Les fous de pilotes #5 : Le Nom de la Rose, The Village, The Act…

C’est le printemps, les beaux jours reviennent. Et avec eux, son lot de nouveaux pilotes, tous beaux tous neufs ! Que l’on aime rire, vibrer ou pleurer, chacun y trouvera son compte, puisque cette saison nous offre l’embarras du choix, entre le thriller américain The Act, la série chorale américaine The Village dont la chaleur humaine met du baume au cœur, ou encore la dernière comédie douce-amère de Ricky Gervais, AfterLife, dont l’humour caustique contraste avec la sensibilité qu’il dissimule. Un bien beau programme, donc.

Comme tous les mois, la rédac s’est penchée sur les nouveaux pilotes. Et pour la sixième édition de cette rubrique, nous avons sélectionné un panel de séries aussi diverses que variées. Si certains apprécieront se plonger dans l’univers opaque et mystique de l’adaptation télévisée du Nom de la Rose, ou se plairont à découvrir, avec le thriller The Act, le terrible fait divers qui a poussé la jeune Gipsy Rose Blanchard à assassiner sa mère, d’autres profiteront du retour des beaux jours pour apprécier la légèreté du mockumentary What we do in the shadows, qui retrace avec un humour barré et décalé le quotidien absurde d’une bande de vampires magnifiquement losers. Enfin, certains encore se poseront un instant pour rire et s’émouvoir devant la nouvelle comédie douce-amère de Ricky Gervais, AfterLife, qui retrace le quotidien morose d’un homme endeuillé dont l’antipathie apparente vire parfois à un cynisme et à un sarcasmes drolatiques. En bonus, une fois n’est pas coutume, un intrus s’est glissé dans notre sélection, puisque nous sommes revenus sur le lancement de la saison 2 d’American Gods, retour d’une série phare attendue par bien des fans, après deux ans d’absence à l’écran !

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Le Nom de la Rose : l’apocalypse noyée sous un déluge de moyens

En n’ayant vu qu’un seul épisode, il est bien entendu trop tôt pour déterminer si l’adaptation est fidèle ou non, à son œuvre d’origine. Ce n’est donc pas sur ce critère que nous jugerons ce pilote.

L’intrigue du Nom de la Rose se déroule en 1327. Le pilote insiste surtout sur le contexte politico-religieux de la série : conflit entre l’Empereur germanique et le pape, et opposition entre un pape richissime et le tout nouvel ordre des Franciscains, qui prônent la pauvreté de l’église. C’est dans ce contexte périlleux qu’un grand débat entre dominicains (soutenus par le pape) et franciscains doit se tenir, dans une abbaye du Nord de l’Italie.

La série est une coproduction internationale ; les moyens sont là, et ça se voit : scènes de combat, casting prestigieux, décors magnifiques. Mais cela s’accompagne d’une incroyable lourdeur dans l’écriture et la réalisation.

En gros, au lieu d’instaurer une atmosphère apocalyptique, la production préfère nous déballer son gros budget et user de procédés à la lourdeur toute contre-productive. Il faut voir ce brave Rupert Everett faire la grimace pour prouver que son personnage est méchant. Et pour bien insister, on nous le montre en train de brûler un brave gars qui n’était simplement pas du bon ordre religieux.

Autre procédé lourd, l’opposition des pères du narrateur. Car la série est racontée en voix off (technique qui, là aussi, alourdit bien le récit) par le jeune Adso. Et le début du pilote nous montre le gamin tiraillé entre deux pères : le géniteur, violent, vicieux, bestial, et le père spirituel, doux, calme, aimant (le tout appuyé par une réalisation contrastée ténèbres/lumière). Et l’épisode sera entièrement de cet acabit, basé sur des oppositions binaires entre sérénité et violence, lumière de l’intelligence et obscurantisme (et on passe sur les simplifications historiques pour ne retenir que : les gentils franciscains contre les méchants dominicains).

A la place de ce déluge de moyens pour nous montrer des scènes brutales (la série est « déconseillée aux moins de 12 ans »), il aurait été préférable d’avoir une mise en scène plus subtile qui nous fasse ressentir cette atmosphère apocalyptique. Le résultat est très esthétisé, très beau visuellement, mais froid, et tient le spectateur à distance. La preuve : la première mort est montrée sans que l’on en ressente l’importance, sans que le spectateur ne voie le drame qui se met en place. A force d’insister sur le conflit des ordres religieux, le scénario se détourne de ce qui devrait être le principal sujet de la série.

John Turturro, malgré tout son talent, est difficilement crédible dans la robe de bure de Guillaume de Baskerville. Par contre, Tchéky Karyo est plutôt bon en pape méchant, et c’est un plaisir de retrouver deux acteurs que l’on a connus dans d’autres séries : Richard Sammel (The Strain) et l’excellent Michael Emerson (Lost, Person of interest). Ils constituent sans doute le seul vrai point positif de ce pilote.

2

Hervé Aubert

The Village : « I ain’t done living ! »

Le pilote de The Village nous présente une poignée de personnages confrontés à leurs problèmes. Certains sont intimes et personnels, d’autres proviennent de décisions politiques. Tous ces personnages ont deux points communs : ils vont être amenés à se battre pour surmonter leurs difficultés, et ils habitent dans le même immeuble new-yorkais.

Nous avons Nick, ancien sous-officier, revenu d’Irak avec une jambe en moins.

Enzo, vieil homme dont l’ami vient de mourir et qui fugue de son foyer pour s’installer chez son petit-fils Gabe (sans vraiment prendre son compte l’avis de celui-ci).

Ava, immigrée iranienne qui s’est construit une vie et une famille depuis les dix ans qu’elle vit aux États-Unis, et qui est menacée d’expulsion.

Ben, policier qui va prendre en charge le fils d’Ava.

Patricia, qui va se battre sur deux fronts : pour aider Ava et pour lutter contre son cancer.

Sarah, infirmière dans le foyer où était Enzo, et qui apprend que sa lycéenne de fille, Katie, est enceinte.

Katie, donc, qui culpabilise à la pensée d’avoir ruiné la vie de sa mère.

Très vite, nous sympathisons avec ces personnages, très bien interprétés. Si, finalement, ce pilote ne présente rien d’original, s’il s’appuie parfois trop sur certains effets lacrymaux à grand renfort de musique triste, l’ensemble se laisse suivre avec plaisir. La réalisation est sensible et tente sincèrement de créer une empathie avec ces personnages. Les situations sont suffisamment diverses pour éviter les répétitions, et surtout permettent de dresser un portrait de l’Amérique contemporaine et de ses démons. L’humour alterne avec l’émotion, les dialogues sont bien écrits. Tout cela donne envie d’en savoir plus.

Même si The Village ne révolutionnera sans doute pas le genre de la série chorale, il fait du bien par la chaleur humaine et la sensibilité qui s’en dégagent.

3.5

Hervé Aubert

The Act : L’amour mère-fille toxique à son paroxysme

Dans la veine d’American Crime Story, The Act est une série anthologique qui revient sur des affaires marquantes de l’Amérique. Cette première saison s’inspire de la sombre histoire de Gypsy Blanchard (Joey King) et sa mère, Dee Dee Blanchard (Patricia Arquette), souffrant du syndrome de Munchausen par procuration. Depuis ses 8 ans, la mère de Gypsy  faisait croire que sa fille était gravement atteinte de leucémie, la contraignant à se nourrir par sonde et se déplacer en chaise roulante.

Aux commandes de ce drame psychologique, Michelle Dean, journaliste sur l’affaire, et Nick Antosca, créateur de la série d’horreur Channel Zero. Les deux parviennent à installer une ambiance malaisante et oppressante autour de cette relation mère-fille toxique . Dès le pilote, l’issue macabre du meurtre de Dee Dee est volontairement révélée. C’est alors grâce à des succession de flashbacks, que le spectateurs découvre la lente rébellion de Gypsy avant de passer à l’acte. Le cœur de la fiction se focalise aussi sur la menace permanente que leur mascarade soit révélé.

The Act est un thriller domestique qui met en lumière ses deux figures féminines monstrueuses aux allures irréprochables.

Dans le rôle d’une mère surprotectrice, Patricia Arquette est tout simplement méconnaissable avec une interprétation proche d’une Bette Davis dans le très célèbre Qu’est il arrivé à Baby Jane ?. A ses cotés, Joey King et son allure enfantine dissimule parfaitement son rôle de tueuse. Alors que l’on connaisse ou pas l’issue des événements, le suspens est là et persuade pour voir la suite.

4

Céline Lacroix

What we do in the shadows : Vampires ridicules

Bien des années après l’hilarant mockumentary “What we do in the shadows”, Jemaine Clement et Taika Waititi reviennent, cette-fois derrière la caméra et en qualité de producteurs, pour créer une série comique de dix épisodes, calquée sur le même modèle. Si les personnages changent, ce qui peut paraître dommage pour les fans du film, qui n’auront pas plaisir à retrouver Viago et Vlaldislav, et que l’action est délocalisée dans la banlieue de New-York, le ton reste quant à lui identique, puisque d’emblée, on a plaisir à retrouver l’aspect poussiéreux, rétro-kitsch et faussement grandiloquent d’un manoir ridicule, lieu central d’une intrigue aussi insolite qu’improbable.

De là, le spectateur découvre les nouveaux héros, trois vampires et un humain, qui cohabitent tant bien que mal dans cette maison dont “le charme désuet” prête à rire, au même titre que les personnages, totalement barrés et saugrenus. Largués dans un monde qu’ils ne comprennent pas, ces buveurs de sang d’un autre temps s’apparentent à des losers magnifiques qui tentent désespérément de se raccrocher à une superbe qu’ils ont perdue depuis longtemps, ressort comique efficace.

La série, qui joue sur notamment sur les anachronismes pour faire émerger le grotesque, pose les bases d’un humour très fidèle à l’œuvre d’origine, et promet de nous offrir quelques moments cocasses.

Ce format court, qui se démarque par sa légèreté et son concept original, ravira les fans de comédies horrifiques, mais également des amateurs d’humour absurde. A noter que cette fiction n’est pas sans rappeler le faux-documentaire “Summer Heights High”, série télévisée australienne de Chris Lilley, qui use des mêmes artifices pour susciter la gêne, le rire et l’incrédulité amusée de ses spectateurs.

3.5

Marushka Odabackian

American Gods : Des dieux et des néons

Deux ans après la conclusion de la saison 1, American Gods revient enfin sur nos écrans. Délestée de ses showrunners originels et de Gillian Anderson (Media) et Kristin Chenoweth (Easter), la saison 2 avait de quoi nous inquiéter. Allions-nous retrouver la même série qui nous avait tant charmés ?

Dans ce premier épisode, nous reprenons les choses là où nous les avions laissées, et nous retrouvons Shadow Moon, Laura son ex-femme cadavérique et Sweeney, le leprechaun qui a la poisse. Tous trois, accompagnés d’une horde de dieux anciens, se préparent à faire la guerre avec les nouveaux dieux.

Pour notre plus grand plaisir, l’ambiance de la saison 1 semble avoir survécu à ce fiasco interne. Si le style visuel et musical se montrent peut être légèrement moins ostentatoires et opulents, la nouvelle direction semble vouloir conserver malgré tout l’essence d’American Gods. Cependant, si le style est toujours là, le rythme lui, a du mal à suivre. Ce premier épisode s’évertue à poser à nouveau les enjeux de l’histoire après cette longue absence. On regrette alors un épisode un peu lent, quand on aurait préféré une certaine urgence après le final de la saison 1. Si la première saison avait quelques défauts, elle avait néanmoins réussi un tour de force en nous offrant une série surprenante et ambitieuse. Les quelques moments où l’intrigue semblait avancer au ralenti, voire s’arrêter totalement, participaient à la magie de la série, qui semblait évoluer dans un autre espace temps. Dans ce début de saison 2, il est à craindre que ces moments de vide tendent d’avantage vers la contemplation, comme pourrait le laisser présager le premier épisode. Simple mise en place nécessaire après une production houleuse ou manque de rythme qui persistera jusqu’à la fin de la saison ? Les prochains épisodes nous le diront, mais il serait fort dommage que cette série, si pleine de promesses, s’étiole après une seule saison, nous laissant sur notre faim.

3.5

Perrine Mallard

Afterlife : Vivre à petit à feu

L’être humain ne cesse de questionner le monde qui l’entoure. L’être humain veut donner à tout prix un raisonnement logique à tout et n’importe quoi. L’être humain a peur de l’inconnu. Mais l’être humain n’arrivera probablement jamais à résoudre un des plus grands mystères : il y a-t-il une vie après la mort ?

Afterlife n’est pas une énième production Netflix de science-fiction sur de futures prouesses technologiques dans une dystopie où ce mystère aurait été percé. Afterlife est une production bien plus terre-à-terre, maniant habilement une autre vie après la mort : celle de ceux qui restent.

Ricky Gervais est un être humain qui nous fait questionner le monde qui nous entoure, à sa manière. Le créateur de The Office nous avait livré une production qui concernait tout le monde. Ricky Gervais est un homme pour qui le quotidien est d’une importance primordiale. Avec The Office, la vie professionnelle était critiquée, avec des personnages aux vies soporifiques, des situations burlesques et des blagues vaseuses. Le flegme à la britannique sauce ramette de papier. Qui n’a jamais aspiré à une vie de commercial dans le papier aussi ?

Dans Derek, Ricky Gervais s’interrogeait déjà sur la période de la fin de vie. Derek était subtile et fourbe, car il utilisait l’humour cynique propre à son créateur pour tirer le spectateur vers une série humoristique. La subtilité et la fourbe venaient quand le dramatique survenait subitement.

Afterlife est un mix de ses deux productions. Tony est un homme qui travaille au Tambury Gazette, un journal local d’une petite ville. Il vit seul avec son chien. Sa femme s’est éteinte il y a peu. La 4ème étape du deuil fait partie de son quotidien : la dépression et la douleur. Une dépression qui se ressent dans son laisser-aller quotidien : que ce soit dans son hygiène de vie ou ses relations sociales. Un passant, un facteur, ses collègues, son boss : personne n’échappe à l’antipathie sociale de Tony. Une antipathie que l’on pouvait retrouver chez certains personnages de The Office.

C’est en creusant le personnage de Tony, dans sa maison qui lui sert de carapace, que l’on découvre un Tony intime, à vivre par procuration grâce aux vidéos que sa femme a enregistrées dans sa chambre d’hôpital. Une sorte de manuel vidéo de survie à l’après-vie sans elle. Cette vie qui paraissait si joyeuse, emplie d’amour et de complicité dans ce couple, qui semble déjà bien loin pour le protagoniste.

Ricky Gervais est indéniablement un scénariste et un producteur de talent. L’intelligence de l’écriture, la profondeur de ses personnages et son talent d’acteur font de chacune de ses productions un iceberg. Un iceberg où la partie comique est visible et où le dramatique est caché. Dans ce pilote d’Afterlife, le dramatique est bien caché chez lui, mais le potentiel de son personnage nous pousse fortement à découvrir le mystère qu’est Tony. Et aussi parce qu’il est aussi drôle qu’antipathique.

4

Lucas