. Mais aux galères du quotidien et des rêves d’études brisées s’ajoutent à l’autisme de son fils et le rejet des crèches, écoles, et tout ce que le pays compte d’institutions peu désireuses de s’adapter à ce qui a le malheur d’enfreindre la norme… On en passe et des meilleurs, le réalisateur n’épargnant pas plus le spectateur que l’héroïne dans un rollercoaster d’emmerdes qui filerait des complexes au Lars Von Trier de Dancer in the Dark.

Pour autant, Jacek Lusinski n’emprunte pas la voie du dolorisme punitif du danois. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas le problème, mais la façon dont les individus les moins volontaires et préparés à gravir les montagnes se révèlent capables de les soulever pour trouver des solutions. Backwards fait ainsi écho au Lorenzo de George Miller, autre sujet de mélodrame prompt à assécher les canaux lacrymaux de Margaud qui choisissait la voie du combat vent-debout contre la fatalité. « Le combat est dans la nature humaine, la victoire où la défaite est entre les mains des dieux » : le dernier plan du film ouvre une porte de sortie vers une tranquillité tant espérée, mais pourtant la suite ne laisse aucun doute. La guerre du quotidien au cinéma change les hommes et les femmes, ici pour le meilleur. Une vie de combats, au sens propre.

Ce besoin de se lever, on le retrouve au cœur de Notre Monde, deuxième film (à seulement 22 ans !) de l’actrice et ici réalisatrice franco-kosovarde Luàna Bajrami, qui raconte comment deux amies inséparables quittent leur campagne natale pour la grande ville dans un Kosovo encore marqué par les stigmates de son histoire récente. Notre monde, c’est celui de ces deux héroïnes, bien ancrées dans la réalité socio-politique qui est la leur, mais aussi celui d’une jeunesse qui aura toujours universellement raison d’exprimer sa colère.

Cet équilibre entre le présent et l’intemporel, le local et le global n’est pas la moindre qualité du film qui va chercher le très gros plan pour enfermer ses spectateurs avec ses deux siamoises de cœur, et élargit le cadre à mesure que les choses de la vie séparent leur chemin. Un parti-pris fragile mais le plus souvent payant à l’écran. Bien servi par un superbe duo d’actrices, Notre Monde avance sans peur de faire fi des conventions pour suivre son instinct. Le combat du grand écran, c’est aussi oser et proposer des nouvelles façons de ne pas faire les choses comme avant . À l’Arras Film Festival, la forme c’est le fond qui remonte à la surface.

Rédacteur LeMagduCiné