Dans l’une des saga parmi les plus individualistes au monde, on ne prête généralement guère attention à ce qui entoure le fringuant 007. Tout n’est que pour lui et ses désirs (charnels), et il faut souvent un méchant charismatique ou vraiment effrayant pour détourner l’attention. Mais alors, quid des seconds rôles et hommes de main liés à l’antagoniste ? Sont-ils voués à n’être, sans mauvais jeu de mots, que des gadgets ? Ou peuvent-ils prétendre à plus que ça ? Éléments de réponse…
Si l’on devait se risquer à une analogie (versant elle-même dans la référence) pour ouvrir ce propos, on ne pourrait s’empêcher de penser au fameux second petit déjeuner que quémandent Merry et Pippin dans Le Seigneur des Anneaux. Puisqu’au fond, pourquoi diable vouloir un second petit déjeuner quand on a déjà le ventre plein ? Tout au plus peut-on le vouloir par pure gourmandise. Ou alors, car on sait qu’il sera l’égal du premier ? Ce constat, presque naïf quand on y réfléchit plus d’une seconde, est sensiblement le même dès lors qu’on aborde le cas du cinéma. C’est d’autant plus paradoxal d’ailleurs, qu’a priori, aucun acteur n’a besoin de se voir flanqué d’un ou d’une subalterne dans les pattes comme de nombreux films ont pu le prouver par le passé. Néanmoins, c’est comme ça, voilà, on ne peut pas y échapper et le fait est que donner du temps d’écran à ces silhouettes qui bien souvent échouent à se frayer une place sur l’affiche finale, est devenu un passage obligé dans le mode de pensée hollywoodien. Car, un second rôle, quoiqu’on puisse en dire, a plusieurs fonctions : aider ou affronter le héros, rassurer ou inquiéter le spectateur et enfin, donner un point d’accroche émotionnel à ce dernier. En outre, il peut être, comme c’est le cas avec certaines trognes aux physiques atypiques (on pensera à Robert Z’Dar) utilisé pour rien de moins que la force iconographique qu’il dégage. Autrement dit, l’apparence.
Le culte des apparences
Et c’est bien d’apparence dont il sera question dans la saga James Bond. Après tout, que penser d’autre à la vue d’une saga qui perdure certes depuis bientôt 60 ans, mais dont la longévité aura été rendue possible par un certain « asservissement » aux marques qui jalonnent les films ? Aston Martin, Bollinger, Omega, Rolex, Lotus Esprit, BMW, Don Perignon, autant de firmes qui ont eu le chic d’être devenues des passages obligés dans la saga, tant elles reflètent une certaine image de marque et attestent ainsi de ce besoin presque irrépressible qu’a la saga de se baser sur le paraître. Mais alors, d’aucuns argueront : quel est le mal à cela ? Et la réponse sera : aucun. C’est d’ailleurs un élément à ranger du coté des points positifs de la saga, tant elle aura su s’adapter (Rolex étant par exemple progressivement remplacé par Omega dans les films) et ainsi admettre cette part non négligeable de son identité. Ceci étant dit, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Pourquoi ne pas pousser la logique plus loin ? A ce rythme, tout peut y passer : les plastiques souvent très affriolantes des actrices, l’exotisme revendiqué par le coté globe-trotter de l’espion et des intrigues auxquelles il est confronté. Mais il y a un point qui ne cesse de revenir et qui pour beaucoup est indissociable de la saga : la figure de l’antagoniste. On ne parle pas ici des différents types de méchants qu’a engendré la saga, non, mais plutôt des codes iconographiques et donc visuels qui les accompagnent. Outre la tanière nichée dans un volcan ou dans un complexe démesuré, les costumes chics et ce bon syndrome du génie incompris, les méchants de James Bond ont pour eux, ce besoin de prouver autant à eux-mêmes qu’aux autres, qu’ils sont plusieurs dans leurs délires. Comprendre ici, qu’ils sont entourés de sous-fifres, d’assistants, d’un vivier de tueurs prêts à mourir pour lui tel un bon fascisme des familles. Puisque bon, après tout, qu’est-ce qui est plus intimidant encore qu’un méchant dans un film ? Tout simplement, un méchant entouré d’autres méchants, et si possible, bien effrayants comme il faut. En cela, le second couteau maléfique dans la saga James Bond a sans surprise, un objectif initial clair : élever l’aura malfaisante du méchant suprême. Agissant tel un bonus, il incarne ainsi d’une certaine manière le sous-boss du niveau (comprendre ici le film) qui devra forcément être défait avant que le méchant principal y passe à son tour.
Il ne sera pas donc étonnant de voir cette dimension illustrative souvent utilisée dans la saga, si ce n’est même majoritairement puisque à l’exception notable de Skyfall, dans lequel Javier Bardem joue au méchant seul (bien qu’entouré de sbires qui ne dépasseront pas le stade de la silhouette), tous les films de la saga possèdent une voire deux têtes clairement identifiables comme seconds rôles et qui ont parfois le luxe d’avoir des dialogues à déclamer avec l’air le plus méchant possible. Mais alors, c’est tout ? Le méchant second couteau ne sert qu’à ça ? Qu’à élever son patron ? Pas si sûr, comme l’ont prouvé certains films de la saga qui s’avèrent étonnamment sournois, voire vicieux vis-à-vis de cette convention de cinéma. Car parfois, le second couteau voire l’homme de main (les deux termes sont valides ici) est le méchant suprême, reléguant son patron à un… homme de main. Cela s’en ressent quand les films optent pour faire éliminer le méchant qu’on croyait central avant l’homme de main, prouvant ainsi que parfois l’intellect qui fait la force du méchant dit principal n’est que de piètre assistance face à un Bond déchaîné. On pensera ainsi à Vivre et Laisser Mourir ou Demain Ne Meurt Jamais, qui décident de faire passer à la trappe Yaphet Kotto et Jonathan Pryce avant leur iconique sbire, Tee Hee et Stamper ; prouvant ainsi que parfois les seconds couteaux ne sont pas que des pantins mais bien des personnages sous-estimés.
Mais donc, si on fait le compte, une dimension illustrative, un rôle parfois ambigu voire carrément ambivalent. Ça fait peu, non ? Qu’est-ce qu’a donc pu amener le second couteau à la saga pour pouvoir être à ce point révéré et ré-utilisé ? C’est sans doute sur ce dernier point qu’il sera le plus facile de s’étendre puisque bien souvent, les seconds couteaux, en lieu et place de servir le méchant, s’assument comme de véritables électrons libres, qui en fin de compte, capturent toute l’attention. A ce titre, il est impossible dans Goldeneye d’oublier Xenia Onatopp (campée avec un rare sadisme par Famke Janssen) tant elle s’accapare l’écran avec une telle poigne que le « vrai » méchant, Alec Trevalyan (Sean Bean) est traité comme un méchant étonnamment lambda. Mais ce constat s’applique autant à Emile Lopolod Locke de Rien Que Pour Vos Yeux qui par son mutisme et sa mort mémorable, reste davantage en mémoire que le banal armateur mafieux Aris Kristatos (Julian Glover) ; qu’à Zao (Rick Yune) dont le visage blafard et balafré de diamants marque plus que son « patron », Gustav Graves/Colonel Moon (Toby Stpehens/Will Yun-Lee) dans Meurs Un Autre Jour. Preuve en est ainsi faite que parfois le second couteau est certes caractérisé comme tel par les conventions de cinéma qui régissent le film, mais ne s’assume pas comme tel, autant parce que l’acteur ne le permet pas, que parce que sa ténacité, son impact visuel ou sa férocité sont autant de raisons de le voir survivre le plus longtemps et mourir dans les pires souffrances possibles.
Mais s’il fallait une ultime preuve que le second couteau dans l’univers de James Bond est somme toute insaisissable, c’est via l’exemple de Requin (Richard Kiel). Pour beaucoup de fans, il est ainsi LE méchant suprême de la saga ou tout du moins l’un des plus emblématiques. Sa carrure atypique, sa mâchoire chromée, son mutisme glacial et surtout son étonnante froideur ont vite fait de populariser le sbire comme l’un des éléments les plus déterminants d’un bon opus de la saga. Mais alors quoi ? Et bien, outre d’avoir su inscrire dans les gènes de la saga, un besoin de compter sur un sbire « brutal et bourru » (Dave Bautista dans Spectre en est un exemple), Requin a pour lui d’être le seul méchant à être apparu dans 2 opus de la saga, et ce, étonnamment, du fait des fans qui avaient trop apprécié le personnage dans L’Espion Qui M’Aimait (1977). On assiste donc là à un travestissement du méchant et donc du second rôle puisque dans le cas de Requin, le voilà qu’il éclipse son patron (ici Karl Stromberg) et devient LE vrai méchant du film. Le comble étant finalement qu’il ne passera pas à trépas ni dans le film susvisé, ni dans le suivant, tant la sympathie véhiculée par l’acteur aura raison de la volonté des producteurs de l’éliminer. Preuve en est ainsi faite, que parfois, tout aussi relégués en arrière plan qu’ils peuvent être, les seconds couteaux de James Bond, ne sont en définitive que des méchants qui n’attendent qu’une scène, un plan, ou une bagarre pour briller et s’imposer aux yeux de tous.