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HBO

Chernobyl, une catastrophe révélatrice d’une situation politique

En cinq épisodes seulement, la mini-série Chernobyl a marqué d’une trace indélébile la conscience des spectateurs, enchaînant les scènes insoutenables d’une reconstitution soignée. Outre son caractère de film catastrophe, Chernobyl est également une série politique importante sur les dernières années de l’URSS.

De la série Chernobyl, créée par Craig Mazin et diffusée par HBO, on retient en priorité les scènes impressionnantes mêlées au danger nucléaire. On revoit les premiers pompiers arriver aux abords de la centrale sans la moindre protection, ni la moindre idée de ce qui se passe. On revoit les mêmes, quelques heures plus tard, profondément irradiés et soignés par des médecins complètement dépassés par les événements. On revoit ces « biorobots » chargés d’ôter du toit de la centrale du matériel hautement radioactif, dans une scène parmi les plus marquantes de l’histoire des séries, ponctuée par le bruit entêtant des compteurs Geiger.
Bien entendu, la grande force de la série Chernobyl se trouve d’abord là, dans cette capacité à rendre palpable le danger invisible du nucléaire. Cela donne des scènes terribles et inoubliables.
Mais Chernobyl ne se limite pas à cela. Avec beaucoup d’intelligence, la série de Craig Mazin parvient aussi à décrire la situation politique si particulière de l’URSS du milieu des années 80.
Pour rappel, la catastrophe a eu lieu en avril 1986. Cela fait un an que Mikhaïl Gorbatchev est à la tête de l’Union Soviétique avec une volonté réformiste qui commence à s’affirmer. Mais le pays est encore régi par les anciennes habitudes soviétiques, et c’est cela que décrit la série.
Tout d’abord, il y a l’aveuglement idéologique. En URSS, l’idéologie est plus importante que la réalité, et si la vérité contredit l’idéologie, alors la vérité a tort. C’est ce qui arrive, dès le premier épisode, au sujet de l’incident lui-même : pour le directeur de la centrale ou l’ingénieur en chef chargé de mener l’expérimentation, il n’a pas pu y avoir d’incident nucléaire dans le réacteur, puisque les autorités ont affirmé que ce type de réacteur est le plus sûr. L’idéologie dominante, dans ce domaine, consiste à dire que le nucléaire soviétique est infaillible. Donc le cœur du réacteur n’a pas pu éclater. Et si un ingénieur affirme avoir vu le contraire de ses propres yeux, alors c’est l’ingénieur qui a tort, étant sans doute animé de mauvaises intentions envers le régime soviétique.

L’autre aspect typique de l’Union Soviétique, c’est le fameux culte du secret. En effet, on apprend qu’un rapport montrant les défauts du réacteur a été enterré. Là encore, mieux vaut se fier à l’idéologie qu’à la réalité.
Mais ce culte du secret se retrouve aussi dans la lenteur à annoncer ouvertement la catastrophe. Il a fallu que des scientifiques scandinaves enregistrent des taux de radiation anormalement élevés pour que les dirigeants soviétiques, acculés, admettent l’incident. La série montre même que Gorbatchev lui-même n’avait pas tous les éléments en sa possession : l’information se verrouille pour que les dirigeants puissent affirmer sans mentir qu’ils ne savent pas, ainsi que pour protéger les responsables locaux.
La série montre bien comment ce culte du secret va retarder l’arrivée des secours et la prise de décisions pouvant sécuriser les lieux et les habitants. Cela va accélérer la mise en place de la Glasnost, une politique de transparence et de liberté de la parole aussi bien dans les œuvres artistiques que dans les médias. Cette volonté de transparence culmine dans le procès, reconstitué au dernier épisode de la série, procès dont le déroulement aurait été impensable à n’importe quelle autre époque de l’histoire soviétique (et même russe).

Finalement, ce que dévoile la catastrophe de Tchernobyl et sa gestion par les autorités locales ou fédérales en URSS, c’est un système à bout de souffle. Pour beaucoup d’observateurs, l’incident d’avril 86 est un des événements qui ont accéléré la chute de l’URSS (avec l’échec du conflit en Afghanistan et la folie de la course aux armements). Et la série montre bien comment le fonctionnement administratif quotidien de l’Union Soviétique a participé à amplifier le déclenchement et le bilan de la catastrophe. C’est en cela que l’on peut affirmer que Chernobyl est, aussi, une série politique : la catastrophe est ici le révélateur des failles d’un système idéologique et bureaucratique coupé de la réalité du terrain.