Reçu à Lyon pour présenter son récemment primé The Shape of Water et discuter de son œuvre, l’exubérant réalisateur mexicain Guillermo Del Toro n’a pas failli à son devoir, en s’adonnant à une masterclass passionnante et surtout réfléchie.
Et ce qui est bien avec l’auteur de Pacific Rim, c’est que sa bonhommie est à l’image de sa silhouette : exubérante. Il n’y a donc rien de surprenant à le voir se fendre d’une première repartie pleine d’auto-dérision pour capturer l’attention des festivaliers, réunis pour l’occasion à la Comédie Odéon, un ex-cinéma reconverti en salle de théâtre. Et comme pour tout cinéaste, l’enfance est à la base de tout
« J’ai eu une enfance de merde, partagée entre des comics, la télévision et les monstres ».
Une phrase et déjà un vrai manifeste de ce qu’est le style Del Toro. Celui d’un concentré de pop-culture, de télévision (rappelons qu’il a officié sur la série télévisée The Strain) et de monstres (qui n’ont pas fini d’infuser son imaginaire créatif). Mais de son aveu, les monstres sont plus que de simples moyens d’évasions mais bien une composante de lui-même. A ce titre, difficile de ne pas être hilare quand au détour d’un parenthèse sur la religion, le mexicain se fend d’une phrase aux airs de déclaration :
« Ma sainte Trinité à moi, ce sont Frankenstein, le Loup-Garou et l’Étrange Créature du Lac. »
Mais pourquoi les monstres donc ? Peut-être parce qu’au détour d’une enfance difficile où il sera éduqué par sa grand-mère, les monstres lui donnent une assurance. Et lui montrent la vérité derrière les contes et l’imaginaire fantastique qu’ils déploient. Ainsi, pour lui les contes et plus généralement le fantastique sont plus que des histoires mais bien le moyen de donner un sens au monde qui l’entoure.
« Le fantastique est une façon de déchiffrer la réalité ; les conte de fées servent à ré-interpréter le monde. »
L’occasion pour lui de rappeler que son cinéma, jalonné par quelques grosses productions, reste un pari de tous les instants :
« Il n’y a jamais de problèmes à trouver les histoires. Il y en a seulement pour trouver l’argent qui les financera. »
Un pari que l’on retrouve d’ailleurs sur The Shape of Water. Le film, qui sortira en France en Février demeure un sujet sensible pour le Mexicain qui lorsqu’il est interrogé dessus, n’hésite pas à adoucir le ton, quitte à y mettre de l’émotion
« The Shape of Water signifie quelque chose pour moi de fort. Il est important. »
Une parenthèse qui entraine alors le Mexicain sur le concept d’art. Si celui-ci pense que l’art est par essence impossible d’être objectif, il n’en démord pas quitte à émettre un réquisitoire amer envers l’importance (?) des nouvelles technologies sur le public.
« Aujourd’hui, on a plus de sexe avec l’Ipad qu’avec une vraie personne. »
Sans doute le moment Kamoulox de la discussion, puisqu’à l’issue de ça, non sans continuer à être hilare/jovial, le cinéaste embraye sur la puissance des images. On le sait, il est un obsessionnel du cadre. Ses images sont travaillées, riches en couleurs et on sent chez lui comme ce besoin de tourner le film dans lequel on aura des images qui marquent :
« La scène de l’ascenseur ensanglanté dans Shining, celle de l’œil découpé dans Le Chien Andalou ou celle d’Indiana Jones qui fuit la boule géante dans Les Aventuriers de l’Arche Perdue : ce sont des images mythiques. Des images qui restent en mémoire et auxquelles on peut rêver. »
Un constat qui déclenche chez lui une certaine forme d’admiration. Il vante ensuite les frères Coen avec qui il a discuté de la force des images ; il nous invite à réévaluer les grands maîtres du cinéma au niveau formel, il dresse un constat amusé et amusant des cinéastes d’aujourd’hui qu’il qualifie de « putains de connards » quitte à parler du spectre récurrent de tout cinéaste : les films jamais réalisés.
« L’état naturel d’un film est de ne pas exister. Quand on sort un film aujourd’hui, on se dit que vu les centaines de projets avortés avant, c’est un miracle de le voir. Si bien que pour moi, les films que l’on ne fait pas, on est plus souvent enclin à penser qu’ils auraient pu être nos chef d’œuvres. »
Une situation qui dans la bouche du Mexicain prête à rire mais qui ne l’est en somme pas tant que ça. Car on sent que Del Toro est de ceux là, de cette trempe de cinéaste ayant perdu/délaissé des projets. Lui, c’est Les Montagnes Hallucinées. L’amertume est présente dans son cas mais aussi le recul. Aussi, lorsqu’on l’interroge dessus, il renchérit tout sourire :
« Le monde n’aurait pas changé si j’avais pu sortir ma vision des Montagnes Hallucinées. Il aurait peut être juste été un poil meilleur. »
Mais lucide, le Mexicain sait que ces échecs forgent l’expérience. C’est un entrainement comme il aime le rappeler. Il n’hésite ainsi pas à préciser que certains de ses projets n’ayant pas vu le jour, ce sont parfois des travaux longs de plusieurs mois ou années qui s’achèvent sans rien derrière. Un constat amer mais qui fait sens selon lui à la logique du cinéma actuel :
« Aujourd’hui, et plus encore qu’avant, le cinéma est très darwinien dans l’âme. Il faut survivre. Il faut composer avec les gens qui ont l’argent. Il faut convaincre ces connards bloqués dans leurs zones de confort de sortir, d’oser, d’expérimenter. »
Une dernière prise de parole ferme et typique Del Toro qui aura au moins l’effet de rappeler que le cinéaste n’a pas sa langue dans sa poche (et on le remercie bien assez pour ça).
Bande-annonce : La Forme de l’Eau (The Shape of Water)