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Hier, aujourd’hui et demain, où la femme italienne est maîtresse du jeu

Produit par Carlo Ponti, Hier, aujourd’hui et demain (Ieri, oggi, domani), réalisé en 1963 par Vittorio De Sica met en scène un couple mythique d’acteurs italiens : Sophia Loren et Marcello Mastroianni.
La particularité de ce film est d’être coupé en trois histoires indépendantes se déroulant respectivement à Naples, Milan et Rome, mais toujours centrées autour d’un homme et d’une femme, incarnés par les deux comédiens qui jouent donc chacun trois rôles en un seul film.

Trois segments : trois fois plus de plaisir 

Hier, aujourd’hui et demain, par sa construction est déjà un film mémorable. L’on s’en souvient d’autant plus qu’on compare les histoires, qu’on s’époustoufle de ces acteurs caméléons qui sont aussi crédibles en riches qu’en pauvres, en superficiels qu’en intelligents, et cela saute bien aux yeux quand le miracle a lieu dans le même film.
Formellement, le long-métrage est très intéressant, et dans ce qu’elles racontent, les histoires, toutes différentes, interpellent aussi : elles ont toujours quelque chose de savoureux, franchement dit ou suggéré. Chacune a aussi son propre rythme musical, qui donne le ton – la bande-son est composée par Armando Trovajoli.
Epaulé par de grands scénaristes italiens, Vittorio De Sica montre dans un seul film trois visages de son pays, l’Italie : pauvreté et popularité napolitaine, richesse et superficialité milanaise, foi et péché dignes de Rome.

Première histoire : Adelina

© Copyright Sarah Anthony

Naples, quartier pauvre de Forcella en 1954. Le scénariste Eduardo De Filippo s’inspire de l’histoire vraie de Concetta Muccardi pour nous conter les péripéties d’Adelina, vendeuse de cigarettes de contrebande, mariée à Carmine, chômeur, vivant tous les deux dans une extrême pauvreté avec leur enfant. Ne pouvant payer ses amendes, Adelina va tomber enceinte pour éviter la prison. Et lorsque l’enfant grandit et que la menace revient pointer le bout de son nez, elle va tomber enceinte à nouveau et ainsi de suite, jusqu’à avoir sept enfants en huit ans !

Pour débuter ce film, l’épisode d’Adelina est parfait : insolite, dynamique, le spectateur suit les yeux écarquillés cette histoire complètement saugrenue qui ne pouvait arriver que dans une ville aussi extravagante que Naples.
La réalisation suit les humeurs des personnages : elle cabotine quand Adelina, enceinte et échappant pour la première fois à la prison, parade dans Naples, son ventre vers l’avant comme un trophée. Elle ralentit quand le schéma se répète bébé après bébé et finalement se fait moins grandiose quand Carmine n’est plus capable d’engendrer le moindre enfant.
Comprendre Naples peut être difficile, mais ce segment est un excellent moyen de découvrir ce que signifie être napolitain, avoir ce rythme de vie très populaire, ce côté théâtral qui perdure encore aujourd’hui dans la cité parthénopéenne. En version originale, le film sera encore plus savoureux puisque l’accent napolitain est dans la bouche des acteurs (Sophia Loren est napolitaine, mais pas Mastroianni, romain, qui prend pourtant très bien l’accent), renforçant leur crédibilité – quelques mots du dialecte se sont même insinués dans le script pour le plus grand bonheur de nos oreilles. Un an plus tard, Vittorio De Sica récidivera d’ailleurs avec Mariage à l’italienne (Matrimonio all’italianna) qui aurait pu s’appeler Mariage à la napolitaine.

Deuxième histoire : Anna 

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© Copyright Sarah Anthony

Dans l’élégante ville de Milan, Anna est une bourgeoise qui s’ennuie dans sa condition de femme riche. Elle entretient une liaison avec Renzo, homme issu d’un milieu plus modeste, dont elle dit qu’il est le seul à la comprendre. L’emmenant dans sa belle voiture, elle disserte sur sa vie, lui expliquant à quel point elle est différente des cercles superficiels qu’elle fréquente… jusqu’à ce que Renzo emboutisse la voiture dont elle n’avait que faire ! Anna change alors du tout au tout et montre sa propre vanité. 
L’écrivain Cesare Zavattini s’inspire de la nouvelle Troppa Ricca (Trop riche) d’Alberto Moravia pour ce segment qui nous montre les rues de Milan. 

Cette histoire est sans doute la plus faible, raison pour laquelle elle a été placée au milieu, mais la ville de Milan est connue pour avoir moins de caractère que Rome ou Naples, il y a donc une certaine logique. C’est un segment tout en paroles et réflexion, comportant très peu d’actions, mais le spectateur attentif aux propos des personnages comprendra de quoi il en retourne.
Vittorio De Sica nous donne à voir très subtilement la superficialité d’une certaine classe bourgeoise, et l’existence des distinctions entre milieux sociaux, mais aussi le pouvoir détenu par le haut. Combien de fois voit-on Anna sur le point d’esquinter sa voiture ? Freinant à la dernière minute, pare-choc contre pare-choc ou frôlant des bordures ? Mais lorsque l’accident survient, alors que le volant est aux mains de Renzo, c’est le drame, et l’attachement et la loyauté de façade s’envolent aux bras d’un bon parti…

Troisième histoire : Mara

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© Copyright Sarah Anthony

Egalement écrit par Cesare Zavattini, ce segment suit Mara, prostituée de luxe et de standing, qui vit à Rome et passe du bon temps avec un de ses clients attitrés, Augusto, fils à papa riche et un brin benêt. Depuis son balcon donnant sur la Piazza Navona, elle fait la connaissance d’un jeune homme. Petit-fils de la voisine d’à côté, il s’apprête à entrer au séminaire pour y devenir prêtre, mais la rencontre avec Mara (il ignore son métier) le déroute et il ne veut plus y aller. Sa grand-mère supplie Mara de le convaincre de retourner vers la vocation religieuse, et celle-ci accepte, allant jusqu’à faire le voeu de ne plus avoir de relations sexuelles pendant une semaine si Dieu exauce sa prière. 
Le jeune homme finit par y aller, et Mara doit faire face au désir d’Augusto, son client, qui la supplie et ne comprend pas son voeu. 

Aussi surprenante et truculente que le premier segment à Naples, l’histoire de Mara et d’Augusto est sans doute la plus mémorable, tant la complicité des acteurs crève l’écran, en couple insolite prostituée-client qui passent leur temps à s’embêter et se chamailler.
Sophia Loren est sublime, et sa scène de strip-tease est inoubliable, comme son interprétation de cette prostituée déterminée à respecter son voeu religieux, et qui finira par s’entendre avec la grand-mère qui lui reprochait son mode de vie. Mais la palme revient ici à Marcello Mastroianni qui casse son image de séducteur en interprétant cet Augusto ridicule qui pleurniche presque de ne pas pouvoir avoir de relations sexuelles avec Mara, payée avec les deniers de son père riche qui l’appelle depuis Bologne pour le réprimander.

Trois segments pour un résultat mythique 

On pourrait dire avec nostalgie que Hier, aujourd’hui et demain est de ces films qu’on ne fait plus. Précurseur du féminisme avant l’heure, on remarque que la danse est à chaque fois menée par la femme, comme en témoignent les titres des épisodes.
Chef d’oeuvre de l’âge d’or du cinéma italien et de l’âge d’or de ses interprètes, l’oeuvre de Vittorio De Sica remporte en 1965 l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Ce long-métrage audacieux reste aujourd’hui dans les annales du cinéma de façon bien méritée, à la fois pour son caractère innovant et unique, pour sa réalisation, son scénario, et bien sûr, pour sa distribution exemplaire avec deux premiers rôles (multipliés par trois) inoubliables.

Hier, aujourd’hui et demain : bande-annonce

Fiche technique :

Réalisateur : Vittorio De Sica
Scénaristes : Eduardo De Filippo, Cesare Zavattini
Musique : Armando Trovajoli
Casting : Sophia Loren, Marcello Mastroianni
Sortie : 1963
Pays : Italie, France
Version originale : Italien
Genre : comédie
Durée : 1heure 58 minutes