Une nouvelle saison pour revisiter la mythologie de Batman, la série animée ? Sans-façon pour Bruce Timm, co-créateur avec Eric Radomski, qui ne souhaitait plus renfiler la cape. Œuvre culte du petit écran, elle a perpétué l’héritage de Tim Burton, mariant romantisme gothique et polar noir pour envoûter le jeune public entre 1992 et 1999. Finalement, tout bascule lorsque la Warner (via HBO) propose une série originale à l’animateur américain, au côté de Matt Reeves et J.J. Abrams à la production. Une suite spirituelle qui se veut plus mûre, intense et cavalière, comme l’a rapporté son showrunner à The Wrap.
Critique de Batman : Le Justicier masqué, un petit joyau d’animation fragmenté sur Amazon Prime Video.
Synopsis : Bienvenue à Gotham City, où les criminels sévissent et les incorruptibles vivent dans la peur permanente. Forgé dans le feu de la tragédie, Bruce Wayne, riche mondain, devient une créature plus ou moins humaine : BATMAN. Sa croisade pour la justice attire des alliés inattendus, mais ses actions ont des conséquences mortelles et imprévisibles.
Série Noire
Sauvé in extremis par Amazon durant sa pré-production, Le Justicier masqué était l’un des projets d’animation les plus réjouissants de HBO Max. Dès les premiers jets d’écriture, l’ambition était claire : s’affranchir des limites imposées par le public familial. Si Batman, la série animée se réfrénait pour s’adresser aux plus jeunes (tout en soignant son atmosphère sombre et délicate), Caped Crusader (le titre originale) allait pouvoir explorer de nouveaux territoires, ceux de l’horreur, de la brutalité et de la mort. Un écho au long-métrage d’animation mésestimé Batman contre le Fantôme Masqué, qui avait su s’autoriser une noirceur tragique. In fine, cette nouvelle itération du Chevalier noir, complexe et malfaisante, séduit. Elle se permet même un nouveau regard sur ses antagonistes emblématiques, tout en introduisant des figures méconnues de l’univers.
Le Justicier masqué accroît l’esthétique du film noir héritée de La Série animée, en s’appropriant pleinement ses codes originels. Gotham, avec son architecture écrasante et son aura impénétrable, semble tirée des années 30, ressuscitant l’atmosphère d’Assurance sur la mort de Billy Wilder. Bien que cette version de Gotham puisse paraître quelque peu dépeuplée — où sont les citoyens ? —, le corps policier et municipal évoque l’œuvre rude et moraliste de Fritz Lang. En embrassant ces références, Bruce Timm invoque l’esprit de Bill Finger, co-créateur du vengeur avec Bob Kane, en le dépeignant comme un détective de roman noir. Pour souligner ce patrimoine, Bruce Wayne arbore un costume inspiré de sa première apparition dans le Detective Comics n°27 en 1939.
Chauve-qui-peut
Le premier épisode s’ouvre sur un classicisme familier et a priori nostalgique. La superbe palette graphique (limitée par son monochromatisme) et le style nerveux, entre 2D et 3D, électrisent nos souvenirs d’enfance. Toutefois, Bruce Timm, en collaboration avec Christina Sotta (Justice League Dark: Apokolips War) et Jase Ricci (L’Étrange Noël du petit Batman), bouleverse subtilement les bat-conventions. Ainsi, la frontière entre la pègre et la police se brouille sur le yacht Iceberg Lounge, dirigé par une chanteuse de cabaret, mère tyrannique et incarnation déconcertante du Pingouin. Quant à Batman, il s’éloigne radicalement de l’interprétation sage de La Série animée. En vingt minutes, En Eaux Troubles amorce une transformation habile de la mythologie. Pourtant, la frustration de quitter Oswalda Cobblepot trop tôt se fait sentir, d’autant que Le Justicier masqué s’attarde sur un antagoniste à chaque épisode, répartis sur dix petites aventures interconnectées (avant un double final qui frôle l’acte manqué).
En réalité, Batman : Le Justicier masqué regorge de détails et d’inspirations pour un résultat parfois enchevêtré. Catwoman, à titre d’exemple, porte un costume inspiré de l’âge d’or des comics, tandis que sa personnalité mêle plusieurs incarnations du personnage. Le tout est sublimé par le thème musical Beautiful Stray de l’allemand Frederik Wiedmann, un hommage à Elfman, Zimmer et Giacchino, pour une apparition aussi brève que fugace de la féline (un comble pour une intrigue non-anthologique). À l’arrivée, c’est bien Harvey Dent — au design qui évoque le trait brutal d’Eduardo Risso — qui pâtit le plus de cette écriture compacte. Et ce malgré sa présence dans 8 épisodes, dont le final.
Batman Monsters
Au cœur des années 90, la série culte était, par petites touches, un véritable puits de références (essentiellement cinématographiques). Elle a rendu hommage à plusieurs classiques de l’horreur et de la science fiction américaine, notamment L’Île du docteur Moreau et La Fiancée de Frankenstein. Ici, Bruce Timm va plus loin, surtout dans le deuxième (et sans doute meilleur) épisode réalisé par le storyboarder Matt Peters (The Killing Joke) et scénarisé par le brillant Greg Rucka (Gotham Central).
De facto, … Et n’être qu’un scélérat réunit toutes les vertus de cette suite spirituelle en s’immergeant dans l’âge d’or d’Hollywood, les Universal Monsters et le studio Hammer. En consacrant un épisode entier à ces influences — des motifs aux personnages comme le maquilleur Jack Pierce et l’acteur Lon Chaney, jusqu’à l’utilisation ludique de Gueule d’argile — Batman : Le Justicier masqué passionne en déconstruisant le glamour holywoodien dans une enquête digne du plus grand détective du monde. Cette intelligence d’écriture se reflète également dans la nouvelle interprétation d’Harley Quinn, psychiatre le jour et anti-héroïne la nuit. Une version audacieuse et plus fidèle à la vision originale de Bruce Timm pour La Série animée (rejetée par Warner en raison de son ambivalence morale). Une belle manière de revisiter un personnage, co-créé avec Paul Dini, qui a connu de nombreuses adaptations fastidieuses.
En fin de compte, l’approche novatrice de la série laisse une forte impression. Malgré une rigueur narrative parfois inégale, notamment dans l’intégration du fantastique et la trajectoire de Double Face, Batman : Le Justicier masqué remanie brillamment un univers au pouvoir narratif inépuisable. Reste à voir ce que la deuxième saison, déjà en préparation chez Amazon, nous réserve.
Bande Annonce — Batman : Le Justicier masqué
Fiche Technique — Batman : Le justicier masqué
Titre original : Batman : Caped Crusader
Réalisation : Christina Sottaen, Matt Peters, Christopher Berkeley
Scénario : Bruce Timm, Jase Ricci, Greg Rucka, Ed Brubaker, Adamma Ebo, Halley Gross, Marc Bernardin
Production : Bruce Timm, Matt Reeves, J.J. Abrams, Ed Brubaker, Sam Register, James Tucker
Musique originale : Frederik Wiedmann
Distribution : Amazon Prime Video
États-Unis – 2024 – 10 épisodes d’environ 25 mns
Avec Hamish Linklater, Jason Watkins & Krystal Joy Brown (Voix originales)
Avec Laurent Blanpain, Daniel Lafourcade & Déborah Claude (Voix françaises)
Sortie le 1er août 2024