Pendant cette période faste qu’est l’enfance, l’analyse se fait moindre mais les souvenirs ne cessent de se construire. Par bribes. Certes, nous ne nous souvenons pas de tout, mais des flashs restent intacts dans l’esprit de chacun, comme marqué au fer rouge par l’émotion provoquée. C’est un peu le cas pour le rédacteur de cet article, avec ce double épisode « Feat of Clay » de la série animée Batman, The Animated Series.
Un acteur, Matt Hagen, connu mais défiguré arrive à jouer les caméléons grâce au pouvoir réparateur d’une crème. Mais les créateurs de cette dite crème vont lui jouer un tour et faire de lui un monstre vengeur. L’une des séquences centrales me reste encore en tête malgré toutes ces années : voir l’ombre contre un mur de deux malfrats verser la crème abondamment et mortellement sur le corps gisant d’un Matt Hagen vociférant de douleur. C’est en ce sens, que la série animée Batman de 1992, avec laquelle la Warner voulait surfer sur le succès que fut le Batman de Tim Burton (1989), se veut être une oeuvre aussi dense et noire que magnifique à découvrir.
Et ce, à tout âge. Cette série, qui malgré ses références et ses influences marquées, arrive autant à faire vivre les aventures trépidantes d’un super héros accompagné de ses acolytes que dans le même temps, faire se mouvoir devant nos yeux une mythologie propice au questionnement sur le monde des justiciers masqués. Dès le générique, le ton est donné et ne quittera que rarement la série. Une esthétique expressionniste, de longs bâtiments qui touchent presque les cieux rouges pour accroître leurs ombres sur une ville en perdition, des mafieux qui utilisent les armes pour se faire entendre et un Batman surgissant de la pénombre et des ténèbres pour combattre le crime.
Alors que des séries comme les Tortues Ninja (1987-1996) étaient dotées d’une esthétique résolument moderne et cohérente avec leur époque, Batman, The Animated Series de Bruce Timm (direction artistique) et de Paul Dini (scénario) prend la tangente à cette modernité et décide de modeler son apparat rétro autour d’une ambiance proche de celle des polars et films noirs des années 50. Cette déclinaison graphique fait tout le charme de la série, avec ses mafieux et ses multiples femmes fatales, ses sublimes costumes (surtout Batman et Catwoman), ses caractéristiques aussi violentes que cartoonesques (le Joker en est l’exemple le plus prégnant) et permet de presque rendre intemporel l’environnement dans lequel se situe cette dernière. Mais comme dit plus haut, cette oeuvre super héroïque peut plaire à un public divers et varié.
Plaire aux jeunes n’est pas une mince affaire. Sauf que les nombreuses qualités deviennent visibles au premier coup d’œil : Batman est iconique, proche du vampirique et derrière la noirceur visuelle et thématique de la série, ne cesse de combattre des « méchants » aussi charismatiques les uns que les autres (Le Joker, Double-Face, Harley Quinn, Mister Freeze, L’épouvantail…). Cette mosaïque de personnages récurrents n’est pas qu’un simple artifice qui viserait à remplir mollement la marmite horrifique de la série. Au contraire, chacun d’eux est une nouvelle pièce dans un moteur parfaitement huilé, un artefact de Gotham, amenant de surcroît son sel, sa désespérance humaine, son émotion et ses velléités, permettant à la série de s’inscrire autant dans la carte du réalisme qu’autour du genre du fantastique.
Batman, The Animated Series arrive à fédérer par le biais de son aura, grâce au plaisir enfantin qui nous pousse à suivre les expéditions nocturnes de Batman, mais aussi par son action incessante et son inventivité à la fois de lieu mais aussi de cascades. Malgré l’intérêt de l’écriture pour les personnages et leurs résonances, le rythme se veut tambour battant, nous faisant jalonner une ville de Gotham protéiforme et caverneuse, privilégiant de ce fait, l’action et la bagarre. Ce qui permet alors à son audimat de profiter de toute la panoplie technologique de Batman et de son attirail de combat. Pour le plaisir des grands et des petits.
Mais alors que cet article fait partie intégrante d’un cycle sur les séries de notre enfance, est-ce la nostalgie qui me pousse à poser ces mots ? Est-ce que lors du revisionnage de la série, sa matrice va perdre tout son sens pour ne devenir qu’un énième plaisir coupable d’enfance comme beaucoup d’autres et n’être qu’un simple support audiovisuel pour les nombreuses figurines qui ornaient nos chambres? La réponse est simple : heureusement, non. Mais alors, pourquoi cette série qui a marqué l’enfance de nombreux enfants biberonnés à l’animation des 90’s reste une pierre angulaire de la mythologie Batman et de la sphère des super héros en général?
La réponse est simple, voire même clichée : son foisonnement et sa richesse. Si le plaisir que nous avons à voir hébétés la parfaite mise en scène de la série est prédominant, si le plaisir de voir un Batman qui n’a jamais été aussi fort et effrayant perdure, c’est aussi la symbiose de cet environnement, sa diversité dans les enquêtes, le lien entre les personnages et la profondeur des épisodes qui nous happent par sa justesse : là où les rires des victimes du Joker nous effraient, là où la peur de l’ombre parentale chez Bruce Wayne nous fascine, là où les intentions de Poison Ivy paraissent légitimes, là où la tristesse de Mister Freeze nous émeut, là où la connexion entre Catwoman et Batman nous fait chavirer, là où le rôle de Batman dans la naissance du mal nous questionne, là où la corruption et la justice personnelle se mélangent, là où le poids du costume pour Bruce Wayne se fissure, la série ne cesse de déployer son large horizon sans abattre ses cartes du premier coup. Un peu comme les oeuvres de Tim Burton, la série animée laisse une grande place aux marginaux pour laisser infuser l’ambiance de toute une ville et s’inscrire dans la durée.
Batman, la série animée de 1992, qui sera ajustée par la suite, en 1997, par The New Batman Adventures et qui verra une expansion d’elle même dans l’incroyable Batman contre le fantôme masqué de 1993, est une série qui marque de son empreinte, notre appropriation du genre mais aussi l’étendue de la mythologie Batman.
Batman, la série animée – Bande Annonce
Batman, la série animée – Fiche technique
Création : Bruce Timm, Paul Dini
Production : Bruce Timm, Eric Radomski
Pays d’origine : USA
Diffusion d’origine : Fox
Nombre de saisons : 3
Nombre d’épisodes : 85
Durée 22-25minutes
Diffusion originale : 5 septembre 1992 – 16 septembre 1995