Sonate d’automne : comment apprend t-on à être un parent ?

Cette question se pose face à cette relation mère-fille pleine de non-dits et de ressentiments. Ingmar Bergman disait de son film qu’il pouvait avoir l’air pessimiste mais que s’il l’avait réussi, alors il serait son film le plus optimiste. Il est clair que ses histoires se finissent rarement bien ; Monika ou Cris et Chuchotements peuvent en témoigner. Fanny et Alexandre ou Les Fraises Sauvages peuvent ainsi représenter des exceptions, probablement dues au caractère autobiographique des deux œuvres. Même La Source, à sa façon, peut paraître optimiste avec d’abord la vengeance de la fille assassinée puis cette source d’eau, qui est l’une des plus belles séquences de cinéma que j’ai vues. Il n’en reste pas moins l’obsession pour la mort rôdant à travers ces œuvres et y trouvant quasiment à chaque fois une place à prendre.

Un contexte plutôt chargé

Revenons ainsi à Sonate d’Automne : une mère, Charlotte, grande pianiste renommée et dont l’amant vient de mourir, vient chercher du réconfort auprès de sa fille Eva, qu’elle n’a pas vue ni appelée depuis plusieurs années. Elle découvre en arrivant qu’en plus de son mari, Eva vit avec son autre fille, Héléna, gravement malade. Une tension se fait sentir entre Charlotte et Eva avant que la situation n’explose durant la nuit entre les deux femmes et qu’Eva dise à sa mère ses quatre vérités. Le film se conclut le lendemain matin par le départ de la mère et le retour de sa fille à sa vie non pas malheureuse, mais sans amour.

Ingrid en mode faucheuse

Dans ce film aussi, la mort n’oublie pas de frapper les personnages. Pour Eva, c’est son fils décédé à l’âge de quatre ans, mais plus insidieusement, nous pourrions aussi dire sa mère dont elle a été forcée d’en « faire un deuil » en raison de son absence aussi bien physique qu’affective. La mère apparaît ainsi comme l’incarnation de la figure du bourreau, répugnée devant son œuvre ; Eva l’accuse d’être responsable des souffrances de sa sœur, de l’avortement forcé dont Eva parle, lorsqu’elle avait 18 ans. Il y a aussi son malaise dans la chambre de l’enfant défunt. Plus prosaïquement, nous pourrions voir un rejet de la part de Charlotte de ce qui la relie à sa famille, à laquelle elle n’est en vérité qu’une étrangère et apparaît ainsi comme une intruse. Le pire reste qu’elle n’est pas consciente du mal qu’elle provoque sans même le vouloir, auquel elle ajoute des efforts n’ayant servi qu’à détruire un peu plus la personne d’Eva, dont elle n’a cependant pas réussi à venir à bout.

En effet, Eva parle de suicide mais ne renonce pas, car elle se doit de jouer le rôle de mère qu’elle n’a jamais eu, pour sa sœur, mais aussi pour elle-même en chérissant cette dernière comme son propre enfant. Durant la dispute de la nuit, Helena, qui était tombée de son lit, se retrouve devant les escaliers et appelle « maman ». Non pas celle qui l’a mise au monde, mais plutôt celle pour qui elle éprouve cet amour maternel qui semble pouvoir apaiser ses maux.

Mais alors, où se trouve l’optimisme ?

Pour répondre à la question initialement posée, nous pouvons nous référer dans un premier temps au constat froid et presque cruel d’Eva ; il semble trop tard pour apprendre à être une mère. L’exemple de Monika est intéressant dans la représentation de la mère par Bergman, avec un jeune couple se retrouvant face au fait de devenir parent ; si le père devient responsable, la mère néglige son enfant. Pour ce qui est de Fanny et Alexandre, la figure de la mère comme sujet de critique est plus subtile, avec de notre point de vue une femme souhaitant un nouveau père pour ses enfants, pour leur bien, alors qu’il s’agit d’une trahison du point de vue des enfants.

Néanmoins, dans la dernière séquence du film nous est lue la lettre d’Eva à sa mère, s’excusant d’avoir été aussi sévère avec elle et lui promettant de ne plus jamais l’abandonner, comme s’il s’agissait au final de sa faute ; voici donc l’optimisme que nous promettait Bergman, même si l’on peut légitimement douter de la capacité de Charlotte à changer et reprendre la place que la vie lui a donnée, celle d’une mère.

J’ai choisi d’écrire sur ce film car il m’a touché, non pas par un éloge de la pitié incitant le spectateur à pleurer sur le sort de ces pauvres êtres, mais justement en montrant de manière frontale et plutôt froide des personnages de la vie, pas des personnages de cinéma. On ressent le fait que leur vie a eu lieu et continuera après notre visionnage, nous n’avons assisté qu’à une parcelle de vie. Cette authenticité en plus du talent incroyable des actrices et de la qualité de la mise en scène font selon moi de ce film le meilleur de Bergman, le plus percutant, et le plus marquant.

 

Bande-annonce :

 

Sonate d’automne – Fiche technique :

Réalisateur : Ingmar Bergman

Scénario : Ingmar Bergman

Photographie : Sven Nykvist

Casting : Ingrid Bergman, Liv Ullmann, Lena Nyman, Halvar Björk

Pays d’origine : Suède

Durée : 99 minutes

Date de sortie : 8 octobre 1978

Sonate d’automne : comment apprend t-on à être un parent ?
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