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Gloria : un polar proustien

De Shadows, Un enfant attend à Gloria : références au classique noir Boulevard du Crépuscule de Billy Wilder. Le polar chez Cassavetes est un motif prétexte pour une errance et une déambulation dans New York des personnages de Gloria et de Phil pour se reconstruire une nouvelle vie. Gloria est une quête identitaire de l’extérieur vers le moi intérieur des personnages.

Gloria est un film à part. Ce n’est pas vraiment un polar. C’est un film sur New York, sur l’errance, sur le manque, la perte.

Gloria est réalisé à New York, il s’agit du deuxième film de John Cassavetes qui est fait dans cette ville, vingt ans après y avoir tourné son premier film Shadows (1959).

Gloria sera le deuxième film de Cassavetes après Un enfant attend (1963) dans lequel joue un enfant. Ce film se fera surtout grâce à l’insistance de Gena Rowlands, qui aimait le rôle de Gloria et voulait le jouer .

Cassavetes reprendra le thème du jazz trouvé dans la musique de Charlie Mingus qu’il avait incorporé dans son premier film.

On trouve dans Gloria une double influence  (jazz mais aussi hispanique) que l’on retrouve dans le visuel via les fresques à allure enfantine bariolées réalisées par Romare Broarden.

La musique est de Bill Conti qui réalisa le thème de Rocky en 1976. Deux grands solistes vont contribuer au travail musical : Tony Ortega ( saxophoniste) et Tommy Ortega ( guitariste).

 La composante hispanique de Gloria est inspirée de l’ Adagio du «Concerto d’Aranjuez » pour guitare que Joaquin Rodrigue composa en 1939.

La musique de Gloria commence par une guitare puis évolue sur une voix masculine castillane qui étire pendant plus de quarante secondes le mot « mama ».

Si ce mot peut paraître anodin, il porte en fait toute la singularité du film en lui.

Gloria est un polar cassavetien qui parle de personnages en deuil, en manque, à la recherche de soi dans la déambulation et l’errance de New York.

Gloria c’est la destruction d’une famille pour la reconstruction d’une nouvelle qui n’arrive pas à se faire.

Car en effet le film parle d’une mère et de son enfant, tout d’abord d’une famille portoricaine dans le quartier du Bronx. Puis on comprend qu’un drame va se jouer, que la famille va être massacrée par la mafia. Alors le père va confier à son fils le fameux livre dans lequel se trouvent tous les noms des mafiosos. Gloria arrive de façon inopinée, vient chercher du café et repart avec le fils de six ans sous le bras.

La famille est tuée et Gloria et Phil doivent cohabiter. Ils n’y arrivent pas. Ils ne comprennent pas leur attache, qu’est-ce qui les relie alors qu’ils n’ont aucun lien de parenté.

Le personnage de Gloria est proche du anti-héros : elle n’aime pas les enfants et doit s’en occuper d’un, elle est une ex call-girl, ex maîtresse du chef de la mafia, Tanzini, qui a ordonné le meurtre de la famille de Phil. L’enfant ne peut accepter Gloria en substitut de sa mère. Mais la réalité est là et Phil et Gloria malgré leur désaccords doivent ensemble affronter la mafia. Ils vont donc fuir dans New York. La fuite cristallise la fin de l’innocence pour Phil, qui était toujours dans le cocon de sa mère, dans ses jupes avec aucune indépendance. S’il joue au dur une fois orphelin avec Gloria, son attitude reste la même et il y a une contradiction qui fait bien rire Gloria lorsqu’il lui réplique sans arrêt «  je suis un homme » mais ne cesse de s’accrocher à elle.

Phil ne peut pas s’attacher à Gloria parce qu’il n’a pas fait le deuil de sa propre famille et surtout de sa mère, jeune et belle. Phil ne peut pas accepter Gloria comme mère de substitution. Autre problème : Phil est un enfant protégé et choyé totalement dépendant de ses parents. Soudain pour lui la situation se transforme, il devient « l’homme », sa vie est menacée par la Mafia.

Cassavetes montre un enfant, Phil, qui doit se confronter d’un coup à une réalité tragique de la vie (assassinat de sa famille) et faire face à sa vie menacée ( poursuivi par la Mafia). Lorsque cela semble trop lourd pour l’enfant, Gloria lui propose d’imaginer que tout ceci n’est qu’un rêve.

Cette évolution de Phil, comme celle de Gloria d’ailleurs, ne pourra se faire qu’à la fin du film, après les multiples errances et périples vécus.

Car cette errance extérieure dans New York est aussi une errance intérieure des personnages, de leur propre moi. Il faut cette errance des personnages pour qu’ils puissent enfin se réaliser et se construire.

Si le personnage de Phil n’arrive pas à faire face au deuil de sa famille et plus particulièrement à la mort de sa mère, il existe aussi une dualité dans le personnage de Gloria qui se voit investie d’une mission protectrice alors qu’elle n’a pas la fibre maternelle et connaît bien le réseau de la mafia qui a exécuté la famille de l’enfant. Aussi, faut-il souligner son nom, Gloria Swenson qui a une voyelle près est le nom identique de l’actrice de Boulevard du Crépuscule de Billy Wilder, Gloria Swanson. Dans ce film le personnage est très égocentrique et narcissique et surtout reste toujours dans l’illusion qu’elle retournera sous les feux de la rampe alors qu’il n’en sera rien.

En faisant allusion à cette œuvre, Cassavetes veut montrer l’âge qui passe et la possibilité à l’être d’y faire face. Certains n’arrivent pas à surmonter ce problème comme l’héroïne chez Wilder.

Au début du film, Gloria est très personnelle et assez narcissique. Elle remet en cause le fait de prendre Phil avec elle car cela pourrait être dangereux pour elle, sans penser à l’enfant. Cependant face à la mafia, Gloria va très vite rebondir et prendre une décision, elle va faire le deuil de son ancienne vie pour protéger celle de Phil. Toutes ses attitudes égocentriques et narcissiques vont au fur et à mesure du film disparaître pour sentir en elle un sentiment maternel se créer.

Aussi au fur et à mesure du film, si Phil refuse toute filiation avec Gloria (« my mother is beautiful »), vers le milieu il commence à l’accepter, en faisant un écho à Antoine Doinel et Truffaut «Tu es mon père. Tu es ma mère .[…] ».

Lorsqu’à Pittsburgh Phil entend et voit Gloria en grand-mère, il n’y croit pas et se rue dans ses bras en lui enlevant sa perruque. L’âge de Gloria pour Phil n’a plus d’importance après tout ce que Gloria a fait pour lui.

Cassavetes utilise dans Gloria le genre du polar pour que puissent se réaliser ses personnages. On y trouve le thème de la mafia, de Gloria « hard boiled » avec des allures de Lauren Baccall.

Gloria va revenir dans le réseau de la mafia après l’avoir quitté pour sauver Phil de leur griffes.

Gloria a le côté «hard boiled » face à la mafia. Elle a aussi bien l’identité masculine (le pistolet) que féminine (l’élégance : elle porte tout au long du film du Ungaro).

Gloria a aussi le personnage de la « fée protectrice » qui va protéger et initier à la vie Phil. C’est grâce à ses conseils qu’il suivra qu’il restera en vie.

Elle lui apprend comment réagir à différentes situations. Plus le film avance et plus la mafia est présente dans l’espace des personnages. C’est parce qu’au bout d’un moment il y a épuisement de la part des personnages de toutes ces tueries, qu’ils veulent qu’il y ait une fin à cette histoire ( et donc aller donner le livre à Tanzini pour négocier la trêve).

Chez Cassavetes il y a toujours plusieurs fins : normalement Gloria devait mourir sous les balles de la Mafia mais Cassavetes n’a jamais pu se résoudre à laisser tout seul l’enfant. Il a donc fabriqué cette fin un peu conte de fée, de Gloria qui a pu échapper au balles et s’est déguisée en grand-mère pour duper la Mafia.

Dans Gloria, le personnage éponyme a une certaine folie comme chez les autres personnages féminins de Cassavetes.

Cette folie est nécessaire et indispensable à Gloria pour pouvoir survivre. Sa folie lui permet de trouver des astuces et des stratagèmes et d’avoir toujours, malgré un âge un peu avancé, une connivence avec l’enfance et donc avec Phil.

Le personnage de Phil toujours inerte, n’avançant jamais ou accroché à Gloria va devenir peu à peu indépendant et de l’inertie il va passer au mouvement, c’est-à-dire se prendre en main, devenir mature. Il va donc bien passer du stade de « bébé » à celui d’un petit garçon stratège qui s’impose.

La beauté du film c’est la recherche et l’évolution des deux personnages, Phil et Gloria,  d’eux-mêmes  et finalement de l’autre, car Gloria est nécessaire à Phil et Phil comble un manque d’affection pour Gloria. Ils fonctionnent pendant tout le film comme des aimants qui se repoussent et qui reviennent vers leur opposé.

A la fin du film chacun d’eux se retrouve dans l’autre et il ne sera plus question de partir mais de vivre enfin ensemble.

C’est en quoi Gloria est un film un part une petite pépite ciselée.

Gloria : bande annonce

Gloria : fiche technique

Réalisation et scénario : John Cassavetes
Interprétation : Gena Rowlands (Gloria), John Adames (Phil)
Photographie : Fred Schuler
Montage : George C. Villaseñor
Musique : Bill Conti
Production : Sam Shaw
Société de production : Columbia Pictures
Société de distribution : Columbia Pictures
Genre : polar
Durée : 123 minutes
Date de sortie en France : 31 décembre 1980

Etats-Unis – 1980