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La forme de l’eau : conte réaliste d’une monstrueuse beauté

Favori dans la courses aux Oscars, La Forme de l’eau émerveille grâce à sa sublime poésie, son esthétique soignée et sa mise en scène ambitieuse. Entre fantastique et romance, elle s’admire comme une véritable ode au cinéma, à la magie infinie. Après l’inoubliable Labyrinthe de Pan, Guillermo del Toro signe un nouveau chef d’œuvre.

Synopsis : Elisa Esposito, une attachante muette, mène une vie routinière et solitaire. Son rituel matinal, son trajet en bus, et son travail de femme de ménage marquent l’éternel quotidien de sa vie difficile et monotone. La découverte d’une mystérieuse créature aquatique bouleverse soudainement son existence, en lui conférant un sens jusqu’alors insoupçonné.

Librement inspiré du mythe classique de La Belle et la Bête, La Forme de l’eau démarre sur un pitch assez simple. Par ses traits de conte populaire, La Forme de l’eau s’impose sans aucun doute aujourd’hui comme l’œuvre la plus accessible de Guillermo del Toro. Toutefois le réalisateur y insuffle son propre univers, entremêlant habilement réel et imaginaire. Dans un contexte sombre de Guerre Froide, où science rime avec pouvoir, la fin justifie atrocement les moyens. L’inconnu, source d’espérance, mais aussi de dangers s’il tombe aux mains de l’ennemi, exacerbe les passions humaines.

forme-de-l'eau-sally-hawkins-octavia-spencer-menageDans ce monde authentique des années 1960, del Toro brosse d’un pinceau presque naturaliste le portrait de protagonistes marginaux, de laissés-pour-compte de la société enfermés dans leur propre isolement. Elisa Esposito, atteinte de mutité, est traitée avec force mépris par son propre entourage.

Elle trouve seulement du réconfort auprès de son voisin de pallier, Giles, lui-même rejeté en raison de son homosexualité, et de sa collègue de travail noire, Zelda, empêtrée par un mariage raté.

Les particularités de ces personnages constituent le cœur de la première thématique du film : l’acceptation de l’autre, qui implique avant tout de vaincre le rejet de soi. Ainsi Elisa, qui se sent fatalement « incomplète », apprend au contact de la créature qu’en réalité il ne lui manque rien, qu’elle peut être aimée simplement pour ce qu’elle est. Quant à Giles, il ne craint plus d’affronter son reflet, dans lequel il refusait auparavant de s’identifier. Cette réconciliation avec soi permet ensuite aux protagonistes de se reconnaître entre eux, leurs différences générant un incroyable esprit de cohésion et d’unité. Elisa, Giles et Zelda s’entraident alors pour sauver l’étrange amphibien, qui leur renvoie l’image de leur propre situation, incomprise et menacée.

Comme dans ses films précédents, Guillermo del Toro étudie avec ambivalence les rapports de l’humain et du monstrueux. Dans La Forme de l’eau, le monstre n’est pas tant celui qui en a l’apparence ni ceux qui sont traités comme tels à cause de leurs divergences. Il gît dans le cœur d’un homme, dépourvu de toute compassion et guidé par sa seule quête de pouvoir. A ce titre Richard Strickland, incarné par un convaincant Michael Shannon, rappelle à certains égards l’odieux capitaine Vidal du Labyrinthe de Pan, aussi froid que violent.

forme-de-l'eau-sally-hawkins-amphibien-aquariumAinsi l’amphibien, loin de la créature démoniaque, est presque immédiatement humanisée grâce aux émotions qu’il manifeste. Il apprécie la musique et parvient à communiquer avec Elisa d’une façon déconcertante en apprenant rapidement le langage des signes. La mutité, que l’héroïne percevait comme un effroyable handicap, se transforme ici un atout pour échanger avec un être également incapable de parler.

Ceci donne un nouveau sens à l’existence d’Elisa. La relation qu’elle tisse progressivement avec la créature est remplie de poésie. L’inimaginable histoire d’amour, une des plus belles de ces dernières années au cinéma, devient alors possible. L’appartenance à une espèce définie ne constitue plus une barrière à franchir. L’harmonie entre les êtres naît d’une compréhension mutuelle, d’une fusion des incomplétudes, du désir de dépasser sa propre condition.

Comme dans un conte, les personnages suivent en le découvrant le chemin de leur destinée. Elisa explique à son fidèle voisin que sa route l’a conduite inexorablement vers sa rencontre avec l’amphibien. Cette affirmation est confirmée par ses trois cicatrices au niveau du cou, qui se révéleront avoir une fonction essentielle.

La grande force de La Forme de l’eau consiste également à mélanger des genres antinomiques. Au-delà du fantastique, le drame gagne sa place dans la dernière partie du film, même si l’horreur et la violence ne rivalisent pas avec la fin du Labyrinthe du Pan. Le comique de situation est aussi présent grâce aux réparties de Zelda et aux réactions de la créature. La somptueuse musique d’Alexandre Desplat incorpore parfaitement ces altérations de registres et donne une vraie ampleur au récit.

forme-de-l'eau-sally-hawkins-couchee-litGuillermo del Toro prouve avec La Forme de l’eau qu’il ne cessera jamais de nous surprendre. Autour d’une histoire assez simple, il parvient à créer un univers fabuleux, avec des réflexions plus profondes qu’il n’y paraît et un visuel magnifique.

L’eau s’est malheureusement troublée récemment en raison des accusations de plagiat dont fait l’objet le réalisateur mexicain. Après des remontrances de Jean-Pierre Jeunet, David Zindel vient de porter plainte. Il estime que le film de Guillermo del Toro s’inspire directement d’une pièce de théâtre pour enfants écrite par son père, Let me hear you whisper, racontant l’histoire d’une femme de ménage se liant avec un animal aquatique prisonnier, au beau milieu de la Guerre Froide.

Quelle que soit la véracité de ces reproches, la beauté de La Forme de l’eau justifie sans contexte une immersion en salles. Certainement un des meilleurs films de ce début d’année.

La forme de l’eau : Bande annonce

La forme de l’eau – Fiche technique

Titre original : The Shape of water
Réalisateur : Guillermo del Toro
Scénario : Guillermo del Toro, Vanessa Taylor
Interprétation : Sally Hawkins (Elisa Esposito), Michael Shannon (Richard Strickland), Richard Jenkis (Giles), Octavia Spencer (Zelda Fuller), Michael Stuhlbarg (Dr. Robert Hoffstetler), Doug Jones (l’Amphibien)
Musique : Alexandre Desplat
Photographie : Dan Laustsen
Montage : Sidney Wolinsky
Costumes : Luis Sequeira
Producteurs : Guillermo del Toro, J. Miles Dale
Maisons de production : Fox Searchlight Pictures, Double Dare You (DDY)
Distribution (France) : Twentieth Century Fox France
Récompenses : Lion d’Or à la Mostra de Venise 2017, 2 prix (meilleur réalisateur et meilleure musique) et 5 nominations (meilleur film dramatique, meilleure actrice dans un drame, meilleur acteur dans un second rôle, meilleure actrice dans un second rôle, meilleur scénario) aux Golden Globes 2018, 13 nominations aux Oscars 2018 (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure actrice, meilleur acteur dans un second rôle, meilleur actrice dans un second rôle, meilleure musique, meilleur scénario, meilleure photographie, meilleur montage, meilleurs costumes, meilleurs décors, meilleur montage de son, meilleur mixage de son)
Budget : $ 19 000 000
Durée : 125 min
Genre : Fantastique, drame, romance
Date de sortie (France) : 21 février 2018
États-Unis – 2017

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Redacteur LeMagduCiné