La Seconde Guerre Mondiale est une thématique qu’affectionnent les cinéastes français. Jean-Pierre Melville a notamment adapté Le Silence De La Mer de Vercors et L’Armée Des Ombres de Kessel, Louis Malle a mis en scène Lacombe Lucien (sur un scénario écrit avec Patrick Modiano) et Au Revoir Les Enfants, Rachid Bouchareb a retracé l’histoire des Indigènes, François Truffaut a pris Le Dernier Métro… Et Un Héros Très Discret, le deuxième long métrage de Jacques Audiard sorti en 1996, trois ans après Regarde Les Hommes Tomber, est la transposition du roman éponyme de Jean-François Deniau.
Synopsis: Dans l’époque trouble et confuse de l’hiver 1944-1945, à Paris, un homme qui n’a pas participé à la guerre va se faire passer pour un héros en s’inventant une vie admirable. À force de mensonge, il va construire par omissions et allusions un personnage hors du commun.
Le charme discret de la Résistance
C’est entre la fin 1944 et les premiers mois de 1945, alors que la France est presqu’entièrement libérée, que surgit ce « héros très discret ». Albert Dehousse (Mathieu Kassovitz) est un individu sans identité qui, par besoin de reconnaissance, va devenir un mythomane à identités multiples. Sur un coup de tête, il abandonne sa femme et une vie de province qui le lasse pour tenter de se forger une nouvelle existence à Paris. Quelques hasards (la rencontre avec un ancien combattant de la France Libre, une fillette qui achète des journaux «pour le colonel», une réunion d’un ancien réseau de Résistants), la lecture des journaux et son sens opportuniste transformeront ce jeune homme réservé et renfermé en un mec acerbe, voire imbu de lui-même, qui va trouver dans la Résistance le terrain de jeu idéal pour son affabulation. Mais qui s’avèrera n’être qu’un manipulateur de bas étage.
Un Héros Très Discret possède une structure particulière. Il s’ouvre sur Jean-Louis Trintignant, gros plan, face caméra, qui se lance dans le récit de la vie d’un homme. De qui s’agit-il ? Le spectateur en vient à se demander à quel film il se trouve confronté. Un documentaire ? Une fiction ? Un mélange des deux ? Le réalisateur, navigant dans le temps comme bon lui semble, confond d’autant plus le spectateur que, régulièrement, différents « témoins » viennent accréditer l’existence d’Albert Dehousse. Sur cet aspect, cette œuvre peut déstabiliser, voire déplaire.
En comparant ce film avec ceux que Jacques Audiard réalisera ensuite, tels Sur Mes Lèvres, De Battre Mon Cœur s’Est Arrêté ou Un Prophète, on s’aperçoit que le fils de Michel Audiard n’a jamais changé sa manière de filmer et a, dès l’origine, porté sur ses acteurs un regard spécifique. Sa caméra flottante permet de rendre son film réaliste, d’inscrire ses personnages dans un environnement connu des spectateurs. Il fait preuve d’une grande dextérité et sait où emmener son intrigue, même si la première partie retraçant la jeunesse d’Albert Dehousse, avant sa fuite à Paris, peut sembler un peu longue.
Albert Dehousse, un illustre inconnu ?
En ce qui concerne le choix de Mathieu Kassovitz, il est possible de ne pas s’y retrouver. L’acteur, 29 ans au moment du tournage, supposé résistant et lieutenant dans l’armée, est quelque peu décrédibilisé par un visage trop jeunot. N’est-ce pas une trop lourde charge pour lui, son air juvénile jouant en sa défaveur ? Même si, a contrario, on peut se demander si son physique ne vient pas justement renforcer le mensonge de son personnage. Il laisse néanmoins dubitatif et suscitera des interrogations tout au long du film. Albert Dehousse oscille entre froideur et prétention, toujours mené par son désir de reconnaissance. Sa mythomanie face à ses pseudo-camarades résistants, jusqu’à ordonner l’exécution de soldats français ayant choisi le mauvais camp, se voit ponctuée tantôt par la culpabilité, tantôt par l’excitation d’être un autre. Mathieu Kassovitz est d’ailleurs un habitué des changements de rôle, comme il l’a récemment rappelé dans Un Illustre Inconnu, de Matthieu Delaporte. Cette dernière prestation est nettement plus impressionnante et beaucoup mieux construite, l’expérience du jeu se faisant ressentir. Et si Sandrine Kiberlain, la première femme de Dehousse, et Anouk Grinberg, qu’il épouse sous sa nouvelle identité, ne passent qu’en coup de vent, elles sont néanmoins importantes. Ce sont elles qui parviennent à le démasquer.
Le compositeur Alexandre Desplat (récemment primé aux Oscars pour The Grand Budapest Hotel) et la monteuse Juliette Welfling, qui travailleront sur les films suivant du cinéaste, contribuent à créer une ambiance froide, glauque, presque malsaine, saupoudrée de doses d’humour noir. Le son est également le fruit d’un travail minutieux, notamment lors de l’enfance du héros. Ses lectures de romans d’aventure dans lesquels il se projette, bénéficiant d’un travail de mixage élaboré, laisse présager une forme de schizophrénie
Un Héros Très Discret offre également une passionnante mise en abîme du rôle de l’acteur. Le personnage d’Albert Dehousse apparaît en effet comme une métaphore de l’acteur qui rentre dans un rôle, de la répétition des textes et l’entrée en scène jusqu’à la joie d’avoir réussi à être crédible dans une peau fictive. Le protagoniste se teste afin de savoir jusqu’où ses mensonges pourraient l’amener, s’ils seraient susceptibles de lui procurer une quelconque reconnaissance. Albert Dehousse joue avec les limites et finira par se brûler les ailes. Audiard laisse croire que les simples observations de comportements et lecture de journaux de guerre peuvent fournir une bonne connaissance d’un sujet. Il simplifie ainsi la donne, son personnage, derrière une grande sûreté en lui-même, étant un être profondément inculte. La reconstruction du rôle de résistant grâce à des informations lues dans les journaux et apprises par cœur paraît trop sommaire. Entrer dans les rangs de la Résistance n’était pas chose aisée et se créer un nom ne l’était guère non plus. Audiard ne dépeint pas la complexité des réseaux de l’époque. Il ne faut donc pas regarder Un Héros Très Discret en espérant apprendre plus sur la guerre ou voir un film historique : la Seconde Guerre Mondiale n’est qu’un simple contexte historique, le décor d’un film psychologique.
Aujourd’hui, Jacques Audiard est un réalisateur qui n’a plus à faire ses preuves. Il a recueilli plus de 20 prix pour ses six longs métrages et son prochain, Dheepan, figure en compétition officielle au prochain Festival de Cannes.
Un Héros Très Discret : Bande-annonce
Fiche Technique – Un Héros Très Discret
Réalisateur : Jacques Audiard
Genre : Comédie dramatique
Année : 1996
Date de sortie : 15 mai 1996
Durée : 107′
Casting : Mathieu Kassovitz, Anouk Grinberg, Sandrine Kiberlain, Albert Dupontel…
Scénario : Jacques Audiard et Alain Le Henry, d’après un roman de Jean-François Deniau
Musique : Alexandre Desplat
Monteur : Juliette Welfling
Nationalité : France
Producteurs : Patrick Godeau
Maisons de production :
Distribution (France) : AFMD