Avec Le Voleur de bicyclette, Vittorio De Sica réalise l’un des titres emblématiques du néoréalisme italien. C’est une histoire filiale en plein cœur de la Rome d’après-guerre que nous redécouvrons avec les yeux ébahis du cinéphile soumis à un film inépuisable.
Le Voleur de bicyclette a quelque chose de paradoxal. Son scénario et ses dialogues sont d’une simplicité confondante. Pourtant, le film parvient à témoigner, avec une subtilité rare, de la complexité des rapports sociaux dans l’Italie de l’après-guerre. Antonio y décroche un emploi d’afficheur municipal pour lequel l’usage d’une bicyclette est requis. La sienne étant gagée, il entreprend de la récupérer en échange des derniers draps de la famille. Peu après, alors qu’il colle des affiches pour le cinéma (Gilda, avec Rita Hayworth), un jeune homme lui dérobe son moyen de locomotion et principal outil de travail. Un argument générique que Vittorio De Sica et Cesare Zavattini, scénariste et théoricien du néoréalisme, vont exploiter pour charpenter l’une des œuvres les plus importantes du cinéma italien, qui remportera notamment l’Oscar du meilleur film de langue étrangère en 1950.
La film démontre à plusieurs reprises à quel point la misère a annihilé les liens de solidarité dans l’Italie des années 1940, et a fortiori parmi les ouvriers. À la fin du film, Antonio, désespéré par une situation financière intenable, en vient lui-même à dépouiller un inconnu de sa bicyclette. La sociologie l’a amplement démontré par la suite : pauvreté est mère de délinquance. « J’ai vraiment pas de chance. J’ai un emploi et je ne peux pas le prendre. » Alors que les ouvriers sont entassés dans des logements sociaux vétustes et que les emplois se distribuent avec parcimonie et à la criée, le salut d’Antonio vient d’une bicyclette dont on a tôt fait de le priver. Lorsqu’il dépose plainte pour signaler le vol, on lui fait comprendre que les moyens de la police sont limités – et par conséquent ses espoirs de justice exagérés. Dans les rues de Rome, on vend d’ailleurs des milliers de vélos en pièces détachées…
Pour récupérer son bien, Antonio et son fils vont sillonner Rome de long en large. Cela permet à Vittorio De Sica d’immortaliser la capitale italienne dans ses décors extérieurs naturels. Les rues, leurs maisons chiches, leurs paroisses, leurs restaurants, leurs badauds désœuvrés, tout sera examiné, avec plus ou moins de pudeur, par l’objectif de la caméra. Pendant leur périple, père et fils passeront par une vaste gamme de sentiments, dont la complicité, le respect, le doute, la déception et la honte. Visage émacié, texte réduit à sa portion congrue, Lamberto Maggiorani crève littéralement l’écran dans le rôle-titre. Il s’agit pourtant d’un ancien ouvrier romain mis au chômage forcé, engagé sur le tournage sans aucune expérience préalable au cinéma. C’est lui qui intronise au sein du film ce qu’il faut de détresse et de vulnérabilité.
L’Italie de 1948 est un pays défait, exsangue, miné par le chômage et l’indigence. Le Voleur de bicyclette décrit cette réalité désenchantée par une articulation fine d’images, dont des plans intérieurs d’appartements minuscules au mobilier rudimentaire. La réalisation s’inscrit évidemment à mille lieues des productions hollywoodiennes ou mussoliniennes : moyens réduits, acteurs amateurs, effets spéciaux inexistants et narration diminuée – la recherche elliptique d’une bicyclette dans Rome. Vittorio De Sica et Cesare Zavattini proposent toutefois une fable à triple fond, social, filial et humaniste, dûment portée à la hauteur de l’Italien moyen. Les différences de classes feront quant à elles l’objet d’une scène-clé dans un restaurant, où la manière de se tenir à table suffit souvent à distinguer les origines sociales de chacun. Engagé comme assistant sur le film, on ignore à quel point Sergio Leone fut influencé par le travail, pénétrant et mémorable, de Vittorio De Sica…
Bande-annonce : Le Voleur de bicyclette
Synopsis : On dérobe à un homme sa bicyclette, qui est également son principal outil de travail. Il arpente Rome en compagnie de son fils pour en retrouver la trace…
Fiche technique : Le Voleur de bicyclette
Titre original : Ladri di biciclette
Titre français : Le Voleur de bicyclette
Réalisation : Vittorio De Sica
Scénario : Cesare Zavattini, Vittorio De Sica, Oreste Biancoli, Suso Cecchi D’Amico, Adollo Franchi, Gherardo Gherardi et Gerardo Guerrieri d’après un roman de Luigi Bartolini
Production : Giuseppe Amato et Vittorio De Sica pour PDS (société de production de Sica)
Directeur de production : Umberto Scarpelli
Décors : Antonio Traverso
Assistant-réalisateur : Sergio Leone
Photographie : Carlo Montuori (assistant : Mario Montuori)
Montage : Eraldo Da Roma
Musique : Alessandro Cicognini
Distributeur : Ente Nazionale Industrie Cinematografiche – Umbrella Entertainment
Budget : 133 000 USD
Genre : drame social
Format : noir et blanc – 1,35:1
Durée : 93 minutes
Dates de sortie :
Drapeau de l’Italie Italie : 24 novembre 1948
Drapeau de la France France : 26 août 1949
Drapeau des États-Unis États-Unis : 13 décembre 1949