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Critique : French Connection, un film de William Friedkin

En 1971, French Connection sort sur les écrans américains. Un polar à petit budget, sans stars au générique, avec un jeune réalisateur, dont les quatre premiers films, n’ont pas rencontré le succès. Cet homme, c’est William Friedkin, qui va exploser à la face du monde, avec son style proche du documentaire et la célèbre course-poursuite, qui fait concurrence à celle exceptionnelle de Bullitt sorti précédemment, en 1969 avec Steve McQueen.

Synopsis : Doyle et Russo, 2 flics narcotiques, tentent d’intercepter une livraison de drogues. Ils suivent plusieurs truands jusqu’à tomber sur un marseillais.

Dans l’enfer de la drogue

La genèse du film est tout aussi passionnante que le film en lui-même. Le projet va mettre deux ans, avant de prendre forme. Le producteur Philip D’Antoni croit au roman de Robin Moore French Connection sorti en 1969, tout comme il croit à ce jeune réalisateur William Friedkin. Mais cela n’est pas le cas des importantes firmes de production hollywoodienne. Mais comme souvent dans l’histoire du cinéma, la chance vient frapper à leur porte, en la personne du président de la Twentieth Century-Fox, Dick Zannuck, fils du producteur historique Darryl : Les raisins de la colère, Ève, Le Jour le plus long, et Cléopâtre, entre autres. Il avait auparavant refusé le projet, mais il lui reste un million et demi de dollars sur son budget annuel. Surtout, il est sur le point de se faire virer et jette ses dernières cartes dans ce film.

William Friedkin rêvait de Paul Newman dans le rôle de Popeye Doyle, mais son salaire plombe le budget, il doit se raviser et porte son choix sur Jackie Gleason. Refus catégorique de Dick Zannuck, ne voulant pas de celui qui fût tête d’affiche d’un des plus grands flops de la Fox Gigot, le clochard de Belleville. Aussi pressenti, Peter Boyle sort d’un succès d’estime Joe, et ne se voit que dans de grosses productions à la hauteur de son immense talent… William Friedkin suit son intuition et porte son dévolu sur Jimmy Breslin, un journaliste, au caractère proche de celui de Sonny Grosso, dont Popeye Doyle s’inspire. Un choix surprenant, qui ne va pas faire long feu. Après un premier essai réussi, Jimmy Breslin disparaît, puis refait surface, en expliquant qu’il a juré sur le lit de sa mère mourante, que jamais il ne conduira une voiture. Sue Mengers conseille Gene Hackman, elle est son agent. On apprendra plus tard, qu’elle avait tancé Jimmy Breslin, sur le fait que ce n’était pas son métier et qu’il volait la place d’un autre. Le premier dîner entre William Friedkin, Phil D’Antoni et Gene Hackman, un acteur habitué aux seconds rôles, dont le plus célèbre était celui du frère de Warren Beatty dans Bonnie and Clyde (1967), ne fût pas une réussite. Le réalisateur n’étant pas convaincu par cet acteur, mais avec un salaire de 25000$ et le manque de temps, il obtint le rôle, même si lui aussi, n’était pas très emballé.

La distribution fût complétée par d’autres acteurs méconnus : Roy Scheider et Tony Lo Bianco, puis Fernando Rey par erreur. William Friedkin avait vu l’acteur parfait pour le rôle d’Alain Charnier, dans un film de Luis Bunuel Belle de jour, mais ne connaissant pas son nom, il laissa le soin à son directeur de casting de le contacter, alors qu’en fait, c’était Francisco Rabal. Le tournage pût enfin commencer le 30 Novembre 1970 à New-York.

French Connection va sortir des sentiers battus, en offrant un visage réaliste, dû à une réalisation caméra à l’épaule et à son style documentaire. William Friedkin est un ancien réalisateur de documentaires, il met son expérience au service de l’histoire, tout en s’inspirant du film Z de Costa-Gavras. Sa recherche de réalisme est accentué, par une lumière et des décors naturels. Elle est aussi dû au scénario s’inspirant de l’enquête des policiers Sonny Grosso et Eddie Egan, sur les réseaux de la French Connection. En effet, William Friedkin a suivi ces deux hommes lors de leurs descentes. Il va se servir de leurs manières d’interroger les suspects, aussi bien dans le verbe, que dans la gestuelle.

On retrouve Gene Hackman dans le rôle du mauvais flic, au langage vulgaire, aux mœurs légères, au physique imposant et défiant en permanence l’autorité. Le gentil flic étant joué par Roy Scheider, plus effacé, mais calme et réfléchi. Ce duo est une des forces de ce polar sans concessions. Gene Hackman emporte tout sur son passage, même lui-même, mais Roy Scheider veille, tel l’aîné sur son benjamin. Leur complicité est palpable à l’écran, leurs interrogatoires sauvages en pleine ruelle sombre, où les questions s’enchaînent de la part des deux, avec ou sans rapport avec l’enquête pour déstabiliser le suspect, sont souvent improvisées. La caméra à l’épaule ne les lâche pas, lors de leurs descentes, l’immersion est totale, on sent la tension dans chaque scènes, comme le froid qui les étreint lors de leurs planques, pendant que Fernando Rey et Marcel Bozzuffi dégustent un bon dîner dans la chaleur d’un restaurant luxueux. Un contraste social, frustrant pour les deux inspecteurs, mais aussi une source de motivation pour mettre ses hommes derrières les barreaux, au risque d’aller trop loin.

L’action se déroule principalement dans les rues de New-York, en plein hiver. Avec en point d’orgue, cette fameuse course-poursuite avec Gene Hackman au volant d’une voiture réquisitionnée, pour ne pas perdre de vue Marcel Bozzuffi, fuyant par le biais du métro. On retrouve l’influence de cette scène culte, dans de nombreux films et encore récemment dans le très réussi A Most Violent Year. Une preuve de l’impact du film sur divers cinéastes, comme par la réussite de sa mise en scène, plus de trente ans plus tard.

Le succès du film fût aussi critique, que commercial. Cela lui valut huit nominations aux oscars en 1972, il en remporta cinq : Meilleur film, réalisateur, acteur, scénario et montage. Pourtant le film fût classé R (moins de 12 ans), lors de sa sortie en salles, à cause de son langage crû envers la communauté afro-américaine, au point d’être taxé de racisme. Une polémique vite étouffée, les mots et les scènes n’étant que le reflet d’une triste réalité, d’une Amérique gangrenée en son sein, avec l’arrivée de cette drogue, qui inonde ses rues et touche toute la population, sans distinctions sociales, ni de peaux.

Ce classique du cinéma policier a peu vieilli, ses défauts font partie de son charme et accentue son réalisme. Grâce à ce film, William Friedkin devient un réalisateur très courtisé et put mettre en scène un autre classique, mais dans le genre horrifique avec L’Exorciste. Gene Hackman passa du statut de second rôle, à premier rôle : L’aventure du Poséidon, l’Épouvantail ou Conversation Secrète. Il en fût de même pour Roy Scheider, futur Martin Brody dans un autre classique Les dents de la mer.

French Connection : Bande annonce

Fiche technique : The French Connection

USA – 1971
Réalisation : William Friedkin
Scénario : Ernest Tidyman
Distribution : Gene Hackman, Roy Scheider, Fernando Rey, Marcel Bozzuffi, Tony Lo Bianco, Frédérique de Pasquale, Eddie Egan, Harold Gary, Sonny Grosso, André Ernotte, Benny Marino, Arlene Farber et Patrick McDermott
Musique : Don Ellis
Photographie : Owen Roizman
Montage : Gerald B. Greenberg
Producteur : Philip D’Antoni
Sociétés de production : D’Antoni Productions et Schine-Moore Productions
Société de distribution : Twentieth Century Fox
Budget : 1 800 000$
Genre : Policier
Durée : 104 minutes