Dans Mad Men, et malgré les apparences, les femmes ont une place proéminente dans l’entreprise et l’économie, malgré l’allure effacée de leur fonction mais surtout leur sexualisation. Si l’on omet Peggy Olson, la seconde plus importante femme de la série est Joan Holloway Harris. Retour sur une héroïne secondaire qui déchire l’écran et sort bien malgré elle du moule de son époque.
Red, Joan, Joannie, la Rouquine, « ni Marilyn, ni Jackie ». Beaucoup de sobriquets pour cette femme qui a fait tourner la tête de ses collègues de travail. Mais trop peu de dires sur son évolution en tant que femme financièrement indépendante. Trop d’emphase sur une apparence certes attirante mais qui a bien plus à offrir que cela.
Ni Marilyn, ni Jacky
Joan, c’est Joan. Et comme pour en faire un cas à part, elle est l’un des seuls personnages féminins roux. De par leur rareté mais aussi de par le caractère éclatant de cette couleur, elle ne passe pas inaperçue. Christina Hendricks, son interprète fait de Joan Holloway un crève-écran par sa présence, son élégance et sa touche de fausse ingénuité.
Chef de bureau de la société Sterling Cooper, elle connait ses atouts et sait exactement comment les utiliser. Par atouts, nous considérons son aspect physique auquel elle est malheureusement beaucoup trop rapportée par la gente masculine de son époque. Les clients de Sterling Cooper mais aussi ses collègues qui ne s’interdisent pas de la crever des yeux.
C’est une femme qui se fiche bien de ce que cette gente masculine pense d’elle au fond, tant qu’elle y gagne quelque chose mais elle a conscience qu’elle doit maîtriser son image pour ne pas qu’on la rabaisse. En témoigne sa petite phrase contre Paul Kinsey : « He had a big mouth ». En effet, elle sortait avec celui-ci mais ne parvenant pas à se taire, elle rompit avec lui. Alors bien plus encore qu’un corps, elle a conscience du fait qu’elle est un trophée.
Au début, c’est une situation qui ne la pèse pas, mais au cours de la série, nous comprenons que l’échec de ses relations repose en partie sur ce statut où on cherche à l’enfermer. Mais Joan est plus qu’un corps sensuel, au cours de l’histoire, elle gagne en profondeur par les épreuves qu’elle traverse.
De la fée du bureau à la femme d’affaires
Le rôle de Joan au sein de Sterling Cooper était un dérivé de la femme au foyer. Elle s’occupait du bien-être de ses collègues de bureau masculin en connaissant bien leurs besoins. Dans ce domaine, elle est une femme très compétente. Sa gestion du bureau est si bonne qu’elle est rarement remise en question, si ce n’est jamais, les problèmes viennent en général d’éléments perturbateurs comme la bande de Pete, ou les secrétaires elles-mêmes comme Lois.
Cette gestion n’est pas plus différente que celle d’une maison, puisqu’elle prend en charge des besoins qu’on considère tout bonnement féminins comme la décoration par exemple. C’est une « working girl » mais de celles qui ne s’éloignent jamais de la gestion d’un logis. Cela restera le cas jusqu’à l’ouverture de SCDP, l’agence de Don, Sterling, Cooper et Pryce.
Le sentiment qu’elle devrait être destinée à bien plus s’installe subtilement et elle se retrouve associée, étant elle-même parfois sollicitée dans la prise de contact, notamment avec les partenaires s’occupant de produits féminins et en votant lors des assemblées. Aussi sexiste et misogyne que reste ce rôle d’intermédiaire avec les marques féminines puisqu’il reste un pur coup de com’, le fait de la voir dans le négoce d’autre chose que les bouquets de fleurs ou la logistique toute féminine du bureau est une évolution. Bien sûr, cela cadre avec la fin des années 60 et son esprit révolutionnaire.
Bien entendu, la traversée vers une situation où elle est financièrement maîtresse se gâte du début vers la fin. Premièrement, elle revient au bureau après la naissance de son fils, ce qui fait d’elle une femme moderne. Au début, elle dit que c’est parce qu’elle a fait une promesse, mais il semble qu’elle aime son travail et le fait qu’elle soit utile notamment.
En tant que divorcée avec un enfant à charge, elle est poussée à chercher la sécurité à tout prix. L’acte le plus triste que Joan ait eu à commettre est de coucher avec le patron de Jaguar. Cette action n’est pas révoltante par son action à elle, mais par le fait qu’elle fasse partie d’une négociation où elle n’y avait pas réellement de pouvoir finalement. Une nuit avec Joan a garanti à SCDP un des plus grands noms de l’automobile et sa position d’associée mais pour cela, Joan a été jetée en pâture. Si ses collègues ne l’y avaient pas poussée, sa situation de mère célibataire l’y a poussée.
De plus, lorsque Jaguar part de l’agence, cela laisse un goût amer à celle-ci et l’impression que tout ce qu’elle a fait n’a servi à rien. Cette aventure est difficile à vivre pour le personnage comme pour le spectateur car nous devenons témoins d’un genre d’échange d’un autre temps (nous l’espérons) où l’acte n’est pas égoïste mais de survivance.
Néanmoins, Joan se renforce considérablement après cet épisode et commence à questionner les usages vis-à-vis des femmes dans les entreprises. Si la manœuvre reste compliquée pour dénoncer le sexisme qu’elle subit notamment à McCann, cela lui ouvrira les yeux sur ses propres fréquentations. À la fin, elle se retrouve à la tête de sa propre entreprise, quitte à sacrifier sa relation, mais cela est plutôt un mal pour un bien.
Madame Holloway-Harris
Après avoir été la maîtresse de Roger Sterling pendant un moment, Joan se fiance avec un médecin. Cela intervient après la crise cardiaque de Roger. C’est sur les conseils de Cooper qu’elle s’y résout pour avoir un avenir.
Au tout début, Joan avait une mentalité assez conformiste à ce que son époque veut. Elle veut se marier avec quelqu’un qui serait capable de prendre soin d’elle et qui la mette financièrement à l’abri. Son histoire avec Roger n’avait aucun lendemain, celui-ci étant marié avec Mona et elle, ne cherchant pas à ruiner la famille. Joan est déjà divorcée et elle se sent un petit peu comme Marilyn, malchanceuse en amour. Alors au sentimental, elle choisit la sécurité financière. Elle aime bien Greg, mais peut-on réellement parler d' »Amour Véritable » avec lui ? À nos yeux, il semble juste être le plus potable de tous les partis qu’elle a pu avoir.
Malheureusement, elle essaye de se convaincre (vainement) d’avoir épousé le bon parti avec Greg. Mais sans l’aide de Joan ni ses conseils, celui-ci échoue lamentablement. Nous passerons sur l’horrible scène dans le bureau de Don qui donne un échantillon des mauvais traitements qu’elle subira sous les apparences de bonheur conjugal, de ses accès de colère mesquins, de ses décisions impulsives et égoïstes.
Le bouquet est la demande de divorce en lui envoyant les papiers par la poste. Aussi basse que cette demande soit, elle a pourtant quelque chose de libérateur. Joan est bien mieux seule qu’avec Greg Harris. Elle ne se libère pas seulement d’un homme qui ne voyait en elle qu’une femme-objet, mais d’un mari abusif, rétrograde, jaloux et immature. Et contrairement à Betty, la première épouse de Don, elle ne refait pas la même erreur en se jetant dans un autre mariage.
Vivre d’amour ?
Joan est une femme qui au fond n’aspire qu’à la sécurité. Même si elle cherche quelque chose de sophistiqué dans ses fréquentations masculines, elle n’est pas opportuniste. Elle aurait tout aussi bien pu séduire l’un des gros clients de l’entreprise. Même si Joan travaille car elle est la seule à pouvoir le faire dans le ménage constitué d’elle, sa mère et son fils, elle aurait très bien pu réclamer une pension alimentaire pour Kevin, fils légitime de Roger.
Alors que veut-elle ? Joan veut de l’amour véritable. Elle a fait le tour de toutes les relations. Elle a essayé de vivre d’amour, mais c’était un échec, vivre avec quelqu’un qui était un bon parti, mais il n’était pas à la hauteur. Alors est-ce si surprenant qu’elle n’accepte pas la demande en mariage de Bob et qu’elle arrête sa relation avec Richard Burghoff ?
Joan est plus consciente après de tels événements de ce qu’elle veut, et le fait qu’elle démarre une entreprise à la fin de la série, change totalement le sens des mots « I was raised [by my mother] to be admired ». À la fin de la série, elle est admirée non pas comme un écrin de beauté fatal, mais comme une femme d’affaires.
Joan prend conscience petit à petit que l’amour n’est pas la seule chose qui cimente une relation, et qu’une bonne situation n’est pas ce qu’elle devrait chercher non plus, puisqu’elle a été capable de créer sa propre situation.
Conclusion
Joan Holloway a eu à s’affranchir de sa condition de femme-objet, de petite épouse du bureau et de subordonnée. Elle était vue comme une petite poupée agréable à regarder, qu’on cherchait surtout à posséder comme un trophée. Elle avait déjà un poste élevé au sein de l’agence Sterling Cooper, mais c’est la création et son passage à SCDP qui la persuade de sortir d’une zone où la société cherchait à l’emprisonner.
Dans un monde aussi binaire que Mad Men cherche à nous faire découvrir, avec une transition de la fin des années 50 à la fin des années 60, l’élévation lente mais certaine de Joan est presque un présage rassurant. Si nous ne nous étonnons pas de cela pour Peggy qui est célibataire et qui a choisi ses priorités, voir un personnage féminin issue d’une classe modeste, divorcé deux fois et mère-célibataire, qui avait surtout en tête de finir dans une situation plus agréable s’élever d’elle-même est hautement satisfaisant.
Bien que le mystère plane sur la fin, notamment sur sa vie sentimentale, le fait que l’on finisse beaucoup plus sur cette note professionnelle, plutôt que celle d’un mariage ou d’une union, est important, car elle montre un personnage féminin qui a plus à offrir qu’être un love interest.
Sources pour écrire cet article:
Joan Harris : wikipédia
Crédit images : galerie imdb Mad Men