Rétro Coen : The Big Lebowski – Critique du film

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Une femme kidnappée et une demande de rançon qui peine à arriver à son destinataire… L’intrigue semble faire directement écho à celle du précédent film des frères Coen, sauf qu’à la différence du village enneigé où avait lieu l’action de Fargo, la ville est ici présentée dès le générique d’ouverture comme perdue dans un lointain désert. Le plan de la boule de poussière poussée par le vent nous faisant pénétrer dans Los Angeles est même directement rattachable aux codes visuels du western. Mais la véritable différence entre les deux films vient de la caractérisation des personnages, car là où les habitants de Minneapolis semblent difficilement dissociables sous leurs énormes parkas, c’est l’hétérogénéité des habitants de L.A. qui caractérise The big Lebowski.

De la bouche des frères Coen, l’écriture du scénario se voulait être une parodie de film noir, dans laquelle la notion d’anti-héros serait poussée à son paroxysme. L’influence du maitre du genre, Raymond Chandler, est particulièrement frappante dans le personnage qui va enclencher le périple du personnage principal : Le milliardaire handicapé, pris en étau entre deux femmes fortes, n’est effectivement pas sans rappeler le commanditaire de Philip Marlowe dans Le grand sommeil. Sauf qu’au lieu d’un détective expérimenté, le héros est ici parfaitement incompétent et maladroit. Jeff Lebowski, surnommé Le Duc, accumule les accidents avec une nonchalance sans limite. Cet ancien hippie interprété par Jeff Bridges est devenu une figure mythique mais, encore une fois, ce sont les relations conflictuelles qu’entretiennent l’ensemble des personnages hauts en couleurs qui font du film une comédie irrésistible.

Walter Sobchak est, à l’instar du Duc, un homme figé dans les années 60, et en particulier dans son traumatisme de la guerre du Viêt-Nam (et, accessoirement, de son divorce), mais bien qu’il soit en totale contradiction avec l’idéologie pacifique du Duc, ils forment tous les deux un duo complémentaire mais toujours aussi peu efficace, face à des évènements qui leur échappent complètement. À côté de notre héros et ce vétéran borderline, incarné par un John Goodman irréprochable, l’équipe de bowling est complétée par un acteur, lui-aussi habitué à l’univers des frères Coen, Steve Buscemi, en garçon effacé condamné au silence – soit l’exact opposé de son rôle bavard dans Fargo. Et face à eux, un autre comédien bien connu des amateurs du duo de réalisateurs, John Turturro qui, dans sa brève mais non moins remarquable apparition dans un look improbable, incarne un homosexuel hispanique -accusé, à tort ou à raison de pédophilie-, qui nous livre, sur la reprise d’Hotel California des Gipsy Kings, une inoubliable chorégraphie. Le déroulement de l’intrigue en soi est un élément mineur dans l’appréhension globale du long-métrage, car il ne permet finalement que de faire le lien entre tout un panel de figures souvent décalées et anachroniques, telles que Maude (Julianne Moore), une féministe aux velléités artistiques, le cow-boy sans nom (Sam Elliott), faisant office de narrateur, les nihilistes allemands (menés par Peter Stormare) ou bien encore un détective privé (Jon Polito), qui est lui-même –de par leur voiture commune- un clin d’œil au personnage interprété par M. Emmet Walsh dans Blood Simple.

Mais certains personnages (à commencer bien sûr par Saddam Hussein qui apparait dans un des rêves du Duc) sont également des images de leur époque. C’est notamment le cas des deux milliardaires qui se partagent la même femme. Jeffrey Lebowski (David Huddleston), en vieux traditionnaliste qui, sous couvert de bonnes actions, détourne l’argent de la fondation familiale, est en effet radicalement opposé à Jackie Treehorn (Ben Gazzara), un parvenu ayant fait fortune dans l’industrie du porno, et particulièrement prévenant à l’égard de la jeune et insouciante Bunny (Tara Reid), mais ils représentent, aux yeux des frères Coen, les deux faces d’un système capitaliste cynique et manipulateur.

L’impossibilité pour tous ces protagonistes extravagants -dont il serait trop long d’achever la liste ici- de cohabiter sereinement reflète bien l’idée, récurrente chez les Coen, que la société moderne souffre d’un lourd problème de communication et de névrose commune. Les gags qui découlent de cette écriture, aussi farfelue que désenchantée, prennent le pas sur le déroulement classique de la narration, au point de réussir à nous faire accepter l’absence de dénouement concret à l’intrigue.

La bande originale, à laquelle a immanquablement participé Carter Burwell – qui collabore avec les deux réalisateurs depuis leurs débuts –, est accompagnée de musiques aussi éclectiques que la palette de personnages (de Mozart à Bob Dylan en passant par Kenny Rogers), mais aussi les chorégraphies dignes des grandes comédies musicales de Broadway qui illustrent les rêves du Duc, sont autant d’arguments qui ont permis à cette étude sociologique de la bêtise humaine de se faire, au fil des années (car n’oublions pas qu’il fut mal reçu à sa sortie), son statut de film culte et incontournable.

Synopsis : 1991, Los Angeles. Un fainéant féru de bowling est victime d’une agression par des gros bras qui le prennent pour un milliardaire portant le même nom que lui, et pendant laquelle son tapis est souillé. Désireux d’obtenir réparation, Jeffrey Lebowski va chercher à rencontrer son homonyme qui, victime d’une demande de rançon, va lui offrir une mission à accomplir. Dès lors, rien ne se passera comme prévu.

The Big Lebowski : Bande-annonce

The Big Lebowski : Fiche technique

Réalisation : Joel & Ethan Coen
Scénario : Joel & Ethan Coen
Interprétation: Jeff Bridges, John Goodman, Julianne Moore, Steve Buscemi, David Huddleston , Philip Seymour Hoffman, Ben Gazzara, Tara Reid, David Thewlis…
Musique : Carter Burwell
Photographie : Roger Deakins
Montage : Joel & Ethan Coen, Tricia Cooke
Production: Ethan Coen
Société de distribution : PolyGram Film Distribution
Genre : comédie
Durée : 117 minutes
Date de sortie : 22 avril 1998

Etats-Unis – 1998

Rédacteur