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Crazy Amy, un film de Judd Apatow : Critique

« Pourriez-vous réaliser un film avec une femme dans le rôle principal ? »

C’est la question que pose Emmanuel Burdeau à Judd Apatow dans le livre d’entretien (avec un texte d’introduction à la vie comique) Judd Apatow, Comédie Mode d’Emploi (disponible par Capricci), page 88. « Absolument » répondait le cinéaste en 2010. En ce mois de Novembre de l’année 2015 est sorti son nouveau film, Crazy Amy (Trainwreck), qui conte justement le récit d’un personnage féminin.

Amy Schumer interprète Amy dans Crazy Amy, écrit par Amy Schumer… Et réalisé par Judd Apatow…

Amy est incarnée par une actrice tout aussi crazy voire plus, Amy Schumer. Une humoriste et même plus que ça, puisqu’elle est l’auteur, et notamment la créatrice de son propre show sur la chaîne câblée Comedy Central : Inside Amy Schumer…décidément son nom est partout. Car Amy Schumer est devenue une véritable marque, un concept fructueux basé sur un personnage génial et drôle, ancré dans notre quotidien avec des situations universelles – d’où le choix d’un film à regarder en couple –, et d’autres beaucoup plus folles et quelque peu incroyables liées à sa situation de « star ». Elle incarne d’autres ambivalences : elle peut être la jolie et gentille fille – très sexualisée tout de même – tout en étant hyper-vulgaire et « garce ». L’actrice/créatrice interprète ainsi son propre statut de « star », ou alors parodiera nombre de publicités et de films, ou encore se présentera comme Amy, l’américaine moyenne rencontrant des situations qu’on peut connaître dans notre quotidien.

Et toutes ces facettes d’Amy Schumer se retrouvent dans Crazy Amy, qu’elle a scénarisé. On a la situation de départ un peu hors du commun : une journaliste people – rédactrice au Snuff Magazine (vous avez compris l’attaque du film contre ce type d’écrits) – ayant accès facilement aux stars et gagnant très bien sa vie en écrivant des bêtises monstres telles qu’on en trouve en France dans Voici et Paris Match entre autres. Et le « love interest », Aaron – interprété par l’excellent Bill Hader avec qui elle a travaillé sur sa série (voir vidéo ci-dessous) – est un médecin du sport responsable de la réussite de bon nombre des plus grands sportifs du monde. Terre à terre, Amy est perdue sentimentalement lorsqu’elle rencontre Aaron, elle qui a été habitué à des aventures sexuelles très rapides. Elle sortait ainsi avec un bodybuildé homosexuel refoulé – interprété par le très drôle et juste John Cena – sans s’attacher à lui.

Son père est un type bien, dans le fond, mais souvent blessant et notamment raciste et homophobe, aimant provoquer. C’est aussi un homme qui aurait aimé l’unité familiale qu’il a lui-même détruite pour satisfaire de simples désirs. Il a continué à aimer la mère de ses deux filles, regrettant certainement ses actes. En même temps, s’il apprécie Aaron énormément, plus que tous les autres, son « bad side » rappliquera et il dira à Amy qu’elle est comme lui, son père, suggérant ainsi qu’elle serait volage et que son couple ne tiendra pas. Aussi la sœur d’Amy ne veut plus lui payer une maison de repos aussi chère. Elle en veut encore à son père pour avoir autant blesser leur mère et pour avoir mené cette vie délurée.

Ci-dessus, un sketch d’Inside Amy Schumer, Celebrity Interview avec Bill Hader, Comedy Central, 2015.

Les déplacements entre le quotidien et l’« upground » alimenteront tout le film…

…jusqu’à la réconciliation finale, trop cool, pop, et fun pour être réalisable dans nos vies. On aurait préféré une fin plus honnête, plus humaine, plus crédible, plus douce-amère à la manière d’un film de Nancy Meyers ou même de Judd Apatow. On peut penser à la fin en délire de comédie-musicale de 40 toujours puceau (40 years old virgin, 2005) lorsqu’après avoir consommé son mariage, Cal – interprété par Steve Carell – se met à chanter l’amour. La caméra alterne alors plans sur le lit et plans sur toute la joyeuse bande d’acteurs et d’invités du mariage dansant, chantant, s’amusant tels des enfants inconséquents. Il s’agissait réellement d’une séquence qu’on a pu / qu’on pourrait vivre entre amis / en famille.

Mais ici, la danse et le chant avec Amy n’ont pas lieu dans un contexte quotidien, ou encore cette idée d’amusement enfantin et généreux. Elle danse avec les cheerleaders des Knicks de New-York, véritable chorégraphie sportive, pour laquelle elle s’est relativement entraînée mais elle reste la star du show, mise en avant par les danseuses. Après tout, c’est sa réconciliation. Et même lorsqu’elle rate ses pas et gestes, car mal entraînée physiquement ou peu souple, elle ne le fait pas pour s’amuser, elle rate involontairement. Et c’est ça qui manque à Crazy Amy, cette force des personnages à rater, s’amuser de leur échec pour mieux mettre en avant leur caractère, leurs autres qualités et leurs réussites. A de nombreuses reprises, Judd Apatow a dit s’intéresser aux perdants, aux malchanceux de la vie… Ainsi, il leur donnait une chance d’explorer leur potentiel tout en restant eux-mêmes, des personnes gentilles, imparfaites, ne menant pas le rêve américain mais rencontrant les facettes grises de la vie américaine où rien ne semble totalement ni blanc ni noir. Chez ses héros, le blanc se révélait au-delà de leur part obscure, et même, mieux que ça, leur gris s’élevait héroïquement.

Ci-dessus la chanson favorite d’Aaron, qu’il écoute à pleine puissance notamment lorsqu’il opère

« Une chanson nulle » dira Amy, ratée, probablement détestée par son auteur poursuivra-t-elle. C’est parce qu’il ne se rend pas compte de sa qualité, répondra le personnage de Bill Hader, un personnage véritablement Apatow-ien, prêt à assumer son côté « gris », voir le paragraphe ci-dessous.

Amy est justement « trop géniale » dès le début, même en étant vulgaire et trash, elle arrive à être « sexy » et brillamment drôle. Dans ses pires moments, Amy reste drôle, fun et jolie, la « crazy weird but so cool woman » – aussi popularisée par Zooey Deschanel – qu’on aimerait tous connaître dans nos vies et qu’on tend à beaucoup trop rencontrer au cinéma et à la télévision : Rita (2012), New Girl (2011), etc. On peut citer un moment exemplaire : lorsqu’elle se prépare à tromper l’amour de sa vie avec un jeunot de seize ans, une blague survient et on sympathise avec, ou presque. Même lorsqu’elle ne respecte pas Aaron, il y a une autre raison derrière qui pourrait justifier son acte. Ainsi Amy n’est pas si crazy que ça, beaucoup moins que Cal, ou encore que les protagonistes de Freaks and Geeks (1999) et En Cloque, Mode d’Emploi (Knocked Up, 2007). Si Apatow n’a pas perdu ses talents de conteur et de réalisateur de comédie humaniste, s’il n’a pas perdu ses images formidables tournées en pellicule ou son sens du gag et de l’humour à échelle humaine – ancré dans notre réalité emplie de références, de comique assumé et passionné par ses personnages, et de gags purement cinématographiques –, il semble que beaucoup de ses réflexions en terme de personnages et d’histoires soient relativement contrées par l’actrice-scénariste-créatrice. L’irrévérencieuse et provocante Amy Schumer a finalement révélé ses limites ou plutôt explicité ses caractéristiques, ses trucs et astuces à travers le cadre trop humain pour elle de Judd Apatow.

« La comédie vient de là. Je n’ai aucune envie de voir un film sur deux personnes qui s’entendent à merveille. Ce n’est pas drôle. Je n’aime pas les comédies romantiques sur deux personnes délicieuses apprenant à se connaître. La comédie romantique m’ennuie. Je préfère voir les choses s’effondrer. Je sais qu’il existe d’autres types de femmes, j’y viendrai dans les films à venir… »

Ainsi parlait Apatow en 2010 à Emmanuel Burdeau toujours dans le même ouvrage cité précédemment. Et pourtant, Crazy Amy est plus une comédie romantique (avec son lot d’épreuves et ses étapes classiques) – certes « burnée », très drôle, excellemment réalisée avec certaines nuances et tout de même ce regard propre au réalisateur – qu’une comédie dans le sens d’Apatow finalement. On pourrait même aller jusqu’à dire que c’est La comédie romantique d’Amy Schumer imaginée, écrite, interprétée, et coproduite par Amy Schumer – ainsi, plus que multifonctionnelle, nos yeux se tournent vers les personnalités d’Orson Welles et d’Edward Norton –, qu’un film du grand Judd Apatow. En reste un bon film – à l’introduction purement parfaite – qui mériterait plus de réflexion et surtout d’informations à son égard afin de pouvoir mieux le comprendre, notamment vis-à-vis du travail du cinéaste sur celui-ci et de la place du film dans sa carrière.

Synopsis : Depuis sa plus tendre enfance, le père d’Amy n’a eu de cesse de lui répéter qu’il n’est pas réaliste d’être monogame. Devenue journaliste dans un magazine masculin frivole, Amy vit selon ce crédo – appréciant sa vie de jeune femme libre et désinhibée loin des relations amoureuses, qu’elle considère étouffantes et ennuyeuses ; mais en réalité, elle s’est un peu enlisée dans la routine. Quand elle se retrouve à craquer pour le sujet de son nouvel article, un brillant et charmant médecin du sport nommé Aaron Conners, Amy commence à se demander si les autres adultes, y compris ce type qui semble vraiment l’apprécier, n’auraient pas quelque chose à lui apprendre.

Crazy Amy: Bande annonce

Crazy Amy: Fiche Technique

Titre original : Trainwreck
Date de sortie française : 18 Novembre 2015
Date de sortie U.S. : 17 Juillet 2015
Réalisateur : Judd Apatow
Scénariste : Amy Schumer
Casting : Amy Schumer, Bill Hader, Brie Larson, Colin Quinn, John Cena, Vanessa Bayer, Ezra Miller, Lebron James (dans son propre rôle), Mike Birbiglia…
Directeur de la photographie : Jody Lee Lipes
Chef monteur : William Kerr
Directeur artistique : Deborah Jensen
Chef décorateur : Kevin Thompson, accompagné de la décoratrice Nithya Shrinivasan
Musique : Jon Brion
Production : Judd Apatow, Barry Mendel, Joshua Church, Amy Schumer
Société de production : Apatow Productions, Universal Pictures
Société de distribution : Universal Pictures International

 

Enfin, on vous conseille de lire l’intéressant article de l’Express sur le film et le phénomène Schumer, disponible ici.