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Engrenages : la série tire sa révérence (SPOILERS)

Chloé Margueritte Reporter LeMagduCiné

Engrenages s’achève, une page se tourne surtout pour Laure, Gilou et Joséphine qui nous ont accompagnés pendant quinze ans. L’occasion de revenir sur une série qui passionne par sa capacité à être proche du réel, sans tricher, tout en étant hautement addictive (la faute à des dialogues savoureux et à des personnages bien « border », bien écrits surtout). La saison 8 (l’ultime saison !) est diffusée tous les lundis sur Canal+ depuis le 7 septembre et déjà entièrement disponible sur MyCanal. 

Clap de fin

Dernière scène : deux silhouettes qui ne sont pas inconnues marchent dans la rue et c’est ainsi qu’on les quitte. Laure et Gilou ne sont plus flics, ils « sont » simplement. Que deviendront-ils ? On ne sait pas et on a presque l’impression que la série nous dit que leurs vies commencent une fois qu’on leur dit « adieu ». La lumière les entoure, ils sourient, leurs regards sont complices. Après quinze années et deux dernières saisons écrites non plus par Alexandra Clert mais Marine Francou, c’est par cette tendre mais brutale dernière apparition que l’on quitte la série policière de Canal Plus, sa plus grande réussite à ce jour. Comme souvent dans Engrenages, la scène très calme fait suite à l’explosion de l’engrenage justement engagé en début de saison avec le début d’une nouvelle affaire. La résolution n’a pas été de tout repos et a de nouveau entraîné nos héros, qu’ils soient juges, avocats ou policiers, dans une spirale infernale où tout est tourné entièrement pour eux vers le but ultime : « sortir » l’affaire. Pour le dire autrement, car le jargon a son importance dans la série, la résoudre et pouvoir passer à autre chose. On a toujours l’impression que les enquêtes menées au long des huit saisons sont des questions de vie ou de mort pour ceux qui enquêtent.

Réalité et fiction

La raison en est certainement que le choix des meurtres présentés est toujours hautement lié à l’intime des personnages, du moins à leur humanité. Que ce soit cet enfant dans un sèche linge dans la saison 8, un ancien patron dans la saison 7 ou des corps de femmes mutilées en saison 3, tout est réuni pour marquer les esprits. L’ancrage dans le réel est très fort et ce ne sont pas les vies privées de nos personnages qui les aident à remonter la pente. Car ils sont tout aussi cabossés et en dehors des clous que ceux sur qui ils enquêtent. Ce n’est pas Gilou, voyou pour une saison d’infiltration, qui dira le contraire tant il est aussi à l’aise en flic qu’en malfrat. C’est d’ailleurs ainsi qu’il est décrit, quelqu’un qui est prêt à tout pour résoudre une enquête est tout autant un flic de choc qu’un flic à craindre. Car « tout » ce n’est pas forcément en osmose avec la procédure. La force de la série est sa description des milieux dans lesquels sont ancrées les enquêtes. On découvre véritablement des mondes avec leurs espaces, leurs gestuelles, leurs langages. Une rue, un quartier, un commissariat, un nouveau palais de justice, tout est histoire de montage, de mise en scène, d’exploration dans Engrenages.

Des personnages familiers

La petite déception de cette saison revient tout de même au nouveau personnage de juge introduit pour faire suite à Roban. On sent clairement que le personnage a été écrit en parallèle à Ali pour faire souffler un vent de jeunesse. Or, inscrit aux côtés de personnages que l’on suit depuis longtemps, le parcours de cette juge peine à convaincre, ainsi que sa relation avec le commissaire Beckrich C’est ainsi que l’on sent les raisons qui poussent Engrenages à tirer sa révérence. Elle a fait le tour de la question judiciaire et intime de ses personnages. Si Laure qui dixit Gilou « en crèverait de plus être flic » peut finalement s’en satisfaire, par choix, c’est qu’une page se tourne. En quinze ans, le paysage politique et policier a énormément bougé, la relation des citoyens aux forces de police également. Les petits arrangements avec la loi dont sont coutumiers Laure et Gilou ne sont plus trop à la page visiblement, même si toujours dans le feu de l’action sérielle, ils semblent justifiés. Oui, ils font avancer l’enquête, du moins ils relancent l’intrigue. Le lien entre tous les rouages judiciaires est encore une fois bien amené, dans une ronde habile et subtile ou chaque personnage trouve sa place, son ancrage, sa voix. Tout cela grâce à un casting de choix : Caroline Proust, Thierry Godard, Audrey Fleurot en tête. On peut donc voir que Khool Shen comme autrefois Reda Kateb qui débutait sont très à l’aise dans leurs rôles car ils ne sont jamais clichés.

Femmes puissnates

Les femmes particulièrement sont passionnantes car puissantes. Et les hommes rarement en reste puisque chacun soutient l’autre, l’accompagne, le complète. Un podcast entier a été consacré à cette thématique à l’occasion de la sortie de la saison 7. On retiendra des traitements jamais misérabilistes des questions qui traversent aujourd’hui le féminin. A noter dans cette saison 8 le procès de viol de Lola auquel doit normalement participer Joséphine, ayant été elle-même violée. Elle passe la main à Edelmann, son homologue masculin. La série réfléchit alors sur la manière de parler d’une femme violée durant un procès, la capacité de la justice à réparer le crime sans considérer la femme uniquement comme une victime, mais en lui redonnant sa place au coeur de la société. Que ces mots de réparations, d’excuse, de réhabilitation d’une plaignante en tant que femme et non pas victime, soient prononcés par un homme ( un personnage qui revient de loin en terme de classe en plus!) est d’une force inatendue. Un moment salvateur comme on en voit peu dans la fiction. D’ailleurs, Lola ne sera la proie ou l’objet de personne à partir de maintenant, elle le fait bien comprendre à Joséphine. Depuis ses débuts, la série marque ainsi le pas. En effet, jamais  la place de Laure comme cheffe de groupe au milieu des hommes n’a été contestée ou même mentionnée et ce naturel aussi est une grande victoire pour une fiction télévisuelle.

Dire au revoir

Si l’on quitte Joséphine Karlsson plusieurs minutes avant la fin du dixième et dernier épisode, en revanche Laure et Gilou sont du dernier plan. C’est que leur idylle né au milieu de la saison 6 et pas du tout prévue au départ est devenue un emblème de la série, de sa capacité à se construire sans cesse sur des champs de ruines. Gilou peut ainsi faire siennes les paroles du dernier titre de Benjamin Biolay (Comment est ta peine ? ) et les souffler à Laure :

« Comment est ta peine ?
La mienne est comme ça
Faut pas qu’on s’entraîne
A toucher le bas
Il faudra qu’on apprenne
A vivre avec ça »

Et nous spectateurs depuis 2005, à vivre sans Engrenages et à ne pouvoir, du moins en France, pas se réconforter avec une autre série policière de cette poigne, de cette irrévérence aussi, de cette brûlante actualité. Chapeau.

Reporter LeMagduCiné