Star Wars, ton univers impitoyable : l’histoire du petit film du barbu mutique auquel personne ne croyait… est aussi connue que la fin du petit chaperon rouge. Mais, parmi cette étendue faramineuse de gueules, d’aliens anthropomorphes et de personnages plus ou moins humains croisés sur des planètes plus ou moins en banlieue, qui est resté sur le carreau et n’a pas pris le bon vaisseau ?
Marge against the machine
Il est important pour moi de commencer en prenant quelques précautions. La notion de marge a été étudiée dans nombre de genres, de périodes, à l’image de l’ouvrage classique de Jean-Loup Bourget, Hollywood, la norme et la marge, qui a inspiré nombre d’études réflexives sur des œuvres totémiques de la pop culture. Tout devient possible, un champ immense s’est ouvert devant nos plumes, nos claviers et notre temps libre : Plus belle la vie et la marge, Kev Adams et la marge, la Simpson est la Marge, il n’y a ainsi aucune limite à notre imagination (et mes mauvais jeux de mots). En termes de méthode, je recentrerai cet article thématique sur l’idée de personnages impossibles à capitaliser dans Star Wars. J’entendrai donc ici la notion de capitalisation comme la volonté d’utiliser ou réutiliser les atouts ou compétences par exemple d’une femme jedi, d’un mercenaire ou d’un wookie, pourquoi pas, dans une narration ouvertement tournée vers l’action consistant la plupart du temps à vouloir tuer ses opposants idéologiques en milieu ouvert. La guerre, en gros. Alors, qui ne sert à rien en temps de guerre spatiale ?
Like a hobo
Le cinéma français découvrait les SDF en 1985 avec Sans toit ni loi, d’Agnès Varda. Pour Star Wars, les problématiques d’effet tunnel, d’insalubrité et de déserts médicaux sont abordées assez frontalement dès le premier film de la saga et le premier pas de droïde sur Tatooine. Tatooine, la banlieue par excellence, le territoire abandonné qui correspond parfaitement aux arcanes du récit selon Joseph Campbell, auteur du Héros aux mille et un visages (1949) qui a si profondément inspiré George Lucas. C’est là où l’on trouvera notre premier Skywalker, le héros laissé pour compte qui sortira du chapeau pour défier un empire, un nouvel ordre, des forces du mal (rayez la mention inutile). Si ce motif narratif devenu classique est reproduit dans Le réveil de la force en 2015, avec quelques critiques au passage, il consacre Rey également comme une exilée. Le dernier opus de la saga, L’ascension de Skywalker, nous donnera quelques réponses sur le sujet, mais sur ce premier aspect des vagabonds, Luke, comme Rey, sont des vagabonds pour qui on a choisi cet avenir. On souhaite les protéger, les mettre de côté ou leur réserver un avenir brillant en les laissant découvrir la patience sur des planètes pleines de dunes, ce qui est un atout certain dans cette quête, il faut le reconnaître, ce vagabondage apparaît ici temporaire. Ceux-là, on viendra les chercher. Que ce soit la guerre qui viennent les chercher, ou l’empire ou un script mal fagoté, leur destin les attend. Ces laissés pour compte là ne font qu’accompagner les autres, ceux qui eux ne décolleront jamais très loin. Et de beaux articles de fans en font une présentation très complète.
Tatooine for ever
La scène est très célèbre, elle est aussi dans le manuel de narration de Joseph Campbell. Luke manifeste ses envies de partir à l’académie des pilotes, son oncle adoptif, Owen Lars, le refuse en lui disant de patienter jusqu’à la prochaine moisson. En dehors du fait que laisser patienter un jeune homme ambitieux, une moisson de plus, sur Tatooine, est un coup bas assez prononcé au regard de l’éco-système de la planète et de son climat un poil sec sur les bords, force est de constater que ce léger contretemps oublie les premiers vagabonds, l’oncle lui-même et sa tante. Ces premiers oubliés sont ceux qui trônent en tête des pnjs (Personnages non jouables) des jeux Star Wars, souvent pour guider les héros en quête de sens dans tout l’univers Star Wars, des romans aux jeux de rôles. Ils n’ont pas de profonde biographie, pas de sens, pas d’avenir non plus. Beaucoup de fans ont avec plaisir et inventivité comblé ces interstices d’un récit devenu choral et vertigineux depuis, mais le destin de ces laissés pour compte-là n’est guère enviable, et joue le rôle de repoussoir pour cautionner l’ambition du héros.
Owen Lars est ici le symbole d’une ruralité de Star Wars, qui tant bien que mal survit loin de toute forme d’aventure. Les autres peuplades de Tatooine, les hommes des sables et les jawas, qui vivent de rapines et de troc divers et variés, persistent également à laisser pantois tout ethnologue quant à leur chiche existence. On les voit ramasser tout ce qui traîne en frappant tout ce qui se perd dans le désert de temps à autre, mais comment résolument imaginer une civilisation, une culture, en se contentant de l’exposition qu’ils ont dans les films ? C’est bien maigre, et leur refuse toute idée d’obtenir voix au chapitre dans ce concert perpétuel de cors de guerre. Les corps des vaisseaux abandonnés sur Jakku, sœur jumelle de Tatooine, pourraient offrir à l’avenir à ces peuples des occasions d’intégrer dans les futurs scripts des films et des séries un discours écologique et responsable sur l’utilisation des ressources. On peut le craindre autant que l’espérer, s’il le fait en le laissant totalement en toile de fond illustrative, comme dans les opus précédents. L’idée d’abandon et d’isolement est si forte pour ceux-là, quand Luke décolle de Tatooine, qu’on ne conseille à personne de leur accorder une dernière pensée au risque d’être sévèrement déprimé.
Misère, misère
L’isolement est une toile de fond magnifiquement stylisée au service de l’action principale, et il en est tout autant de la pauvreté dans Star Wars. La bure iconique des jedi, que porte Obi-Wan Kenobi dès sa première apparition, en 1977, intronise le vêtement de pèlerin, de moine, de vagabond au firmament des futurs cosplayers. Chez Obi-Wan Kenobi, l’idéal de pauvreté des jedis est illustré. La déco est pas top, on voit beaucoup de pierres apparentes, ok, c’est joli, mais le jedi n’a même pas de double vasque. Clairement, on peut même aller jusqu’à dire que les jedis ne sont pas des maîtres en home staging. Certes, si ce mode de vie reste illustré seulement en façade dans les premiers films, au risque d’alourdir le récit de détails alors inutiles, il a depuis gagné en coffre dans les mille et un récits des petites mains de la saga. Les fans, les écrivains, amateurs et confirmés ont développé et matérialisé ce mode de vie monacal, qui reste une pauvreté choisie. En effet, pour une très large majorité d’entre eux, les pauvres n’ont pas cherché à l’être. On pourrait même aller jusqu’à dire, au risque de choquer les âmes sensibles, qu’ils n’aiment pas beaucoup cela.
Rey, sur Jakku, compte les sous et marchande mieux que Christian Clavier quand elle ramène des pièces à son racheteur, pour s’offrir de quoi se nourrir et vivre modestement. Si sa scène d’exposition prend moins le temps pour elle de laisser percer la frustration de sa condition auprès des spectateurs, le fait est qu’on voit cette héroïne, comme Luke, subir une condition frustrante, qui est cependant amenée à être totalement reconsidérée par des dons hors du commun qui leur permettront à tous deux de devenir Jedi (sans toutefois reprendre les goûts un peu douteux d’Obi-Wan en terme de décoration intérieure). Il reste donc les pauvres qui n’ont même pas la richesse d’un destin, les soudards, les ivrognes, même pas bons à raconter leur propre histoire. On peut penser aux cabochards de la cantina de Chalmun, la toute première mise en scène. C’est la première fois durant toute la saga que le sabre laser est utilisé pour blesser, avant de tuer, et un pauvre bougon y perd son bras. Bon, le sang est vert, il repoussera peut-être… Ponda Baba, le propriétaire du bras précédemment cité, a depuis gagné des galons de contrebandier dans sa biographie. Mais les autres ? Les buveurs, les passants, les mendiants, les chômeurs ? Ils sont assez discrets, n’ont pas de personnages ou alors gagnent rapidement dans l’imagination des fans et des scénaristes, s’ils ont une réplique ou deux, un obscur statut de chasseur de prime, de marchand ou autre CSP assez vague pour éviter de rester inutile. Dans Star Wars, le pôle emploi ne rigole pas des masses. En 2016, le scénario de Rogue One se fera un plaisir d’utiliser certains laissés pour compte, ceux-là même qu’on ne mettait même pas auparavant dans un seul plan. Le personnage de Cassian Andor, ici héros d’une aventure taillée pour les soudards, lance une piste, un nouvel espoir. Il a rejoint assez tôt les insurgés mais connaît suffisamment les bas-fonds pour exécuter un témoin potentiellement gênant dans une venelle bien crade. Ainsi, les pauvres de la guerre des étoiles n’ont pas beaucoup d’images pour montrer leur condition, à moins d’incarner l’érémitisme, le chapardage ou la paysannerie. Dans les espaces urbanisés, on peut ici penser aux populations des étages inférieurs de Coruscant, les bas-fonds de la planète capitale dont on ne voit dans les films que les beaux quartiers. Encore une fois, les jeux vidéos comblent ces espaces inconnus, à la recherche de marges et de territoires, mais la pauvreté dans Star Wars, elle, gagnerait à être matérialisée si un jour elle devenait un véritable ressort dramatique.
Requiem pour des fous
Si collectivement les nécessiteux ne feront jamais grève dans Star Wars, bien qu’ils faillent un bon groupe d’ouvriers, de techniciens, de petits bosseurs pour faire tourner des planètes entières au son et lumières, cette folie collective ne sera pas mise en scène, fort heureusement, pour éviter toute faute de goût. Mais la folie individuelle, elle, existe t-elle pour autant ? Benicio Del Toro incarne DJ dans le décrié Les derniers jedi. S’il n’est pas totalement fou ni dingue, il est assurément assez allumé pour évoquer poliment un bougre au cerveau légèrement usé. Forest Whitaker, en Saw Guerrera, lui, est plus dans le registre d’une mégalomanie désenchantée, traumatisé et mutilé dans sa chair par ses combats passés. La drogue, la vraie, existe si peu dans Star Wars. Une petite scène à droite à gauche, pas plus, où un jeune dealer doit réfléchir à son avenir face au jeune Obi-Wan Kenobi, encore trentenaire dans L’attaque des clones, en 2002. La véritable folie semble dans cet univers passer par un seul biais, la colère. La colère sourde et sournoise, un des piliers les plus solides du côté obscur, qui marginalise d’autres laissés pour compte qui ne sont pas à oublier : les intellos. Pas d’homme ou de femme politique, de diplomates, de députés efficaces : dans un monde de guerre, le chancelier Valorum, incarné par Terence Stamp dans La menace fantôme, en 1999, est aussi inefficace que des piles r4 sur un sabre laser déchargé. Le ver est ici dans le fruit. Avec un nom aussi marqué, la franchise sera à jamais nourrie pour et par la guerre, l’action, la violence et le manque de négociations abouties qui font pourtant le sel de très bons romans de l’univers, légendes, à l’image de celui consacré à Dark Plagueis.
Aux grands maux, pas de remèdes : l’ignorance, l’impulsivité, la lourdeur et la violence n’ont pas de combattants dignes de ce nom. Star Wars ne compte pas ses profs, ses médecins et, plus cocasse, ses obstétriciens : Sarah Jeong avait déjà fait en 2017 cette remarque judicieuse concernant l’accouchement et la grossesse d’Almidala dans une gender study très pertinente et lourde de sens. Pire, elle a marqué d’une pierre blanche l’inefficacité et/ou le manque de volonté des films Star Wars jusqu’à nos jours à montrer une volonté de changer de forme de récit. Le temps long, l’ennui, les soupirs et les latences sont pour ailleurs. Pour l’écrit, les jeux vidéos de maintenant et à venir, mais aussi pour l’imagination. C’est ici que dans Star Wars nos esprits agités par tant de guerres poseront un vieux ou deux au bord d’une rivière, un enfant en train de jouer ou de faire ses devoirs, un adulte fêtant la naissance de son premier gosse ou l’entrée dans son nouvel appartement. Beaucoup de fans, voire l’extrême majorité des fans ne voudront pas de ces scènes-là dans leurs films pour autant. Alors nous continuerons à aller voir des métrages reposant sur les épaules d’un Atlas collectif de populations désarmées, prêtes à servir diégétiquement la cause cinématographique en sacrifiant leurs existences dans ce grand maelstrom. C’est tragique, beau et divertissant à la fois. Et c’est dur de le dire, mais c’est aussi ça, la guerre. Et dire qu’on en a pris pour 20 ans…